Il y a 100 ans ....
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Poincaré

Notable parmi les notables, authentique patriote comme on disait à l'époque - mais existe-t-il des patriotes inauthentiques ? - celui-là aura occupé les grands postes : président du conseil en 1912, poste qu'il abandonne à son élection à la présidence de la république, on l'y retrouvera à deux reprises dans les années vingt, avant et après le Cartel des gauches : cet homme affectionne la posture de sauveur ; après celui de la Patrie ; celui du Franc !

On le voit ici lors d'une réception à l'Hôtel de Ville suite à son élection à la présidence de la République. Au premier plan, de gauche à droite, l'on reconnaît Antonin Dubost, président du Sénat, Armand Fallières, président sortant, Raymond Poincaré, fraîchement élu, et Paul Deschanel, président de la Chambre. Au second plan, l'on aperçoit Emile Loubet, ancien président de la république, accompagné d'Aristide Briand.

Lorrain, manifestement traumatisé par la défaite de 70, et l'occupation de sa province - la Lorraine meusienne - par les prussiens, il entre parfaitement dans la lignée de ces revanchards qui ne comptèrent pas pour peu dans le déclenchement de la guerre. Si certains comme Guillemin le tiennent à parité avec Guillaume II responsable de cette guerre, on peut en tout cas dire que s'il ne souffla pas toujours sur les braises, il ne fit pas non plus grand chose pour les éteindre. Que la ligne officielle fut, et demeure, que la France fût victime de l'agression allemande et subît une guerre qu'elle n'aura pas voulue - peut-on dire autre chose ? - soit ! mais il faut bien reconnaître qu'il fit partie intégrante de ceux qui ne voyaient pas que des inconvénients au déclenchement d'une guerre avec l'Allemagne - une guerre dont ils n'imaginèrent jamais qu'elle prît la tournure qu'elle revêtira ; qui l'imaginèrent finie à Noël, tout simplement parce qu'ils pensaient avec les schémas militaires dépassés de la guerre de 70.

Notable jusqu'au bout des doigts, celui qui fut avocat d'affaires ayant pour clients les plus grandes entreprises de son temps, qui sut garder une bien discrète prudence durant l'Affaire Dreyfus en sachant ne s'aliéner personne, fut élu député très tôt ; ministre rapidement et se délecta sans doute d'une élection à l'Académie que l'indigence de son oeuvre justifiait assurément moins que son entregent.

Curieux personnage en tout cas ; ennemi juré de Clemenceau en qui il ne cessa de voir un tombeur de ministères, plus à l'aise dans les diatribes journalistiques qu'aux manettes gouvernementales, l'ironie de l'histoire fera que ce fut ensemble qu'en 17-18 ils présidèrent aux heures à la fois les plus sombres et les plus glorieuses de cette guerre. Lui ne rêvait que d'en découdre ; Clemenceau redoutait qu'on y fût mal préparé ; aucun des deux ne fut véritablement colombe !

Ils représentent avec Jaurès toute la complexité de l'opinion publique française en ce début 14 : pas forcément encline à entreprendre une guerre, mais pas vraiment rétive non plus, tant le souvenir de la défaite et le culte entretenu des provinces perdues auront laissé un goût de cendres ; un goût d'inachevé en tout cas. Le plus curieux de cette époque en tout cas demeure ceci que tous - à l'exception de Jaurès et des siens - considérèrent la guerre inéluctable ne s'opposant au final que sur le moment opportun de la déclencher, ou de la laisser déclencher ce que les affaires de Tanger et d'Agadir avaient illustré à l'envi.

La guerre obscur objet de désir ....

C'est, sas doute ici, qu'il faut se méfier de toutes les illusions rétrospectives que nous pourrions nourrir : l'expérience successive de deux guerres mondiales avec leur torrent de monstruosités nous aura sans doute pour un moment prémuni contre ce type de désir. Il n'en était pas question, alors. Même perdue, avec des conséquences politiques, territoriales, diplomatiques cruciales, certes, la guerre de 70 demeura quand même une guerre on ne peut plus classique, engageant finalement peu de troupes ; se déroulant sur des champs de bataille circonscrits et faisant relativement à la suite, peu de dégâts. Sinon désirable, elle pouvait au moins paraître encore un moindre mal ; en tout cas, la continuation circonstancielle de la politique par d'autres moyens telle qu'aura pu la concevoir Clausewitz. Nul, à l'exception de Jaurès sans doute, n'avait imaginé cette montée aux extrêmes qui manqua de tout emporter et laisserait l'Europe exsangue, durablement affaiblie, brutalement vieillie.

Mais nulle plus que cette période n'illustre combien effectivement les grands hommes, s'ils font bien l'histoire, ne savent pas l'histoire qu'ils font. Combien la sagacité, le sens de l'histoire sont qualités rares et de toute manière peu écoutées.

La question pour les hommes de cette génération et de cette trempe - pour ne pas écrire de cette classe sociale - n'était certainement pas d'être pacifiste ou non : la guerre faisait partie intégrante de la panoplie des outils politiques à utiliser quand même on sût qu'elle fût à manier avec précaution et dans les cas ultimes. Non, pour eux la guerre ne se posait qu'en terme d'opportunité : était-elle gagnable et pour quels objectifs ?

Il ne fait pas de doute que lors de son voyage en Russie en Juillet 14, avec Viviani, il incita le Tsar plutôt à la fermeté qu'à la conciliation, ne pouvant ignorer que la mobilisation russe entraînerait inéluctablement l'autrichienne, puis l'allemande. Crut-il sincèrement que ce jeu de poker menteur fût encore gagnable ou avait-il simplement intégré la guerre comme une simple option, pas la plus désirable mais pas non plus la plus détestable, de sa trouble diplomatie ? Toujours est-il qu'il sur-estima manifestement la solidité d'un Empire qui s'était mal remis de la révolution de 1905 et l'allait découvrir assez vite.

Toujours est-il que pour la première fois depuis Mac-Mahon (1877) un président de la République allait jouer un rôle décisif, en partie à l'encontre de son gouvernement pourtant plutôt pacifiste, et peut-être d'autant plus abusé qu'il venait juste de revêtir ces habits du pouvoir pour lesquels il était sinon mal préparé en tout cas passablement divisé. Poincaré joua contre le pacifisme de la gauche, en dépit des textes constitutionnels et de la pratique observée depuis Grévy. Cet homme, décidément, avait peu de goût pour le simulacre de pouvoir et il était évident que la fonction présidentielle lui fut bien trop étroite ; on devine, à cet égard, la gravité de la situation en 17 pour qu'il se résolût à appeler Clemenceau à Matignon devinant trop combien dès lors son rôle s'en diminuerait d'autant. Il s'en plaignit d'ailleurs.

Alors oui, décidément, c'est l'universalité de cette guerre, sa mondialité, qui fera prendre au pacifisme cette allure universelle qui fit se dessiner d'ailleurs des parcours bien troubles dans l'entre-deux-guerres menant certains jusqu'à la collaboration. A cette heure, la paix est perçue comme l'arme nécessaire de la classe ouvrière ; la guerre l'arme de la classe possédante prête à tout pour le demeurer. Il n'y a encore, dans le pacifisme, ni pétition de principe, ni philosophie, ni morale. Mais une stratégie. A quoi s'oppose celle classique de Poincaré. Et même de Clemenceau.

A cet égard, il faut bien avouer que ce n'est pas la guerre qui se fit en dépit du pacifisme, mais qui fit, forgea, le pacifisme pour de longues années - dont celui visible dès la conférence de Zimmerwald en 1915 ne fut que la première expression. En devenant mondiale en devenant trop longtemps un cul de sac militaire dont on craignit longtemps ne pas pouvoir se dépêtrer, cette guerre a bouleversé tous les cadres tant politiques que militaires ; tant idéologiques que diplomatiques. Elle aura constitué jusqu'à ses adversaires.

On y reviendra.

Pour l'heure, celui qui affecte encore de minauder devant un protocole élyséen trop lourd, s'apprête à plonger son pays dans la fournaise d'une modernité dont il ne pressentit pas même les prémisses. Ne jamais oublier que le sauveur des années vingt n'aura sauvé que d'un cataclysme qu'il aura lui-même contribué à provoquer. Et avec lui, de laisser traîner encore les ultimes fumets du XIXe siècle quand outre-Rhin on aura déjà pris la mesure du siècle. Cette illusion paresseuse, cette nostalgie intempestive, le pays l'allait payer très cher.

 

ici en 1922 en visite à Londres alors qu'il était à nouveau président du conseil