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Bergson entre à l'Académie (Février 14)

Élu en ce mois de février 14, Bergson ne fera sa réception qu'après la guerre. Élu sur le fauteuil d'Emile Ollivier qui avait été l'ultime chef de gouvernement de Napoléon III, il était alors la coqueluche du Tout Paris - ce qui n'arrive pas si souvent que cela mais en tout cas jamais sans de sérieuses méprises.

Perçu comme un classique à l'orée même son oeuvre, reconnu comme un grand à l'instar d'un Kant et non comme un simple commentateur, on se plut à chercher en lui une philosophie complète, un système, lors même qu'il fut très loin d'être achevé. Les deux sources ne viendront que bien plus tard.

Tout élégant et austère qu'il fut, il n'avait rien pour défrayer la chronique, pour autant ce fut bien un événement mondain....

Celui qui s'était fait une tête de pasteur prestbytérien, austère comme anachorète des temps médiévaux, il n'avait rien pour susciter un tel enthousiasme qui d'ailleurs le dérangeait. Ces belles dames pourtant

Ce n'est pas le lieu, ici, de plonger dans les secrets d'une pensée riche et finement ciselée, on peut néanmoins dire que par son travail, il annonce plus la période à venir qu'il ne clôt celle qui s'achève - la Belle Époque. Positivisme et scientisme triomphant, progrès techniques fulgurants avaient bien du donner l'illusion que tout était possible et que si tout n'était pas encore connu, ce n'était en réalité qu'une question de temps. Ce rationalisme chevillé au corps, que portèrent tous les fondateurs de la IIIe - Gambetta, Ferry mais aussi Clemenceau - a bien du paraître un peu sec, trop aride. Bergson arrivait pour en appeler à la conscience, à ses replis, à ses mystères et redonnait tout à coup quelque épaisseur à cette humanité qui avait cru pouvoir se résumer à quelques équations et savantes méthodes. L'explication par le coup du balancier n'en est pas une évidemment, et si elle devait rendre compte de quoi que ce soit, ce ne serait encore que de l'écume de cette histoire bien complexe des idées. Néanmoins ce ne sera ni la première ni la dernière fois que ceci se produisit : après tout l'engouement pour l'existentialisme après la Libération ne céda-t-il pas place pour ce désir si roide de structure où les scientistes se crurent à l'abri avant que des étudiants en 68 ne les délogeassent à coup de Althusser une structure ne descend pas dans la rue.

Ce qui laisse à penser, en tout cas, que si la guerre allait précipiter sauvagement les mutations, elles étaient déjà là en germe, reconnaissables à l'enthousiasme que suscita cette philosophie aux antipodes et du système et du positivisme.

Cet homme ne manqua jamais d'allure : il avait commencé sa formation à l'ENS dans la même promotion que Jaurès qu'il dépassa en classement de sortie et l'histoire veut, qu'en dépit de leurs fortes oppositions idéologiques, ils restassent en amicale relation.

J'aime à penser que les deux grandes figures de cette aube du XXe fussent des philosophes mais surtout que si l'in occupa non sans profondeur intellectuelle tout le champ possible de l'action, l'autre s'engouffra dans la pensée sans méconnaître jamais ni les périls qui menaçaient ni ses devoirs. J'aime que cet homme qui s'était progressivement rapproché du catholicisme refusa à la fois qu'on en fit état et même de se convertir ne pouvant rompre sa solidarité avec un judaïsme qu'il savait menacé.

 

ENS promotion 1878
Bergson premier debout à droite ; Jaurès 2e assis à gauche

Celui-ci ouvre une époque que E Ollivier mais aussi Jaurès allaient fermer : celle d'une seconde moitié de XIXe florissante, brillante et pleine d'espoir ; insouciante sans doute pour certains ; miséreuse pour tous ceux qui inventaient à leur dépends la naissance d'un prolétariat qui paierait cher l'avènement de la modernité.

Il méritait d'être là !