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Désunion

A propos de cet article du Monde mais aussi du dossier du Monde Diplomatique.

L'état lamentable de la gauche n'est pas une nouveauté même si, à trois mois des présidentielles, il se pique de revêtir une cruelle évidence, presque obscène.

Mais de quoi parle-t-on ?

Sans doute faudrait-il envisager la question des deux côtés : à la fois du côté des partis et du côté de l'électorat !

Rappelons simplement que la division fait partie intégrante de l'histoire de la gauche. Faut-il souligner les trésors d’ingéniosité et de compromis nécessaires pour que sous l'égide de Jaurès naisse en 1905 la SFIO et devienne possible la victoire de mai 14, vite engloutie cependant par la guerre ; une unité vite détruite en 20 à Tours ? Faut-il rappeler la division de l'entre-deux-guerres qui, malgré les victoires électorales de 24 puis de 32 puis de 36, installèrent des gouvernements de droite hormis les fugaces parenthèses d'exception que furent le Cartel des Gauches et le Front Populaire ? L'épisode tragi-comique du Programme Commun de 72, déjà déchiré en 77, qui n'empêcha néanmoins pas l'élection de 81 ? La catastrophe de 2002 favorisée par une gauche plurielle qui le fut tellement qu'elle empêcha Jospin d'accéder au second tour ? Les constantes divisions internes - les frondeurs - qui affaiblirent tout le quinquennat Hollande et minèrent la crédibilité du PS ?

Au moins pourrait-on nuancer en rappelant que les divisions - par exemple entre Jaurès et Guesde - furent souvent autant théoriques que programmatiques. Ce le fut lors de la scission de 1920 et dans tous les débats de l'entre-deux-guerres, sur la nature révolutionnaire - et le sens à lui donner - d'un parti ouvrier. Car telle est peut-être la grande différence entre les gauches et la droite, cette dernière se contentant le plus souvent de vouloir gérer - mieux - une société dont la nature ne saurait être perçue autrement que comme évidente et la forme indépassable quand en face on aspire à une autre forme de société. D'où l'importance à gauche d'un programme - source d'autant d'accords que de divisions - quand à droite on insiste plutôt sur l'habileté, le pragmatisme donc sur la valeur de l'homme politique.

C'est assurément en ceci que le bât blesse le plus cruellement à gauche. Malgré les crises tant économiques que sociale, malgré les périls climatiques qui contraindront de toute manière à réinventer un nouveau mode de développement, la gauche reste tragiquement muette et les écologistes naïfs au delà de toute décence. La défaite de la gauche est d'abord idéologique et ressemble à s'y méprendre à une capitulation en rase campagne. Comme si sa vocation à l'universel, à la justice sociale, à la liberté avait dès l'origine été le ver dans le fruit que les courants réactionnaires se délectent de dénoncer mais que la gauche semble presque honteuse de défendre encore.

Les choses peuvent aller vite politiquement ! En 69, le candidat SFIO fait à peine 5%, ce qui n'empêche pas le tout nouveau PS de frôler la victoire cinq ans après. En 95 on se moquait de Jospin en panne d'idées après les deux septennats Mitterrand ce qui ne l'empêcha pas de gagner brillamment en 97 … mais pas non plus de perdre sèchement en 2002. Hollande gagne sur tous les fronts en 2012 avant de tout perdre moins de deux ans après dont, pire que tout, estime et espérance. Deux élections présidentielles successives où la gauche fit - à peine - de la figuration n'obèrent pas nécessairement l'avenir.

En revanche, les évolutions idéologiques sont bien plus lentes, bien plus profonde. N Truong, dans un très récent article, fait le lien avec les trois humiliations décrites par Freud - cosmologique, biologique et psychologique - en soulignant le décentrement de notre rapport au monde, un second décentrement lié au genre et à la sexualité, un troisième d'ordre géopolitique qui ferait de l'Europe, et plus généralement de l'Occident, une réalité secondaire, en tout cas plus du tout centrale. Autre manière de suggérer que notre monde, mais surtout notre rapport au monde et à l'autre, sont en plein bouleversement ; que, malheureusement, la gauche n'a rien de consistant à en dire ; ni rien à proposer.

Soit !

La référence à Gramsci - « la crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître, [même si] pendant cet interrègne, on observe les phénomènes morbides les plus variés » vaut bien celle de Morin. Et a finalement la même vertu cathartique que ces vers de Hölderlin souvent cités par Heidegger - « Là où croît le danger, croît aussi ce qui sauve » … donne au moins quelque raison de ne pas désespérer.

Mais dit autre chose qui situe la réponse du côté de la pensée au moins autant que de l'action.

Bien entendu on reprochera sans complaisance au philosophe de tirer la couverture à lui. On n'aura pas entièrement tort. C'est bien pourtant au moment où les intellectuels cessèrent de s'engager que les réactionnaires commencèrent de s'engouffrer en l'espace ainsi délaissé mais c'est au moment également où le PCF cessa de peser de son poids - parfois bien lourd effectivement mais efficace aussi - où cessa d'intervenir une force de frappe qui relevait autant du politique que de la théorie, où le communisme cessa d'être un modèle alternatif désirable pour n'être plus qu'un repoussoir, c'est à ce moment là, oui, quelque part entre la fin des années 70 et les années 80, que la gauche insidieusement, sans gloire et sans honneur, plia armes et bagages et se réfugia dans un challenge stupide et pitoyable contre la droite au nom de qui gérera mieux la société que l'autre ? oui c'est à partir de se moment-là où, trahissant sa vocation comme elle le fit déjà dans les années 20, que la gauche se piqua d'inventer une social-démocratie virant insensiblement vers un social-libéralisme,et renonça à toute théorie ; à toute ambition. C'est à ce moment-là qu'on fit le lit de la pensée réactionnaire.

Que reste-t-il de cet idéal socialiste que défendit Blum en 24 ?

La peur, l'angoisse ou le manque de perspective et d'espoir n'ont jamais été de bons conseillers

Que le socialisme ait besoin d'être revisité à l'aune des problèmes contemporains et de cette nouvelle donne que représente le changement climatique est une évidence. Fallait-il jeter l'enfant avec l'eau sale du bain ? renoncer à toute pensée sous prétexte qu'elle fût totalitaire ?

Je ne sais s'il s'agit ici d'une dialectique au sens où l'entendait Hegel, ou d'une boucle de rétroaction au sens de la pensée complexe mais ce que je sais c'est que le rapport actuel entre théorie et action à toutes les caractéristiques du cercle vicieux et que nous n'avons pas en vingt ans été capable de trouver la formule qui en ferait un cercle vertueux. L'absence de pensée et de perspective théorique paralyse ; en retour ce défaitisme - fatalisme ? - que révèlent nos inerties a pour cruelle conséquence une invraisemblable surdité qui fait la bourgeoisie toiser avec arrogance et souvent mépris tout et qui n'est pas elle et la base avoir le sentiment de n'être ni entendue, ni comprise ni surtout prise en considération.

Il faut distinguer le besoin de gauche, le désir de gauche et ce que la gauche donne à voir Taubira (Libération)

Il est ironique que certains voit en elle une solution après l'avoir accusée d'avoir précipité l'éviction de Jospin en 2002. Je crois bien qu'elle a raté son RV avec l'histoire : c'est assurément plutôt en 2017 qu'elle eût du se présenter constatant l'impuissance de Hollande … Un point de ralliement à défaut d'union ? Elle aurait pu l'être ou dû ! Mais il est tout à fait révélateur que le programme n'est plus au centre de cette candidature mais au mieux la personne ! Décidément la gauche a perdu avant même d'avoir commencé !

La réponse ne viendra pas du politique : les institutions, par définition, sont au mieux réformistes. Peut-être, comme souvent viendra-t-elle, confuse, brouillonne mais brusque, d'une rupture objective ou d'une réaction populaire ! Si les classes populaires étaient écoutées, car elles ne le sont plus … Il le faudrait pourtant

Qui pourrait d'ailleurs nous en faire reproche? Les Républicains, même modérés, n'ont pas oublié, je pense, les origines de la République dans ce pays. Jamais la République n'a  été proclamée, en France, par la vertu d'un vote légal rendu dans les formes constitutionnelles. Au 10 août 1792, en février 1848, au 4 septembre, elle fut installée par la volonté du peuple, insurgé contre la légalité existante. Blum l'idéal socialiste 1924

L'improbable, E. Morin a sans doute raison, se produira sans doute et surgira d'où l'on ne le prévoyait pas, sous des formes insolites de la part d'acteurs qu'on n'osait plus espérer. Ce qui est certain c'est que notre monde est épuisé ; nos institutions évidées ; la nation lasse.

C'est ce qu'on nomme une crise - au sens grec de passage - d'autant plus profonde qu'elle ne se satisfera de toute manière d'aucune réforme toute bien intentionnée fût-elle

Ce que traduit cette désunion, mais cet évidement surtout des gauches, c'est bien la fin d'une époque.

Je ne connais pas de fin qui soit joyeuse.