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Mue

Etrange cet article du Monde s'interrogeant sur la capacité qu'aurait ou non Pécresse d'assurer sa mue présidentielle.

Etrange ce paysage animalier qui entoure le pouvoir et qui aura été mis au goût du jour avec la Ve République. On est, dans la métaphorique, bien loin des deux corps du Roi d'Ernst Kantorowicz ; mais assez proche sur le principe. Il faut bien, au delà des hommes, des successions et des révolutions de palais, par delà les sacrifices des uns et le dévouement des autres, il fallait bien, dis-je, consacrer la continuité de ce qui bientôt se nommera l'Etat. Du le Roi est mort vive le Roi au précautionneux protocole de la passation de pouvoir, quelque chose doit s'incarner dans le corps de l'impétrant, qui fera de lui un thaumaturge, non plus seulement l'élu d'une moitié de l'électorat mais le prince de la Nation. Cette incarnation est une métamorphose et bientôt une apothéose.

Rien ne dit mieux cette apothéose que cette photo, emblématique à souhait, d'un de Gaulle, au matin du premier tour des présidentielles de 65, les premières de la Ve, au suffrage universel, s'en allant recueillir sa légitimité à la fois dans le rituel de l'urne et dans l'histoire ; rien ne dit mieux ces deux corps que ce de Gaulle, présent deux fois et tirant à la fois de l'Histoire, de son histoire, et du politique cette alchimie sacrée qui l'autorise à incarner LA France. Cette liturgie sacrale se sera bien vite écornée : n'est pas un monstre sacré qui veut ! Pompidou fit ce qu'il put pour singer la grandeur ; Giscard y renonça et si Mitterrand par sa morgue et son incroyable toupet byzantin parvint à en contrefaire la résurrection, l'illusion se dissipera plus cruellement encore que les brumes matinales.

Il n'empêche, ceux qu'autrefois l'on nommait les grands Hommes - à quoi la Patrie se voulait reconnaissante - qu'un Hegel nommera grands acteurs parce qu'ils surent se mettre à l'exacte intersection du vent de l'Histoire soufflant le Progrès et de leur ambition dévorante, aujourd'hui on les nomme bête politique ou monstre sacré.

Ne nous leurrons pas : il y a une misogynie implicite qui se terre sous cette interrogation ! Je ne prise pas particulièrement Pécresse : elle incarne, à sa manière policée et faussement doucereuse tout ce que la bourgroisie versaillaise bien-pensante et assurée d'elle-même peut résumer de certitudes dévastatrices, d'arrogance orgueilleuse mais encore de suffisance insolente ou de superbe avaricieuse. Il n'empêche on s'interroge moins sur la capacité des candidats hommes à assurer cette métamorphose présidentielle.

Qui suggère deux remarques :

Nous ne sommes toujours pas sortis de cette conception thaumaturgique du pouvoir. Nous attendons de nos élus des miracles qu'ils sont évidemment incapables de produire - tout au plus d'en singer la mise en scène et méprisons tout particulièrement ceux qui sont incapables d'en contrefaire la grandeur. Après tout, même s'il est exact que le quinquennat Hollande fut raté, l'homme lui, qui refusa cette théologie politique, n'a aucun scandale ou abus à se reprocher ! on ne l'en méprise que plus. On attendait coup de baguette et état de grâce ! l'on n'eut que la Fronde.

Surtout quel étrange paradoxe que de penser ainsi le pouvoir sous la forme d'une régression animalière qui devrait au contraire être entendu comme un exhaussement sacral ! Dans nos représentations autant que dans nos mythes, l'animal loin de n'être qu'un vivant de rang inférieur, est surtout un être limité. Platon le raconte assez joliment : Epiméthée l'ayant sollicité - mais il est tellement imprévoyant - attribue à chaque animal une qualité mais dès lors qu'il fallut le faire pour l'homme il ne restait plus rien à distribuer. La grande force de l'homme est de n'avoir aucune qualité innée ; d'être contraint grâce à son intelligence, de les acquérir toutes. La Genèse raconte presque la même histoire, Dieu déléguant à l'homme le soin de nommer chaque animal; Qu'entendre par là ?

Que le politique fût une régression ontologique ? Que la bête politique fût à ce point et si exclusivement hantée par le pouvoir qu'elle y perdrait toute humanité ?

Je n'aime pas plus les liturgies imbéciles autour de l'homme providentiel que les dénégations douteuses autour de la politique. Je comprends bien que le pouvoir puisse autant fasciner qu'effrayer. Je devine bien les risques de démesure qu'encoure chacun dès lors qu'il se pique de s'y frotter

Sans doute n'y aurais-je pas pensé si je n'étais parti baguenauder dans le dernier ouvrage (posthume) de Serres sur La Fontaine. Je ne sais pas si M Serres tire un peu trop sur la corde : je ne le crois pas en tout cas pas plus que lorsqu'il entreprit de tirer une philosophie à partir des planches de Tintin. Après tout le rôle du philosophe n'est-il pas de dénicher du sens là où il se trouve et il n'est pas possible qu'il ne se trouve pas aussi dans une création artistique. Toujours est-il que Serres suspecte, dans les Fables, dans cette tournure consistant à faire parler les bêtes, bien plus qu'une simple galéjade ou un aimable tournemain pédagogique destiné à nos enfants. Mais au contraire une véritable anthropologie. Je m'amuse même de l'y voir dénicher un palimpseste.

Sans doute n'y aurais-je pas songé si je n'avais ainsi enfin compris cette étrange fable qui débute le Livre XII - Les compagnons d'Ulysse. où, ayant non par violence ou magie mais par amour, obtenu de Circé que ses compagnons, transformés en bêtes, redevinssent des hommes, Ulysse se le voit refuser, par chacun tour à tour déclarant préférer son état animalier. Sublime et étonnant déni à la fois de son humanité et de ce qu'autrefois l'on nommait civilisation tant, après tout, tous nos mythes, nos récits, nos morales et philosophies entonnent le grand air de l'hominisation luttant pour nier en soi les ultimes vestiges, rémanences et vertiges d'une animalité originaire. Je ne crois pas que La Fontaine eût ainsi succombé à une si rapide condamnation de la culture, de la civilisation ou si naïve allégorie animalière - il y a quand même au mileu de tant de dénégations ces vers péremptoires - Tous renonçaient au los des belles actions. Ils croyaient s'affranchir selon leurs passions, Ils étaient esclaves d'eux-mêmes - autre manière, tant le mot esclave est fort, de suggérer que le devenir-humain procède bien de cette maîtrise des passions et de ce dépassement de soi par quoi il s'extirperait de l'animalité et mériterait l'honneur d'être humain. Assurément, céder par trop à la bête someillant en nous, ne mérite que censure et haine.

Je ne déteste pas de penser qu'ainsi - ce que l'on peut concevoir sous le diptique de la pesanteur et de la grâce où je continue de considérer le fondement le plus dynamique de toute moralité - l'animalité serait ainsi cette part de pesanteur qui à la fois menace mais autorise notre humanité en nous interdisant certes de nous trop détourner, par dégout et aspiration au bien, d'un monde si brut, brutal et vulgaire mais nous soumettant constamment au danger de nous y empêtrer et succomber.

Le pouvoir - le gout excessif qu'on y prend - serait-il ainsi une des formes de cette boucle ? Et formerait, mais à lui si souvent et perversement liée à elle, avec cette activité cruciale et particulièrement risquée de l’existence humaine qu’est la sexualité.(Manon Garcia) et l'effrénée quête de l'argent qui n'en est qu'un avatar, cette ligne de partage incontournable, à la fois menaçante et protectrice comme toute frontière, que nous ne cessons de frôler, de rêver granchir sans toutefois y parvenir totalement.

Dans cette mue qu'avec gourmandise le journaliste peine à trouver la trace, je lis autant la fascination paresseuse pour le pouvoir, que la lâcheté demain proverbiale du courtisan.

Sans doute, oui, faudrait-il, relire La Fontaine.

 


Valérie Pécresse face au défi de la mue présidentielle

La candidate du parti Les Républicains à l’élection présidentielle peine à imposer ses idées dans le jeu présidentiel, en raison d’un déficit de notoriété mais aussi faute d’un récit.

Solenn de Royer(Grèce, envoyée spéciale)

Le Monde du 17 janv

 

Valérie Pécresse, candidate LR à la présidentielle, est en déplacement à Athènes, le 14 janvier 2022, pour parler des questions d’immigration. Elle est accompagnée par Michel Barnier, Nadine Morano et Eric Ciotti.Valérie Pécresse, candidate LR à la présidentielle, est en déplacement à Athènes, le 14 janvier 2022, pour parler des questions d’immigration. Elle est accompagnée par Michel Barnier, Nadine Morano et Eric Ciotti. 

Le soleil ne va pas tarder à se coucher sur l’Acropole. Ce vendredi 14 janvier, Valérie Pécresse monte au pas de course la colline des Muses, qui surplombe Athènes. En 2017, Emmanuel Macron avait tenu un discours sur l’Europe sur la colline voisine de la Pnyx. La candidate du parti Les Républicains (LR) dédaigne la route qui y mène, emprunte un petit chemin sur la gauche, plus escarpé, mais qui permet de monter plus haut. Emmitouflée dans sa « battle dress » de campagne – une épaisse veste kaki à capuche –, elle contemple le Parthénon. Puis redescend aussi vite qu’elle est montée.

Lancée dans un « marathon » qu’elle veut mener « à la vitesse d’un sprint », selon ses mots, la présidente de la région Ile-de-France sait que le temps lui est compté pour s’imposer dans le jeu présidentiel. Le terrain reste glissant pour la candidate LR, qui voit s’éroder la dynamique qu’avait suscitée sa victoire au congrès du parti, désormais au coude-à-coude avec Marine Le Pen dans les sondages.

Depuis le lancement de sa campagne, le 4 janvier, la candidate enchaîne les déplacements et les thématiques sans vraiment parvenir à imposer un récit. Après une séquence axée sur le régalien, elle sera dans le Lot mercredi 19 janvier autour de la ruralité et au Puy-en-Velay vendredi 21 janvier pour parler identité et patrimoine. Mezzo voce, certains élus LR commencent à s’inquiéter d’une campagne jugée « sérieuse » mais « classique », peu inventive sur le fond et poussive sur la forme. Une partie des troupes se demande si elle est capable d’entraîner et de susciter du désir, nerf de la guerre de toute présidentielle. Coincée entre un Macron disruptif et mobile, et un Zemmour qui ne recule devant aucune provocation, elle est invitée par les siens à prendre davantage de risques pour imposer ses idées, et organiser le débat autour d’elle.

Son directeur de campagne reconnaît une mauvaise séquence, liée au débat interne à LR sur le passe sanitaire et à la sortie présidentielle sur les non-vaccinés que le chef de l’Etat a promis d’« emmerder ». « Avec ce contre-feu, Macron a voulu étouffer le débat sur son bilan au moment où la droite entre en campagne », observe Patrick Stefanini, ajoutant que la candidate, qui a aussitôt répliqué avec sa promesse de « ressortir le Kärcher de la cave », n’a pas l’intention de « s’en laisser conter ».

Se transformer en « bête politique »

Les difficultés viennent aussi de son flanc droit. Pécresse, qui a dû gérer le départ chez Zemmour du député du Loir-et-Cher Guillaume Peltier, redoute de voir partir le maire de Chalon-sur-Saône, Gilles Platret, l’un des visages de l’aile droite du parti. Ce dernier, qui entretient le flou sur ses intentions, a demandé à voir la candidate cette semaine.

Dans l’imposante délégation qui accompagnait la candidate en Grèce, les 14 et 15 janvier, tous ont tenté de balayer les doutes, à commencer par ses ex-rivaux au congrès. « Attention à ne pas porter trop d’attention aux bruissements du microcosme », prévient Michel Barnier. Si Eric Ciotti admet du bout des lèvres un « plateau » dans les sondages, il reproche, lui aussi, à Macron de « surjouer la crise sanitaire » pour faire diversion.

Même Nadine Morano, qui s’est fâchée avec Pécresse en 2019 quand cette dernière a quitté un parti jugé trop droitier, estime que « la situation de LR est bien meilleure aujourd’hui » qu’il y a six mois, où ils étaient donnés pour morts. La députée européenne loue le rassemblement que la candidate a opéré, « ce qui n’était pas gagné, compte tenu du passif qui existait entre elle et le parti », note-t-elle. « Il existe une vraie volonté de tous de gagner », résume Morano, que Pécresse a nommée conseillère à l’international.

Reste que la présidente de la région Ile-de-France se trouve au défi de la mue présidentielle. L’ex-conseiller élyséen Aquilino Morelle, l’un de ses coreligionnaires de l’ENA, retrouve chez la candidate la « jeune femme sérieuse, énergique, très déterminée et efficace » qu’il a connue sur les bancs de la promotion Condorcet. Mais il insiste sur la nécessité pour elle de se transformer en « bête politique », comme Macron, alors très peu connu des Français, avait su le faire en 2017. « Il lui faut réussir cette mue personnelle si elle veut être capable d’entraîner les Français, note-t-il. Et, politiquement, cela signifie ne pas être seulement la candidate de la bourgeoisie de droite. »

Déficit de notoriété

Valérie Pécresse assure qu’elle a bel et bien fait cette « mue » depuis son investiture, le 5 décembre. « Je me sens portée, confie-t-elle au MondeJe sens aussi une attente forte vis-à-vis des hommes et des femmes politiques qui ne demande qu’à se cristalliser. » La candidature de Christiane Taubira, qu’elle a découverte samedi depuis l’île de Samos, où elle visitait un camp de migrants ultrasécurisé, la laisse de marbre. « Que la gauche prenne exemple sur nous !, plaisante-t-elle. Pour une fois que nous avons une droite plus intelligente – alors qu’elle a longtemps été réputée « la plus bête du monde » –, il faut en profiter ! » Le « rassemblement » qu’elle dit avoir opéré de « manière spectaculaire », « alors que personne ne s’y attendait », lui donne un « socle », insiste encore celle qui entend développer un projet centré sur le triptyque « autorité, liberté, dignité ».

Persuadée que la présidentielle se jouera sur les « personnalités », Pécresse esquisse son autoportrait : « mère de famille », « présidente de région », « authentique » et « ayant les deux pieds dans le terroir », cherchant des « solutions » pour ses concitoyens. Elle reconnaît toutefois un déficit de notoriété. « Il faut que les Français me découvrent, me connaissent », confie-t-elle encore, misant sur les médias et une « campagne d’hyperproximité ».

Mais la candidate LR, à laquelle aucun marqueur n’est immédiatement associé, reste difficile à saisir. Longtemps, la chiraquienne était plutôt positionnée sur un axe central, libéral et européen. Son départ du parti en 2019, sur un désaccord avec la ligne de Laurent Wauquiez, avait semblé cranter une identité politique, qui se retrouve brouillée par l’orientation droitière de sa campagne, notamment portée sur l’identité et la sécurité.

Guerre des nerfs

Sur la forme, Pécresse est invitée par les siens à trouver son propre style, alors qu’elle aime se référer à Chirac ou à Sarkozy, à qui elle emprunte sa sémantique (« Kärcher » ou, sur l’immigration, le « humanité et fermeté », leitmotiv de la campagne de 2007). Dans les mots, celle qui se présente comme « un tiers Thatcher et deux tiers Merkel » oscille également entre un registre martial et clivant et le registre du care, quand elle insiste sur la nécessité de « réparer » et d’« apaiser » une société que Macron aurait brusquée.

En face d’elle, le président de la République joue la guerre de mouvement et celle des nerfs. Il cherche à dévitaliser la candidate de droite en la marquant de près, sur la sécurité ou la fiscalité des successions. Un proche de Pécresse attend avec appréhension le moment où « les poignards seront sortis ». « Je n’ai pas peur, je n’ai peur de rien », assure-t-elle crânement au Monde. « J’ai ce qu’il faut pour le pays, pour mener à bien les réformes qui n’ont pas été faites », ajoute-t-elle.

Le 20 décembre, Nicolas Sarkozy l’a reçue rue de Miromesnil. L’ancien chef de l’Etat l’a conseillée sur la manière de gérer le temps, d’impulser son tempo, et a insisté sur la nécessité de raconter une histoire aux Français. Il reste 84 jours avant le premier tour.

Solenn de Royer(Grèce, envoyée spéciale)