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Souverainisme, populisme …

L'insolente santé du souverainisme : tel est le titre d'un article du Monde publié quasiment en même temps que ce compte-rendu d'un ouvrage paru sur le Général Boulanger avec ce délicieux sous-titre : quand la République tenait bon !

Je n'ai jamais aimé le terme populisme dont je ne suis pas sûr que la qualité conceptuelle résiste à l'analyse : qu'un même terme puisse, sans nuance, désigner à la fois l'extrême-droite d'un Zemmour ou d'une Le Pen et la gauche - pas si extrême que cela - d'un Mélenchon me paraît toujours rédhibitoire. Que par habitude - ou méthode - il nous faille débuter par des taxinomies, soit ! nous en contenter, sûrement non ! L'histoire - et le politique donc, sont, par essence, invention de nouveautés. C'est ce qui rend l'histoire si difficile à appréhender qui est du domaine de la contingence même si, après coup, elle semble avoir été rationellement déterminée. L'histoire est affaire du collectif et donc elle m'échappe. Le politique voudra toujours nous faire croire qu'il a quelque emprise sur elle mais pas plus que les autres il ne peut prévoir. Cela lui fait peur sans qu'il puisse l'avouer. Et il joue de cette peur pour se pousser du col !

Ce qui est certain - que confirme l'analyse de Jean Garrigues, c'est combien le sens du politique que nous pouvons nourrir ne s'est décidément jamais éloigné de la mystique de l'homme providentiel : après Napoléon, la République épuisa à de multiples reprises cet étrange modèle soit pour se fonder (Lamartine ; Gambetta) soit pour échapper au danger (Clemenceau - de Gaulle) ; certains furent d'authentiques républicains d'autres … beaucoup moins voire son antithèse (Boulanger, Pétain)

Le modèle lui-même est ambigu : la Providence est bien une puissance transcendante - a priori bienveillante - supposée protéger, guider, soutenir l'homme dans ses projets. La Providence, étymologiquement, à la fois prévoit et pourvoit. L'homme providentiel est l'incarnation de cette aide d'origine divine et à ce titre l'ombre portée de l'oint du Seigneur. Nous ne sortons décidément pas de la thaumaturgie …

Ce populisme a des marqueurs indéniables : il n'aime pas les intermédiaires et estimera toujours qu'entre le dirigeant et le peuple trop de strates successives brouillent le message et freinent l'action. Il ne suffit pas de ce fantasme de verticalité - le jupitérien Macron des débuts l’aura expérimenté à ses dépends - pour faire de vous un sauveur ni même un populiste. Il aura suffi des premiers troubles et de la crise du Covid pour que le pouvoir se souvienne de l'utilité des régions, départements et municipalités.

Il n'en reste pas moins que le Prince toujours s'imagine pouvoir dialoguer directement avec ses sujets et que le prétendant immanquablement se présente, baguette à la main, impatient, de sa seule parole, de pouvoir changer la vie … quand ce ne sont pas les hommes eux-mêmes. Comme s'il suffisait qu'il s'avance pour que les peupliers se penchent et lui fassent révérence, que les fleuves incurvent leurs cours et les adversaires, ébahis d'admiration et de reconnaissance, jettent bas leurs armes !

Une colline à son sommet se terminait en plaine. Elle était couverte d'un gazon toujours vert; mais c'était un lieu sans ombre. Dès que le chantre immortel, fils des dieux, s'y fut assis, et qu'il eut agité les cordes de sa lyre, l'ombre vint d'elle-même. Attirés par la voix d'Orphée, les arbres accoururent; on y vit soudain le chêne de Chaonie, le peuplier célèbre par les pleurs des Héliades, le hêtre dont le haut feuillage est balancé dans les airs, le tilleul à l'ombrage frais, le coudrier noueux, le chaste laurier, le noisetier fragile; on y vit le frêne qui sert à façonner les lances des combats, le sapin qui n'a point de nœuds, l'yeuse courbée sous ses fruits, le platane dont l'ombre est chère aux amants, l'érable marqué de diverses couleurs, le saule qui se plaît sur le bord des fontaines, l'aquatique lotos, le buis dont la verdure brave les hivers, la bruyère légère, le myrte à deux couleurs, le figuier aux fruits savoureux. Vous accourûtes aussi, lierres aux bras flexibles, et avec vous parurent le pampre amoureux et le robuste ormeau qu'embrasse la vigne. La lyre attire enfin l'arbre d'où la poix découle, l'arbousier aux fruits rouges, le palmier dont la feuille est le prix du vainqueur, et le pin aux branches hérissées, à la courte chevelure; le pin cher à Cybèle, depuis qu'Attis, prêtre de ses autels, dans le tronc de cet arbre fut par elle enfermé. Ovide, Métamorphoses, X, 86-105)

Les sots, gonflés de vanités ne savent-ils pas qu'il faut pour le moins être poète pour y parvenir ? Les vaniteux ont-ils oublié que Dieu lui-même, eut besoin d'un intermédiaire pour s'adresser à son peuple ? Sont-ils si orgueilleux pour ne pas même se demander pourquoi ? Il n'est pas de message sans corps du message. Affaire de voix sans doute, Périclès le devina ; affaire de mains qui se tendent pour mieux accueillir son public, affaire de présence en tout cas.

De celle que parfois l'on nomme charisme.

Boulanger y fit en tout cas piètre figure. Choisi d'abord parce qu'il passait pour républicain - tiens comme en son temps Pétain - il s'avéra vite dépassé par une trajectoire qu'il ne comprit pas, que ses financeurs avaient conçue pour lui et finira, trop petit bonhomme pour circonstances trop tragiques, par reculer au moment crucial et finir amoureux transi sur la tombe de sa maîtresse. Pitoyable et ridicule, Boulanger n'était pas à hauteur du boulangisme ; bien moins dangereux que celui-ci. D'autre reprirent le flambeau (Déroulède) parfois talentueux (Barrès) … demeurent toujours quelque traban pour ramasser le sceptre brisé et s'enticher de lui redonner lustre.

Il y a, au fond, derrière tout ceci, deux impostures. Pas moins.

Croire que l'on parle au nom de l'absolu, de la Providence et faire croire qu'on en aura reçu la toute-puissance en partage. Prétendre parler au peuple en laissant accroire que l'on sache non seulement qui il est, ce qu'il veut, ce qu'il lui faut et souvent mieux que lui.

Populisme ? Pour plagier Lénine, maladie infantile de la démocratie ! Quant au souverainisme il en est la forme sénescente.

Il y a décidément quelque chose d'incroyablement dangereux dans le pouvoir. Comme s'il devait consumer ceux qui s'en approchent au même titre que s'aveugleraient et consumeraient, disent les textes, tous ceux qui lèveraient les yeux vers Dieu. Nous ne sommes pas faits pour l'absolu et nous ronge le pouvoir sitôt qu'il mime seulement de nous tendre les bras. Les anges se révoltent si vite et les garnements impatients rêvent tant de prendre la place de Jupiter. Je sais bien que le pouvoir fascine ; c'est en cela qu'il est le plus dangereux. Que parfois il peut même paraître généreux d'y consentir pour les actes qu'on y pourrait réaliser. C'est en cela qu'il st le plus cynique. Qiuand il joue le grand air du sacrifice.

Bientôt on se croira irremplaçable. Bientôt on n'imaginera ni juste ni possible de ne pas continuer ce que l'on a déjà commencé.

Le pouvoir est affaire de puissance, de morgue et de volonté. C'est ceci que la République avait tenté de défaire en y voyant plutôt un dialogue.

Cette tâche-ci demeure ; toujours à recommencer. Seule certitude les institutions de la Ve n'y prédisposent pas.