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Autour de la religion

Une série inspirée par une série d'articles du Monde : Les religions ne meurent jamais

Agacé parfois, étonné souvent, qu'on puisse être à ce point négligent quand il s'agit de l'usage des mots comme si en forcer l'usage ou se contenter de l'à-peu près pouvait faciliter le dialogue ou la compréhension de l'autre quand ceci ne traduit le plus souvent que la pauvreté de la pensée et/ou une étonnante paresse intellectuelle.

De quoi parle-t-on lorsque l'on parle de religion ? de foi ? de croyances ? de simples rituels qui scandent la vie sociale et marquent votre appartenance ? d'institutions plus ou moins liées au pouvoir qui en scandent l'existence ?

Trop de questions ; trop de directions différentes. Tenter pourtant de les esquisser.

 

Religion ? Préambule Croyance                  

 

Préambule

Etrange famille que la mienne, si l'on veut bien y songer. Juive par ses origines mais sans que rien en ses pratiques ne semble y révéler une religiosité particulièrement flamboyante, illustrant ainsi de manière presque caricaturale combien la judéité se peut entendre, mais sans jamais s'y réduire, comme une religion ou pratique religieuse. Mais recouvre des réalités bien plus complexes. Piété discrète sans doute mais lien solidement maintenu avec ce qu'il est convenu d'appeler la communauté. Camille Simonin, mon arrière-grand-père, fut à l'origine de la construction de la synagogue de sa ville, Schirmeck, alors allemande, en 1905 et en tant que président de la communauté, acheta le terrain, s'assura de son financement jusqu'à obtenir une participation de l'Empereur. De la même manière, un de ses oncles, Léopold Simonin, installé à Reims, fut simultanément président de la communauté et membre d'une loge maçonnique, illustrant comme le fera plus tard son neveu un engagement républicain n'effaçant jamais totalement, ou ne le voulant pas, les origines.

L'on me rétorquera, non à tort, qu'être juif, a fortiori en ces terres alsaciennes, est bien différent qu'y avoir été catholique voire même protestant. Sans doute, la catholicité, en terre française, fut-elle longtemps une évidence en tout cas un réponse tandis que la judéité y demeura plutôt une exception difficile sinon un problème ; une question en tout cas. Mais en Alsace, au moins depuis la Réforme, il fallut bien, malgré les velléités de Louis XIV d'arracher ces régions à l'emprise luthérienne, il fallut bien, dis-je, composer avec le protestantisme et partager même parfois les lieux de culte.

Il n'empêche : les derniers pogromes eurent lieu à la fin du XVIIIe et quelque chose comme une coexistence pacifique - forcée, certes, mais apaisée au fil du temps - liait en même temps qu'opposait les trois communautés. Comment expliquer alors que mes ancêtres, profitant du décret de Bayonne imposant au juifs de porter des patronymes fixes, abandonnèrent pourtant le patronyme Simon pour Simonin qui sonnait bon son catholique vosgien ou franc-comtois sinon pour se fondre dans la masse et signaler sa forte volonté d'assimilation ? Français d'abord, alsacien ensuite, juif enfin proclamait-on dans ma famille - même si l'ordre des deux premiers selon les périodes tendit à s'inverser. Mais juif quand même ! C'eût été trahir, sans doute, que de chercher à en ensevelir les ultimes rémanences.

Mais il faut croire que la judéité colle à la peau. Ironie de l'histoire, on vint le chercher en 19 pour compléter la liste du Bloc National : il fallait un juif pour parfaire le tableau. Certes, son engagement en 1912 au moment de la réforme constitutionnelle lui valut quelque notoriété dans la vallée et d'être ainsi repéré comme francophile invétéré ce qui impliqua son arrestation en 14 et sa mise en résidence surveillée jusqu'en 18 : il s'agissait alors de répondre aux récriminations contre un Reichsland, directement administré par Berlin, qui faisait des alsaciens des sujets allemands de seconde zone mais surtout d'étouffer dans l'œuf un sentiment francophile renaissant. C'est le contraire qui se produisit. Ironie de l'histoire c'est alors le francophile que traquèrent les allemands ; mais le juif que chercheront les français.

Ironie répétée en 40 : son fils, fait prisonnier à Sarrebourg, à l'issue de la Blitzkrieg - l'armée de l'Est ne s'était pas même battue, encerclée qu'elle fut - apprend qu'on le cherche et s'évade. Mais c'était l'anti-allemand qu'on chercha alors ; pas le juif. Il faudra Vichy et sa grande trahison, son statut des juifs et sa politique de collaboration, pour que mon grand-père réalise combien, décidément, même pour les meilleurs d'entre les français, même pour les plus ouverts d'entre les résistants, il ne serait jamais qu'un juif … Cette amertume, il l'emporta avec lui mais quelque chose de délétère murit alors qui contredit le soucis d'assimilation et qui plus tard renforcera un sionisme ombrageux et sinon intolérant, en tout cas, dangereusement replié sur lui-même.

C'est assez suggérer que la religiosité est affaire d'identité - et s'entend au reste ainsi - dans l'acception la plus funeste du terme, celle des racines. Au même titre qu'il y a peu on s'épancha sur les pseudo racines chrétiennes de l'Europe, aujourd'hui on invoque ses origines religieuses soit pour exclure l'autre, soit pour se protéger de lui. Comme si cette essentialisation de nos rites, coutumes et mœurs pouvait rasséréner la grande peur du devenir et de l'incertitude. M Serres avait, en son temps, suffisamment explicité combien la question de l'identité confondait dangereusement la question de l'être et de l'appartenance tant en réalité notre individualité se définit plutôt par des réseaux d'appartenances consécutifs et simultanés que par une pseudo-essence qui en réalité n'est que la trace illusoire laissée à un moment donné d'un processus continu. C'est assez suggérer que cette religiosité s'inscrit à l'exacte intersection entre l'individu et le collectif, entre l'intimité d'une croyance, piété ou foi et l'extimité de toute vie sociale. Il m'arrive de penser que si nos métiers, occupations sociales diverses disent quelque chose sur ce que nous voulons faire de nos vies, la religiosité - comme toute croyance - dit quelque chose sur l'humain que nous cherchons à devenir.