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Histoires de mecs …

Coup sur coup, mais sans doute y en eut-il d'autres ces deux articles que j'ai repérés se posant la question de l'identité sexuelle. Une ITV de Cyrulnik - le grand contempteur de la résilience - et ce point de vue de E Coccia. Le contexte explique en partie la parution de ce type d'article ; aide à comprendre l'interrogation sous-jacente.

Entre la dénonciation @metoo, les diverses révélations - mais aussi silences - autour des viols, actes pédophiles voire incestes - comment ne pas s'interroger sur cette virilité qui s'avère si odieusement criminelle, si aisément obscène ? J'en étais presque à me demander si et dans quelle mesure la sexualité n'était pas le pire des risques, le plus incroyable des défis et, pourquoi pas, la plus implacable des malédictions, la plus insidieuse des calamités … et à me demander, pour la première fois, si n'était pas justifié en fin de compte l'utilisation du terme genre plutôt que sexe pour envisager la question de l'identité même si m'agace toujours cet usage du néologisme genré d'une laideur absolue !

Que veut dire être un homme ? ceci se limite-t-il à sa sexualité ? Evidemment non ! Cette virilité est-elle nécessairement ostentatoire, agressive, violente ? et si sottement imbue d'elle-même ? si vaniteuse ? Question que je me pose spontanément d'autant plus que je ne me reconnais pas dans ces représentations qu'on en fait ? dans celles odieuses que l'actualité nous présente.

Même si Cyrulnik m'agace souvent de n'avoir rien à entonner d'autre que le grand air de la résilience et de n'avoir finalement rien fait d'autre dans le domaine des sciences que d'importer ici un concept provenant de la mécanique et de la physique, on aurait pu attendre du célèbre neurologue - ainsi que l'hebdomadaire le définit - quelque nouveauté qui nous aidât à comprendre ce que nous faisait espérer l'intitulé fracassant de l'article - A quoi nous sert aujourd'hui un corps d'homme ? - même s'il fut assurément plutôt concocté par la rédaction.

Au lieu de cela rien, rien d'autre que des affirmations, pertinentes, certes, mais recuites sur les liens entre le psychologique et le somatique, allant jusqu'à retrouver la question cartésienne de l'organe chargé de la jonction entre âme et corps ; sur l'inné et l'acquis voire sur nature et culture. Que les sciences soient conduites périodiquement à poser et reposer les questions canoniques est évidemment normal et salutaire ; l'histoire des sciences laissent ainsi parfois à observer comme des cycles où l'on présentera tantôt comme révolutionnaires de trouver causes psychiques à des symptômes somatiques tantôt comme décisifs la découvertes de causes génétiques à les maladies que l'on avait crues psychiques. Que nous n'appréhendions jamais le réel directement mais à travers le prisme de nos catégories mentales ceci nous le savions depuis Kant, non ? Que nous résultions d'une interaction continue entre les deux domaines où le chimique, l'affectif et le social s'imbriquent étroitement pour former à proprement parler la texture de notre être, qui oserait prétendre que nous ne le sachions depuis longtemps ? Que le langage ne soit pas la simple reproduction de la réalité mais implique une véritable métaphysique implicite, nous le savons depuis Saussure ; que dans les rapports entre nature et culture ce soit le et qui pose question, qui mieux que F Jacob ne l'aura exprimé il y a 50 ans déjà ; que l'intrication entre les deux soit telle que chacun participe à la production de l'autre, n'est-ce pas chose que la pensée complexe nous aura aidé à comprendre avec la notion de boucle de rétroaction ?

Rien de neuf sinon que ceci est exprimé du côté de la neurologie et non pas des sciences humaines ! rien de neuf comme si notre pensée ne pouvait en fin de compte qu'osciller entre des bornes repérées dès les aubes grecques !

Même pas originale cette incursion dans l'histoire qui fait de la violence un effet d'un bouleversement climatique qui eût ruiné les ressources alimentaires de l'homme et l'eût condamné à la chasse d'animaux plus puissants que lui. Rousseau l'avait déjà suggéré : Supposez un printemps perpétuel … et Freud a suffisamment souligné la part d'agressivité que comporte toute pulsion pour qu'il soit nécessaire de le relever.

J'ai pourtant quelque difficulté à lier directement la violence à la virilité la croyant intimement liée à l'existence elle-même plutôt qu'à la seule virilité. Ce que révèle le récit de la Genèse s'agissant du péché originel et l'interdit préalable de manger de l'arbre de la connaissance dit assez la fatalité où se trouve l'homme de ne pouvoir survivre qu'en détruisant, tuant d'autres espèces ; le défi où il se trouve d'avoir à juguler cette violence. Comment expliquer autrement que le conflit entre Caïn et Abel, provoqué par la jalousie du paysan qui voit son offrande négligée au profit de celle de son frère berger, débouche sur un meurtre certes condamné mais puni seulement par l'exil de Caïn par ailleurs protégé par une marque que lui fait Dieu ? La symbolique est bien plus riche ici que ne le serait un antagonisme de mâles bourrés de testostérone : elle révèle le conflit mimétique et l'impossibilité pour une stratégie sacrificielle de résoudre le problème ; mais encore par cette référence à l'élevage à l'obligation qui lui est faite d'occuper la terre ; de l'exploiter et, derechef de la souiller.

Je ne connais pas d'autre malédiction que de ne pouvoir vivre sans détruire ni d'autre défi que de parvenir en saccageant le moins possible, en n'enlaidissant point le monde ; en ne le plombant pas d'une pesanteur inutile.

On ne saurait évidemment tenir pour négligeable la condition paradoxale mais néanmoins toujours soumise où la culture méditerranéenne a reclus la femme : on ne peut néanmoins pas ignorer que l'interdit de la violence tel qu'il est formulé dans le Décalogue en suppose toutes les formes non exclusivement le fait des hommes.

Enfin je ne tiens pas pour anodin que si vertu vient effectivement de vir - l'homme - la vertu désigne d'abord la valeur et les qualités qu'a un être une chose, qualité pas nécessairement visible et assurément à développer. C'est bien ainsi qu'on évoquera par exemple la vertu d'une race d'animaux. La vertu, la virilité donc, n'est pas tant la force, l'agressivité que l'on est amené à déployer, que les qualités que par ses actes, efforts et entraînement l'on fait passer de la puissance à l'acte ; de l'implicite à l'explicite.

Alors oui, identité sexuelle a bien affaire à des représentations éminemment culturelles qui associent par exemple extériorité, action, autorité et pouvoir à l'homme quand intériorité, sentiment et soumission à l'ordre seraient le propre de la femme. Je reste intimement convaincu en revanche que l'identité sexuelle ne se limite pas à la sexualité elle-même. J'y vois des désirs, des pulsions, des représentations autant que des fantasmes ; des passions surtout que l'on parvient plus ou moins à maîtriser, à juguler ou à canaliser qui nous donnent effectivement l'illusion d'un dualisme raison/passion ou âme/corps qui pour être fallacieux n'en est pas pour autant faux. Qui nous rappelle constamment et parfois durement que nous ne sommes pas que cela.

J'avoue être plus sensible à cette remarque de Coccia rappelant que nous ne sommes que face à l'autre et que, ce qui est vrai de l'individu en général, l'est aussi de notre identité sexuelle.

Ce qui se dit ici va au-delà de ce que l'on présume habituellement d'une féminité ou d'une virilité qui se construit, n'est donc jamais un état, s'élabore d'autant de culture que de volonté, de chimie que de physique. Ce qui est exact. Il y a ici, en plus, l'idée d'une co-construction où l'un produit l'autre dans le face-à-face nécessaire de l'homme et de la femme qui fait de nous des mystères jamais véritablement résolus et qui ne le doivent surtout pas.

Je crois bien ne pas savoir ce qu'est être un homme et être à peu près certain que la question n'a pas beaucoup de sens. Tout au long de nos existences nous tâchons, au moins mal, de faire avec ce que nous sommes, dans le contexte, société, époque et contraintes où nous évoluons. Notre sexe individuel est une réponse, provisoire et peut-être changeante, aux réseaux de déterminismes qui nous élaborent. Et, au même titre que la féminité ne se réduit pas à l'enfantement, la virilité ne saurait se cantonner à la force orgueilleusement exposée et impérieusement imposée. Je comprends bien en quoi les morales étriquées d'autrefois pouvaient étouffer ; je devine bien aussi en quoi elles étaient rassurantes fixant à chacune et à chacun un programme, des tâches, des manières d'être à quoi il était dangereux de se soustraire mais valorisant socialement de respecter.

S'inventer est une aventure ! il y faut du courage. Donc du cœur. Quand je lis ça et là les récriminations obscènes des suprémacistes blancs ou les pleurnicheries acariâtres de ceux qui pointent une guerre d’extermination de l’homme blanc hétérosexuel je comprends bien qu'il s'agit de l'orgueil blessé d'une hégémonie perdue. D'une revanche à prendre sur un déclin supposé.

Inventer son identité dans le voisinage de l'autre, avec l'autre et dans le regard de l'autre ne saurait être affaire de négation. Lévinas avait raison : de visage. J'aime que dans ce visage s'enchevêtrent l'intime le plus secret et l'universel le plus éclatant.

Reste cette face sombre de la sexualité : viol ; inceste ; domination et autre ségrégation. Je sais seulement, pour n'y comprendre autre chose, qu'en ces perversités comme en toute violence, il y a réduction de l'autre à l'état de chose. Le figer en une essence limitée et inférieure est une des formes de cette réification ; le meurtre l'autre. Viol, esclavage une autre encore qui se joue de l'instrumentalisation. Toutes récusent le devenir et l'être.

Cette face, j'avoue ne pas la comprendre.

Elle me permet seulement de savoir combien ce qui est difficile dans la relation à l'autre ce n'est pas le plaisir, ni plus celui qu'on donne que celui qu'on éprouve, c'est bien plutôt l'engagement à toujours regarder l'autre comme un devenir autre ; comme quelqu'un qui à sa manière s'éloigne à mesure qu'il s'approche.