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Dégoût ( vulgarités en ricochets)

Cet article paru dans le Monde dressant le portrait de J Veil, avocat et fils de ….

Ce qui m'a dérangé ? Plus que le silence ? Car enfin celui-ci est coutumier - pas excusable pour autant, évidemment - en ce genre d'affaires : qu'il s'étende aux amis, à l'entourage proche n'est au fond en rien surprenant.

La dimension morale !

Certes, il n'a rien fait ! s'est contenté de se taire ou de faire taire - en d'autres cas.

De Strauss-Kahn à Cahuzac en passant par Duhamel, le moins que l'on puisse dire reste que les fréquentations et clients de celui qu'on a eu présenté comme l'avocat le plus puissant de l'année ont fâcheuse tendance à sentir le soufre. Rôle classique et parfois ambigu de l'avocat ? Certes, il doit être délicat, difficile de défendre quelqu'un que l'on sait coupable. Passons, la défense est légitime et nécessaire dans tous les cas. Ce n'est pas un hasard si le milieu d'autrefois les nommait en argot baveux.

Non, car ceci va au-delà.

Jusqu'à un dévoiement de solidarité. Ici on privilégie la solidarité avec les amis, les puissants, les positions sociales … au détriment de la défense du faible, de la victime. Il suffit de relire Jaspers pour le comprendre. Celui-ci savait, s'est tu ; n'a rien dit ni fait ; a même, par des paroles maladroites ou odieusement provocatrices, semblé minimiser la gravité de l'acte.

Au sens de Jaspers, on est ici au creux de la responsabilité métaphysique et sans doute sommes-nous à cet égard tous coupables - sans pour autant sombrer dans une mauvaise conscience chronique - de n'être jamais capables d'aller jusqu'au bout de nos convictions et engagements, de faire comme si nous ne savions pas et de nous satisfaire par ailleurs assez aisément d'une ignorance qui nous arrange. Le piège d'en rester là serait qu'à généraliser cette culpabilité on la diminuerait d'autant qu'elle en serait inaccessible et surtout non imputable.

Sauf que ! il s'agit aussi d'une culpabilité morale. Tout acte, mais aussi tout non-acte est toujours en définitive individuel. Sans doute est-ce à Veil de se regarder en face ! et de ne pas se contenter de ces pirouettes, détestables parfois, souvent méprisantes, dont il est coutumier.

Qu'on le veuille ou non, nous portons tous en nous une limite de ce qui nous semble acceptable ; en deçà de quoi nous sommes encore disposés à faire des compromis voire à fermer les yeux ; au-delà de quoi nous nous insurgeons ; refusons de nous taire ou de demeurer impassibles. Ce qui veut dire ici, de fait, que pour Veil, la violence faite à un pré-adolescent, lui sembla moins importante que la fidélité à un ami ; que la défense d'une position sociale. La place où nous traçons cette ligne dit beaucoup sur nous. Sur notre moralité.

Et là, dans ce cas …!

C'est cette solidarité de nantis, cette insolence de puissants, cette certitude de l'impunité qui dérange. Mais c'est l'inqualifiable mépris pour la victime qui scandalise.

Quelque chose de pourri dans ce Tout-Paris qui scintille d'insoutenables noirceurs.

 

 


Affaire Duhamel : Jean Veil, l’ami avocat qui savait tout
Par Ariane Chemin

ENQUÊTE

L’avocat, connu pour avoir défendu Dominique Strauss-Kahn, est un intime du politologue Olivier Duhamel, accusé d’inceste. Il admet avoir eu connaissance des faits, et peine à dessiner sa défense.

Il savait tout. Il n’a rien dit. Il a laissé filer et il assume. « Secret professionnel » : sa ligne de défense tient en ces deux mots et confine auverrouillage.Bravache et sacrément « ancien monde », quand on parle d’un crime tel que l’inceste, imposé selon la victime plusieurs années durant par son ami et associé Olivier Duhamel à son beau-fils, alors âgé de 13 ou 14 ans. C’est ainsi chez l’avocat Jean Veil : pas de place pour la morale, le doute ou l’apitoiement ; le droit, rien que le droit.

Il savait depuis au moins dix ans. « C’était entre 2008 et 2011 », raconte-t-il au Monde. A 73 ans, Me Veil consigne encore soigneusement tous ses rendez-vous, au quart d’heure près, dans des agendas rangés près de lui. Mais pour celui-là, aujourd’hui si important, il reste dans le flou. Dans son souvenir, l’actrice Marie-France Pisier était venue « au bureau ou à déjeuner, je ne sais plus ». Depuis qu’elle a appris queson neveu a été abusé sexuellement, une vingtaine d’années plus tôt, par Olivier Duhamel, mari de sa sœur Evelyne, elle veut crier sa colère au Tout-Paris et au célèbre avocat. « La conversation sur ce sujet a duré peu de temps, témoigne Me Veil. Je n’ai pas trouvé opportun d’en parler avec Olivier. Je ne suis pas un type curieux ; dans les drames de famille, je n’aime pas être indiscret. »

L’actrice n’a pas choisi n’importe quel interlocuteur. Voilà un demi-siècle que Jean Veil et Olivier Duhamel se fréquentent. Tous deux sont des enfants de ministres du même bord, centristes et européens. Ils se sont connus adolescents dans des salons remplis de gens importants où régnaient leurs parents, Simone et Antoine d’un côté, Jacques et Colette de l’autre – un mélange très français de politique, d’affaires et de culture. L’avocat fut d’abord l’ami de Jérôme, l’aîné des Duhamel. A la mort de ce dernier dans un accident de voiture, en juillet 1971, son amitiése cristallise sur Olivier, le frère cadet.

Jean Veil savait, mais se contentait d’observer son « ami absolu » poursuivre son ascension, happé vers le haut malgré le poids du secret

Jusqu’à son troisième mariage, en 1987, Jean Veil a passé tous ses étés à Sanary, dans la propriété varoise des Duhamel. « Amis absolus », c’est ainsi qu’il a un jour désigné Olivier et son autre intime, feu le constitutionnaliste Guy Carcassonne. Un trio pour lequel il n’y avait pas de secrets, où les services se rendaient sans poser de questions. A la vie à la mort, comme dans les clans,et bouche cousue.

Fidèle à ces principes, Jean Veil a excusé la faute sans voir le délit ou le crime, ni rien changer à ses habitudes ou prendre ses distances. Jean Veil savait, mais se contentait d’observer son« ami absolu » poursuivre son ascension, happé vers le haut malgré le poids du secret, jusqu’à la tête de ce qu’il y a de plus sélect et de plus fermé chez les élites intellectuelles françaises : la présidence de la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP) puis celle du Siècle, ce club qui réunit tous les mois le gratin du pouvoir.

Les deux hommes ont partagé jusqu’au plaisir d’écrire à quatre mains. Ce livre, notamment : La Parole est à l’avocat, sorti chez Dalloz en 2014 et réédité en 2020, l’année où Jean Veil publie pour sa part, chez L’Archipel, un recueil « des plus belles citations sur le courage ». Dans le dictionnaire du duo Veil-Duhamel, les entrées « enfant »« inceste »« viol »« consentement » et « famille » sont absentes.

Leur première collaboration, c’est encore Olivier Duhamel qui en parle le mieux. En 2018, alors qu’il préside la FNSP, il consacre un « roman vrai » à son père et à sa mère, Colette, une femme de caractère qui, après la mort de son mari, en 1977, épousa Claude Gallimard, patron de la prestigieuse maison d’édition. Celui-ci est vite gagné par la maladie. Colette, redoutable femme d’affaires, le conseille sur sa succession. Parfois, elle rêve tout haut et se dit que le meilleur pour diriger pareille institution serait son propre fils, Olivier. Mais puisqu’il faut un héritier Gallimard à la tête de la maison, elle affiche ses préférences : Antoine plutôt que son frère Christian.

Etranges méthodes de persuasion

« Colette voulait que Gallimard édite la revue Pouvoirs », créée par son fils Olivier en 1977, nous confie ce même Christian Gallimard, fondateur de la maison d’édition Calligram et désormais installé en Suisse. « J’avais deviné que c’était un moyen de le faire entrer dans la maison », poursuit-il. Il croit deviner des manœuvres et compte bien s’y opposer. Colette s’en émeut auprès d’Olivier, qui la rassure : « Ne t’inquiète pas, maman chérie, je vais trouver le moyen de le faire taire. » Dans la foulée, il appelle Jean Veil, lequel tente d’intervenir auprès des avocats de Christian.

La suite, c’est Olivier Duhamel en personne qui l’écrit,dévoilant au passage d’étranges méthodes de persuasion. Face à Christian Gallimard, il décide d’employer ce qu’il appelle les « grands moyens ». Son récit, façon polar, se passe de commentaires :

« Tu arrêtes, sinon je te ferai taire, lance l’auteur à l’héritier Gallimard (…).

– C’est une menace ?, répond ce dernier.

– Absolument, répond alors Duhamel. J’ai un ami dans le grand banditisme. S’il le faut, j’embaucherai un tueur à gages.

– Tu plaisantes ?

– Pas le moins du monde. Si tu n’arrêtes pas, dans un mois tu es mort », écrit encore Olivier Duhamel, en concluant son récit par ces deux mots : « Il arrêta. »

Jean Veil assure n’avoir pas lu le livre de son ami, mais il se souvient, en riant, que pour sa petite intervention dans ce dossier le groupe l’avait rémunéré « avec une collection complète de La Pléiade ».

Ce cynisme rigolard et blasé, Jean Veil en a longtemps fait sa marque de fabrique. Emporté par la tourmente publique de cette affaire d’inceste, il peine encore à y résister. Reste qu’à l’heure de #metoo, il est des proximités difficilement défendables, même recouvertes de l’habit de l’amitié. Ses propres enfants, notamment sa fille, journaliste, sont furieux – effet de génération. Son frère cadet, Pierre-François, associé dans son cabinet, le soutient sans états d’âme (il a téléphoné au philosophe Alain Finkielkraut pour le féliciter de sa prestation si controversée sur LCI), mais à côté, combien de regards qui se détournent ?

La récente publication chez Seuil de La Familia grande, de Camille Kouchner, sœur jumelle de l’adolescent abusé, a changé la donne. Pourquoi n’avoir rien dit ? Jean Veil n’exprime aucun remords. « Que fallait-il faire ? La victime ne parlait pas, Camille Kouchner me demandait des conseils sur son avenir de juriste, j’ai su que son jumeau s’était marié et avait eu des enfants. Au passage, la gémellité est importante dans cette histoire. »

Pour la première fois de sa vie, il assume sa défense et non celle des autres ; et ses arguments glacent souvent au lieu de convaincre. Et puis, rien n’est clair dans cette affaire… A-t-il vraiment assuré au directeur de Sciences Po, Frédéric Mion, alerté au sujet des agissements d’Olivier Duhamel, que cette histoire d’inceste n’était qu’un pur racontar ? L’avocat confirme ce témoignage si utile à l’institution, elle aussi critiquée. « C’est vrai, Frédéric Mion est venu à mon bureau. Je lui ai caché la vérité. » Il y a quelques jours, il s’est excusé, par SMS, auprès de l’intéressé « de ne pas avoir pu lui dire ».

L’avocat Jean Veil, en octobre 2014.L’avocat Jean Veil, en octobre 2014. JOEL SAGET / AFP

Le 15 janvier, nouveau coup de projecteur sur lui : il démissionne avec fracas du Siècle. La fille du fondateur du club, Marianne Bérard-Quelin, a osé lui demander ses intentions après le départ d’Olivier Duhamel et du préfet d’Ile-de-France, Marc Guillaume. Cette simple question l’a mis hors de lui. « J’ai été assez désagréable, convient-il, ça m’arrive souvent. Et je suis parti. » Il joue maintenant au fier en expliquant que, de toute façon, il allait bientôt atteindre la limite d’âge, et que, « franchement, on s’emmerde beaucoup au Siècle. Au conseil d’administration, il y a désormais la parité, on ne peut plus blaguer. »

Habile manœuvrier

Les pirouettes, il en a l’habitude. En janvier 2017, tout juste sacré avocat « le plus puissant de l’année » par le magazine GQ, il est invité à la télévision. Question d’une journaliste : « Ne faut-il pas mentir quand on est avocat ? » Esquive du pénaliste : « Il ne faut pas être pris quand on ment. » Trois ans plus tard, en pleine affaire Duhamel, l’habile manœuvrier ne peut plus s’en tirer par des parades. Avec Jacques Chirac, Dominique Strauss-Kahn ou Jérôme Cahuzac, il s’était pourtant rodé à défendre les puissants lorsqu’ils mordaient la poussière…

Ses grandes années professionnelles commencent en 1998. Cette année-là, alors qu’il n’est pas encore une puissance du barreau, l’occasion se présente de sortir du rang. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’économie, est rattrapé par une vieille histoire : des honoraires perçus de la MNEF, une mutuelle étudiante proche du PS et pour laquelle, comme avocat, il a – un peu… – travaillé. Alors qu’on parle d’une prochaine mise en examen de DSK, Jean Veil appelle son épouse, Anne Sinclair. « Je peux peut-être rendre service à Dominique ? »

Le voici désormais dans une autre sphère. En marge de ce dossier, il perfectionne une méthode bien à lui. Règle de base : toujours s’entendre en amont avec les juges, souvent sensibles à son statut de fils de Simone Veil. Rester dans l’ombre et empêcher la diffusion d’images de ses clients à l’arrière de leur voiture et, pour cela, décaler, au dernier moment, les dates d’audition. Trouver pour ces occasions des entrées discrètes.Ne pas hésiter à monter au front avant le combat judiciaire, rechercher des soutiens, parfois intimider.

DSK lui a trouvé un allié : Ramzi Khiroun, un jeune homme rencontré à Sarcelles (Val-d’Oise), qui, à force de débrouillardise, a vite su se rendre indispensable. « Jean, voilà ton cauchemar, lui lance DSK. Il ne fait pas ce que tu fais, tu ne fais pas ce qu’il fait. Ensemble, on va s’en sortir plus facilement. » A 49 ans, Ramzi Khiroun est aujourd’hui le principal conseiller d’Arnaud Lagardère et membre du comité exécutif du groupe de communication dont Jean Veil a longtemps été l’un des avocats. Depuis un an, les deux hommes sont brouillés. « Nous nous sommes séparés sur des désaccords stratégiques », élude M. Khiroun. Jusqu’à l’affaire du Sofitel, en mai 2011, puis du procès du Carlton, le duo avait pourtant travaillé harmonieusement sur les diverses affaires concernant DSK.

A gauche comme à droite, la palette des amitiés de Jean Veil est impressionnante. Mais c’est bien là, en Strauss-Kahnie, qu’il a trouvé ses meilleurs dossiers. En 2013, il hérite ainsi de celui de Jérôme Cahuzac, ce ministre du budget détenteur d’un compte en Suisse. Il travaille de nouveau avec une autre alliée : la communicante Anne Hommel, déjà sollicitée après l’arrestation de DSK dans l’affaire du Sofitel de New York. Ensemble, pour le protéger, ils ont orchestré des campagnes pour discréditer ou affaiblir le témoignage de victimes d’agressions. Anne Hommel pense aussi que, dans son boulot, « la vérité n’est pas un sujet ».

Aveux de Cahuzac, chute politique de DSK, Jean Veil en a déjà beaucoup vu quand, en 2013, il déjeuneavec son vieil ami Duhamel, désormaisassocié à son cabinet. Ce jour-là, le politologue lui avoue, « sans détails » d’après lui, son « histoire avec le fils d’Evelyne ». Et pose une question : « Si ça éclate, seras-tu mon avocat ? » Jean Veil sait que cela ne sera pas possible, sans imaginer que ce pas de côté ne suffira pas à le protéger, à l’heure de la déflagration.

« J’ai répondu que nous étions beaucoup trop proches pour que je puisse avoir de l’autorité sur lui, que je serais trop dans l’affect, précise-t-il. J’ai dû aussi essayer de le rassurer. » Ce jour-là, autour de la table, les deux amis soupèsent les chances de voir le scandale éclater. S’interrogent-ils aussi sur la manière de l’empêcher ? Jean Veil sort une fois de plus son joker : « secret professionnel », une formule magique censée le protèger même lorsqu’il ôte sa robe d’avocat.