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Rituel

Celui-ci est connu - et bien dans les manières américaines où Dieu est présent partout sans que ceci confère au reste plus de moralité aux politiques suivies. L'acte qui crée le président est cette prestation de serment. Outre la fonction sacrale du serment, qui est manière à la fois d'accepter la charge et de s'engager à ne pas mentir et donc à ce que vos actes futurs toujours répondent à vos paroles (Agamben) il y a manière ici d'entrecroiser histoire et métaphysique, verticalité et horisontalité. Cette Bible, dite de Douai, monumentale, est une Bible familiale quand nombreux parmi ses prédécesseurs choisirent de prêter serment sur la Bible de Lincoln. Obama le faisant à la fois sur celle de Lincoln et celle de Martin Luther King.

Affaire de symbole donc.

Les américains savent orchestrer ces choses-là avec ce qu'il faut de solennité (main sur le cœur) d'ordre politique (la présence, sauf cette fois-ci, du prédécesseur) et cette once de petite mièvrerie familiale (époux gravissant les marches main dans la main). Il faut bien mettre un peu d'émotion, de proximité ou d'humanité dans ce rituel qui en réalité fait quitter le monde ordinaire à l'impétrant et l'éloigne par tous les petits dispositifs de sécurité et symboles du pouvoir de la vie du citoyen ordinaire. Bientôt le deus sera ex machina.

Rituel sacrificiel surtout.

Je m'amuse d'entendre les commentaires des bavards du jour dissertant sur la rupture en train de se jouer ou la difficulté de la négocier ; sur l'importance de tel ou tel mot présent ou absent dans le discours inaugural. Jusqu'à cet excellent : J Biden a vécu aujourd'hui le plus facile ; le difficile commence demain !

Pardi ! on ne l'aurait pas deviné !

Je ne puis pas, me souvenant de la leçon de R Girard, ne pas considérer ici comme ailleurs, ce genre de rites de passassion, bien au-delà de la mise en scène de la continuité de l'Etat, comme un sacrifice. La nation divisée se rassemble pour supplicier le sortant et procéder à l'incarnation de celui qui dans quatre ou huit ans sera supplicié à son tour. La nation est supposée s'y rassembler et transcender ses violences.

Gare à l'échec ! Qu'échoue l'incarnation, alors la violence qui avait seulement été camouflée sous le boisseau, resurgira plus fracassante encore. Qu'on ne s'y méprenne pas : l'unité d'une Nation - et d'un peuple, ce qui n'est pas tout à fait la même chose - plus souvent proclamée que mesurable et vérifiable, est alchimie bien fragile, bien incertaine ; presque miraculeuse. Œuvre à toujours remettre sur l'établi ; jamais achevée, jamais véritablement réussie. En période de crise, les comptes se règlent ; les fissures se creusent. Qui sont des instants de vérité.

Que Trump eût plutôt été président à souffler sur les braises et remuer le couteau dans les plaies ne fait aucun doute ; il n'aura pourtant fait qu'exacerber des tensions latentes, qui couvaient et ne demandaient qu'à être émoustillées. Mais l'un chassant l'autre, dans cette foire aux vanités, dans ce manège invraisemblable d'impuissances, sans doute les choses reviendront demain au même, à mesure même qu'on les crut bouleversées. Celui-ci est sans doute un brave type. Ce qu'il pourra sera de toute manière bien peu face à la horde de désillusions. Demain la chanson tournera, à l'envers, le même refrain.

Tout vient. Tout passe. L'espace efface le bruit.