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entre acte et pensée

 

Crise qui renâcle à se terminer ; promenade que l'on entreprend en dépit d'un temps médiocre, par seule crainte de ne plus le pouvoir demain … Etrange période décidément. Alors en dépit d'un itinéraire cent fois repris depuis bientôt un an, s'entêter à bien regarder. Parfois surgissent surprises ou émotion.

Parfois des curiosités ou de franche drôleries.

Cet après-midi sous le pont de Grenelle, une musique entraînante et en s'approchant, des amateurs en nombre grandissant, se mettant à danser. La chose fut elle organisée par quelque maître de danse en mal de salle où exercer son office ou bien au contraire fut elle improvisée dans les règles de cette période foutraque qui restreint toute socialité à son expression minimale et la spontanéité à un exercice de haute-voltige ?

Comment savoir ?

Entre chantiers et rambardes, barrières qui ne retiennent rien et ultimes flaques d'eau ne s'attardant que pour mieux nous obséder de pluies insistantes, les voici s'attroupant, ne s'occupant de rien ni personne tout impatients de laisser libre cours à ces corps engourdis de confinement.

Je n'ai jamais rien compris à la danse trop empêtré sans doute de mon corps avec qui je ne pus jamais faire la paix et qui résista tant à mes injonctions qu'à mes peines ; mais assez pourtant pour éprouver presque de l'administration pour ceux-là qui, de gestes appris ou spontanés, savaient dessiner quelques figures de grâce en même temps que traits appuyés de joie. Il y a quelque chose dans la danse qui est de l'ordre de la chute rattrapée et, à ce titre, sans doute héritée de techniques rudimentaires, le premier art, le premier chuchotement de beauté. D'entre la pureté éthérée de l'Idée et l'épaisseur svelte de la matière, la danse offre au corps la chance de s'envoler. Elle est promesse de cimes, sans doute.

Je pris peu de photos - peur d'importuner mais trop peu de danseurs encore - lorsqu'un des danseurs s'avança vers moi. Je m'attendais à ce qu'il me morigénât pour quelque intrusion dans leur domaine ou droit à l'image que j'eusse enfreint. Non en fait il souhaita seulement que je lui envoie mes photos.

J'avais oublié que la danse est un spectacle qu'on se donne et donne. Une exhibition qui se fût malaisément accommodée d'humeur empêtrée.

Un peu plus loin d'autres, assis, bavardant ou mangeant, face au fleuve le plus souvent. Même quand elle affecte le gris sale, l'eau s'écoulant, décidément attire sinon toujours la réflexion, au moins le dialogue. Depuis Héraclite nous savons le fleuve dire à la fois le mouvement et l'inerte, l'étonnante stabilité de l'instable. Assis là devant l'eau qui s'écoule, il nous semble en aller de nous comme du temps : comment savoir s'il passe véritablement ou bien plutôt nous qui passerions dans le temps.

Ici, après tant de nuits et de journées gangrenées de pluies insistantes, le fleuve semble vouloir empiéter sur les berges …

Sous le regard impassible d'un canard.