index précédent suivant

 

 

Du neuf

 

Cette délicieuse Une de Libé ! Tout y est résumé de nos hantises, de nos espérances aussi … de nos habitudes encore. `Tout y est ici résumé en quelques mots : se réinventer ; solutions ; reconstruire ; l'autre et le nouveau … Surtout si on y rajoute cet ITV Nous voulons un autre monde, et nous le voulons maintenant !

D'être au gué d'une crise dont nous ne sommes pas encore sortis, en pleine incertitude sur l'état de l'économie et de sa relance ; en pleine certitude au contraire, mais inquiète, sur l'état de la planète et les irrésistibles catastrophes anticipées, comment éviter que ne fleurissent les faux prophètes, grossistes en solutions toutes faites, experts en tout genre ? quant aux innovations, réflexions, propositions … mise à part cette invocation désespérante au neuf !

Bref l'ordre normal d'un monde vivant, qui avance, même s'il ne sait plus depuis longtemps où il veut aller.

J'aime assez que νέος signifie autant jeune que nouveau, tant la hardiesse que l'inexpérience, mais l'inattendu et donc le surprenant … mais est-il jamais rien de véritablement surprenant, n'est-ce pas notre inépuisable orgueil qui nous croit inventer quand finalement nous ne ferions que remettre nos pas dans des traces si anciennes que nous avons méprisé de les seulement considérer.

Paroles de l'Ecclésiaste, fils de David, roi de Jérusalem.
Vanité des vanités, dit l'Ecclésiaste, vanité des vanités, tout est vanité.
Quel avantage revient-il à l'homme de toute la peine qu'il se donne sous le soleil?
Une génération s'en va, une autre vient, et la terre subsiste toujours.
Le soleil se lève, le soleil se couche; il soupire après le lieu d'où il se lève de nouveau.
Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits.
Tous les fleuves vont à la mer, et la mer n'est point remplie; ils continuent à aller vers le lieu où ils se dirigent.
Toutes choses sont en travail au delà de ce qu'on peut dire; l'oeil ne se rassasie pas de voir, et l'oreille ne se lasse pas d'entendre.
Ce qui a été, c'est ce qui sera, et ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera, il n'y a rien de nouveau sous le soleil.
S'il est une chose dont on dise: Vois ceci, c'est nouveau! cette chose existait déjà dans les siècles qui nous ont précédés.
On ne se souvient pas de ce qui est ancien; et ce qui arrivera dans la suite ne laissera pas de souvenir chez ceux qui vivront plus tard.
Ecc , 1,1-12

J'aime assez qu'inventer signifie aussi trouver comme on invente un trésor ! C'est venir mais c'est surtout découvrir : autant dire non pas créer mais simplement dévoiler où d'aucuns virent ce que la vérité peut receler de processus.

Rien de nouveau … pourquoi suis-je hanté par cette formule ? Par conservatisme chevillé au corps, par simple crainte de ce qui change et bouleverserait les habitudes ? Signe d'un vieillissement désormais largement entamé qui me ferait dans les âmes comme dans les choses considérer plutôt ce qui se fige que ce qui s'ébroue ?

Une disposition d'esprit ? Pas seulement ! Il n'est pas de culture humaine qu'une conception du temps ne nourrisse en même temps qu'elle n'est nourrie par elle. On ne comprendra jamais rien à la pensée grecque si l'on oublie sa conception cyclique du temps. Ni rien à notre propre culture ni ainsi à notre histoire si nous oubliions que le créationnisme qui définit tant le judaïsme et le christianisme aura produit un temps linéaire où l'irruption de l'événement, de l'inédit peut être aussi bien l'horizon de l'espérance absolue ou de la déshérence eschatologique. Que la modernité ait fait basculer l'âge d'or du début vers la fin de l'histoire se donnant l'illusion rassurante d'un progrès inéluctable ne change rien à l'affaire : elle refusa seulement l'absurde d'un récit plein de bruit et de fureur

Est-ce habitude de philosophe que d'ainsi vouloir toujours saisir la réalité par quelque théorie sous-jacente quand d'autres traqueraient plutôt l'inédit ? Question non de point de vue mais de perspective. Je ne puis oublier les trois couches de temporalité repérées par Braudel ! Qui nierait qu'on puisse tout aussi bien regarder les péripéties de l'actualité comme la houle agitée qui ne bouleverse pas la lente obscurité des grands fonds ? Qui peut oublier que la grande découverte des grecs, indépassable mais confirmée par les sciences modernes, tient à ce que ce ne soit pas le désordre qui fût crise de l'ordre, mais bien au contraire l'ordre une simple et fugace exception du désordre qui constitue le fond infini de l'être. Question de regard entre l'optimiste et le pessimiste ? la bouteille à moitié vide ou pleine ?

Que non ! Vraiment.

Car nous sommes enfermés dans nos représentations sans pouvoir toucher le réel ! Car, enfin, la raison - dont nous savons qu'elle ne procède que d'identité en identité Meyerson p365- n'a de cesse de trouver loi, déterminismes c'est-à-dire des répétitions, comme si la singularité n'était qu'illusion, fugace apparence. Je m'amuse ainsi de constater que ceux-là même qui pointent en moi des tendances foncièrement conservatrices, ceux-là même qui par jeunisme, bougisme ou seulement désir, après tout légitime même si vain, de poser leur marque sur les choses, sont ceux-là même qui veulent organiser, harmoniser … c'est-à-dire généraliser, répéter cela même que seul ils connaissent. Nous n'échappons pas à cette fatalité de vouloir toujours tout ramener aux même recettes que nous connaissons - ce qui explique que l'opinion fonctionne en partie de la même manière que la démarche scientifique. Toujours nous tâchons de ramener aux anciennes formules. Nous nous targons de savoir faire du vieux avec du neuf ; malheureusement, le plus souvent nous ne savons favriquer que du vieux … même à partir du neuf.

Un progressiste n'est peut-être qu'un conservateur qui s'ignore ! ou bien ne sont-ils comme le suggérait de Gaulle que les deux faces d'une même réalité. Sans doute faut-il croire en la nouveauté de l'avenir pour nous décider à agir ; considérer la vanité des innovations pour nous consoler de savoir notre avenir désormais barré ! La Renaissance crut inventer l'avenir en plongeant dans l'antiquité latine. Le Nouveau Monde avait rapidement pris les allures cruelles de l'Ancien. La Révolution s'acheva par la restauration bien mythique d'un empire.

Où l'on retrouve la sottise du couple nature/culture. La présomption de croire que notre entrée dans l'histoire bouleverserait tout. Qui a oublié la démesure imbécile du discours de Dakar ?

Nous n'arrivons pas à imaginer un monde sans nous et il n'est pas faux qu'une réalité sans conscience pour la saisir … Il n'y a sans doute de sujet que face à un objet mais l'inverse est tout aussi exact. Sans doute faut-il imaginer l'avenir et ne cesser jamais de le croire possible : quelle autre solution possédons-nous ? Mais au moins n'être dupés ni par nos illusions, ni par nos préjugés encore moins par la puissance de notre volonté. Oui, bien sûr, il y a des croisées, ici et là … moins nombreuses qu'on ne le voudrait. Est grand acteur ou héros - au sens de Bergson - qui le sent plus que ne le sait d'ailleurs et sait exacerber les vents, gonfler les voiles, entendre où souffle l'Esprit.

Pouvons-nous pourtant supporter que l'histoire soit tragique ?

Il suffit pourtant de considérer la désinvolture avec laquelle nous reportons toujours à plus tard les mesures que l'imminence de la catastrophe climatique appelle pourtant ; le privilège que nous accordons toujours à notre petit confort matériel, en dépit des inégalités, des pollutions et des frustrations que ceci implique. Il suffirait pourtant de mesurer le fossé abyssal qui sépare les indéniables progrès scientifiques et techniques d'un côté, et l'absence totale d'évolution morale de l'humain qui semble parfois n'avoir qu'adapté à son temps, les normes odieuses de ses vanités, vilenies, violences, et haines en tout genre …

Rien, rien n'y fait vraiment : ni le génie humain, ni le déploiement des arts ; ni les incontestables efforts poursuivis ici et là ; malgré tout, par entêtement ; par humanisme aussi admirable qu'obstiné.

Pauvre siècle des Lumières : le bonheur reste décidément toujours une idée nouvelle en Europe, l'épuisement de la planète en plus !

Comment dire autrement notre aveuglement, notre incapacité à rien entendre sinon ce récit biblique, certes religieux et donc mythique, mais en réalité si cruellement métaphysique, si tristement moral, d'un Dieu qui se révèle et échoue à se faire entendre. Mais répète inlassablement le message : après les 7 commandements de la loi noachide, les dix commandements transmis à Moïse, les 613 mitsvot, des prophètes et même un Messager que l'on préfère éliminer, quitte, incroyable gageure, à en porter fièrement la souffrance en sautoir.

Un Dieu faible finissant en croix, certes les Romains ne pouvaient le comprendre.

Un Dieu qui n'arrive pas à se faire entendre en dit pourtant bien long sur notre lourdeur ; notre incapacité à nous réinventer.

Devenir comme des enfants ? Nous n'avons jamais su !