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Lonsdale …

C'est toujours triste de voir partir un acteur et, il faut le dire, beaucoup ces derniers temps s'en allèrent qui avaient fait partie de mon horizon … C'est la loi du genre …

Celui-ci, étrange parfois, ayant à peu près tout joué, s'était il n'y a pas si longtemps illustré, avec ce phrasé étonnant, dans Des hommes et des dieux. Je n'en aurai sans doute pas parlé - il n'était pas, je l'avoue, de mes acteurs préférés - n'était cette ITV trouvée dans le Monde où il affirmait l'importance dans sa vie de la religion.

Je ne suis pas certain au reste que ce soit de la religion en tant que telle dont il parle - même si manifestement il se sentit assez lié à l’Église pour refuser de jouer dans Amen de Costa-Gavras, refusant de lui nuire en rien - mais plutôt de la foi dont il affirme qu'elle le guide en chaque instant et se présente sous la forme

D’une certitude. D’un bonheur. Comme chaque fois que je vois qu’on met en pratique les paroles du Christ : « Aimez-vous les uns les autres. » Et qu’on s’interdit de juger et condamner tout être humain. *

J'ai écrit à plusieurs reprises combien pouvait m'émouvoir cette émotion-ci, ce sentiment d'une présence que l'on appelle la foi - qui signifie quand même aussi confiance - à chaque fois qu'elle n'est pas seulement une posture mais un engagement réel.

Ce que chacun fait de sa foi le regarde, assurément ; nul n'a le droit d'en juger. Mais qu'il n'en fasse rien, qu'elle ne change rien à sa vie ni en sa vie ; qu'elle ne l'augmente pas non plus que les autres qui l'approchent, alors, à coup sûr, ce sera une simple posture ! Donc une imposture.

M'émeut ce bonheur avoué devant la lumière d'un chemin au moins tout autant que cet aveu extrême d'un M Serres concédant : La religion de mon adolescence me manque ; je reste inconsolable de l'avoir perdue. Perdue par la tête, gardée en ma vie et ma conduite. Comment, au moins en une humble petite monnaie, rendre au christianisme les trésors qui réjouirent ma jeunesse ?

Je veux y revenir - mais la chose risque de prendre plus de temps que l'espace consacré à ces notules au jour le jour qui forment ce bloc-notes. J'y reviendrai, assurément.

Mais, auparavant rendre compte de cette formule qui clôt l'entretien :

Y a-t-il beaucoup de croyants dans le milieu des artistes ?

Énormément, mais beaucoup ne veulent pas que cela se sache. Et c’est tellement dommage ! La foi ne devrait pas être un truc à garder jalousement pour soi. C’est à partager. A proclamer !

J'évoquais, avec la fin de la revue Débat, la chape de plomb que firent peser à la fois les grandes officines idéologiques que furent les partis - et notamment le Parti Communiste - et les grands intellectuels engagés qui un beau jour se virent vertement dévalués comme maîtres à penser - avant du reste que ce ne fût au tour de ces grands dévastateurs d'être rapidement néantisés dans le grand brouillage idéologique qui domine actuellement.

J'ai été formé à une époque où le seul débat, qui n'était depuis longtemps plus entre existentialisme athée et chrétien (G Marcel) même plus de savoir si l'on était marxiste ou non, mais seulement si l'on avait ou non fait sa mue anti-stalinienne et avec qui - Mao ou Trotsky ; où la question était de faire entrer la lutte des classes dans la scientificité structurale (Althusser) où la seule question était la césure nette à assurer entre science et idéologie. Quiconque alors se fût proclamé croyant n'eût pas seulement été qualifié puis disqualifié de petit-bourgeois étriqué mais encore de victime stupide voire complaisante de l'idéologie dominante.

Des croyants, j'en côtoyais, mais qui se firent extraordinairement discrets. Au même titre que le juif n'avait droit de cité qu'en se proclamant préalablement pro-palestinien et en taisant l'inéluctable trouble que cette position ne pouvait pas ne pas susciter, le croyant, à quelque obédience qu'il appartînt, se fût disqualifié en avouant ses attaches.

On ne dira jamais assez le poids du regard de l'autre quand ce dernier, d'un revers d'argument ou de motion, peut vous déconsidérer ! On ne dira jamais jamais ce que de souffrance et de solitude peut susciter la réprobation publique. Qu'aujourd'hui la foi se puisse mieux avouer - et encore - ne dit pas pour autant une tolérance plus grande ni d'un côté ni de l'autre d'ailleurs.

Il n'est pas de démarche bicéphale qui vaille : elle vous ferait boiter ou mener en enfer. Il n'est pas d'impasse plus douloureuse que celle qui condamne à se terrer.

Comment ne pas songer, encore et toujours, à ce principe de Socrate auquel Arendt fait référence dans cet entretien déjà citée :

Il existe un autre principe de Socrate qui, à mon avis, en fournit la raison. C'est le suivant : « Mieux vaut être en désaccord avec le monde entier qu'avec moi-même, car je suis un. » En effet, lorsque je ne suis pas en accord avec moi-même, un conflit insurmontable surgit. Il s'agit du principe de contradiction en morale, et il est encore normatif pour l'impératif catégorique [chez Kant]. Ce principe présuppose que je vis effectivement avec moi--même, c'est-à-dire que je suis deux-en-un, et que je peux ainsi dire : « Je ne veux pas faire ceci ou cela. ». Car je ne veux pas vivre avec quelqu'un qui a fait cela. Et si j'avais fait ceci ou cela il n'y aurait alors pas d'autre issue pour moi que le suicide ou, pour le dire dans des catégories chrétiennes, que le retournement et le remords.

Or, vivre en compagnie de soi-même signifie bien sûr parler avec soi-même. Parler avec soi-même, c'est déjà, au fond, la pensée. Et à vrai dire une sorte de pensée qui n'est pas technique, une pensée dont tout un chacun est capable. Par conséquent, le présupposé du principe est le suivant : je dois me tenir compagnie. Et il peut y avoir des situations dans lesquelles je suis tellement en désaccord avec le monde que je ne peux que retomber sur ma propre compagnie - et peut-être encore celle d'un ami, c'est-à-dire l'autre moi, comme l'a dit si joliment un jour Aristote: autos allos Voilà en quoi consiste selon moi la situation de l'impuissance. Et ceux qui se sont sortis de cette affaire sans rien commettre étaient ceux qui avaient admis qu'ils étaient impuissants et qui s'en sont tenus à ce principe, le principe de celui qui pense dans l'impuissance.

 

Non effectivement nul ne peut échapper à sa propre présence ; nul ne se peut fuir pas plus que faire la grève de l'être. Le simulacre, l'hypocrisie, le mensonge ou la dérobade ne tiennent jamais longtemps et minent intérieurement quand même on s'y espère épargner, à l'extérieur, quelque danger ou préserver quelque relation.

Nul jamais ne se peut mentir durablement à soi-même.

Il en est, ils ont raison, qui quoique croyants, ne feront jamais intervenir leur foi dans leur démonstration parce que foi et science ne relèvent pas du même registre. Soit ! Il n'empêche que de devoir se cacher ou en tout cas édulcorer ses positions, attaches et croyances ne serait ce que pour s'éviter embarras et complications, quoique légitime que ce put paraître dut invariablement faire souffrir, déchirer, troubler et mener à la confusion, et sans aller pour autant jusqu'à la trahison, jusqu'au reniement en tout cas.

Pouvaient-ils deviner que ce qu'ils eurent en face d'eux n'avait d'autre nom qu'intolérance, certes, mais aussi foi déviée, fanatisme d'autant plus insoutenable qu'il n'aura jamais fait que déplacer le centre de gravité de sa sottise ou de son absence de pensée.

Paul prescrit de n'avoir pas honte des Évangiles. Bienheureux ceux qui n'eurent pas à en avoir peur.

J'ai, je l'avoue, plein respect pour celui-ci qui, jamais rien ne cacha, et avança, fièrement, proclamant sans bravade mais en toute quiétude, la lumière qui éclaira son chemin.