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Temps et histoire

En lisant tout ou partie des hommages rendus par le Nouvel Obs à Jean Daniel qui l'avait fondé avec C Perdriel ; en lisant ce texte qu'E Morin avait écrit pour le 99e anniversaire de son ami, je n'ai, c'est vrai, pas pu m'empêcher de songer à ce que devait ressentir un homme comme Morin qui, avec la régularité affreuse d'un métronome, voyait disparaître, un à un, ses ultimes amis, ses derniers contemporains. Ni m'empêcher de penser que pour moi aussi c'était voir disparaître tous ceux qui avaient formé mon paysage intellectuel. Après R Girard, Michel Serres l'année dernière … Le Nouvel Obs que j'ai en son temps incité mes parents à lire, plutôt que l'Express qu'ils lisaient depuis la guerre d'Algérie, était déjà celui de Jean Daniel. Et ses plus belles années étaient celles des années 70 où J Daniel régnait en maître.

Celui-ci m'a souvent agacé et je n'ai pas toujours lu ses éditoriaux qui me parurent sentencieux et fréquemment pontifiants. Mais j'ai longtemps adoré cet hebdomadaire avant qu'il ne devienne, en ayant perdu toute colonne vertébrale un de ces magazines aisément substituables les uns aux autres, sans ligne directrice autre que cette lâcheté de vouloir complaire à cette bourgoisie supposée de gauche, prétendument éclairée ; qui crut longtemps l'être et nous le fit imaginer ; qui n'aura été qu'un mirage.

L'Obs de loin en loin à partir de 81 s'embourgeoise et s'émoustille de plus en plus pour les histoires people ; de moins en moins pour les débats d'intellectuels.

Très proche de Camus, par son histoire personnelle comme par idéologie, J Daniel fera néanmoins de Sartre une figure tutélaire durant toutes les années 70. Puis de moins en moins.

A bien y regarder, l'histoire du Nouvel Obs est bien celle de la gauche … et de ses errements ; puis de ses égarements. J Daniel resta sans doute fidèle à ses engagements et à ses idéaux - je veux bien le croire. C'est l'histoire qui s'éloigna progressivement de lui et des principes qu'ils'échina à répéter d'article en éditorial.

Les hésitations et les déchirements de J Daniel ne sont pas seulement celle d'un juif né en Algérie ; ce sont ceux d'un homme que la proximité avec Camus et la fascination pour Sartre déchireront. Décidément la brouille d'entre les deux laisse des traces insoupçonnées.

Cette histoire est triste au fond. C'est la même que celle que se racontaient il y a peu Morin et Debray. Celle de combats qui ne se conjuguent plus qu'au passé, presque à la nostalgie.

Faute des combats nécessaires qu'on refuse encore de mener ; des courages pour lesquels nous n'avons plus la force ; des principes que nous avons désappris de défendre.

Ces temps glorieux reviendront … parce que l'histoire est tragique.

Pour le moment la sordide banalité d'une mondanité aveugle, pleutre mais terriblement vaniteuse.

Oui, il faudra bien l'écrire un jour cette histoire d'une gauche qui se sera perdue au moment même où elle se crut arriver au but !