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Réflexion IV : Ronchon, râleur, rouspéteur …

 

Je crois avoir toujours aimé les grenouilles. Je ne dois pas être le seul : La Fontaine ne consacre pas moins de six fables à l'humble batracien comme s'il était d'autant plus de choses à dire sur lui que la bestiole est gluante, sautillante, facétieuse et aisément fugueuse.

Pardi ! elle nous ressemble - du moins en cette entêtante manie à se vouloir faire passer pour ce qu'elle n'est pas.

Gémit-elle de sa petitesse, qu'elle maugrée à l'exploitation éhontée des grands, des puissants qui, au mieux l'ignorent, au pire l'écrasent. Mais si d'aventure, elle fût gratifiée d'un monarque bienveillant, qu'ipso facto elle s'en irait pester contre cette puissance qui ne ressemblât à rien. Comme s'il était quelque part écrit que toutes les places et qualités fussent d'emblée assignées comme le laissa accroire la sotte impéritie d'Epiméthée. Ou que bougonner constituât l'essentiel de ses attributs !

La grenouille est comme nous - ou nous comme elle ! toujours à la recherche d'un coin tranquille où se repaître et oublier les tourments ordinaires mais, pourtant, aussitôt inquiets de ce que nous serions et possédions seulement et si insuffisamment ; assez en tout cas pour nourrir nos appétences toujours plus avant. Pleutres comme le lièvre … à moins qu'inconscients nous ne contrefassions les bravaches tout simplement parce que nous trouvons toujours, se prélassant à côté de nous, plus humbles mais tellement plus intrépides que nous.

Incomplets, inachevés ; infinis dans le pire des sens - celui que les grecs n'ignoraient pas - nous nous piquons parfois de méthode pour travestir notre bougonnerie et nous croyons de subtile stratègie ces ultimes ruses pour avancer : nous sommes simplement victimes de ne savoir où aller et de cette incroyable paralysie à peser seulement la légitimité de notre place.

Déchirés entre bêtes et choses qui nous chantent avec insistance menaçante le refrain caustique de nos marécages originaires, d'un côté, et le divin dont nous ne détestons point usurper la place ni contrefaire la totipotence, de l'autre, nous demeurons pourtant plus sôts et orgueilleux et bien moins lucides que ce batracien, plus philosophe que nature, qui ne se réjouit pas de la lutte imbécile des deux taureaux ! Que lui importe effectivement cette lutte sans cesse réitérée d'hormones imbéciles mais à l'issue si prévisible ! l'autre, le défait, errera, ira détruire ailleurs … écrasera les grenouilles - pas même intentionnellement ; par inadvertance.

Le supplétif à Rome en imposera toujours plus que le premier en son village. Il n'est pas de promontoire, même affaissé, qu'in ne finisse par vous envier puis disputer.

L’Écriture a pourvu de passages pour consoler toutes les conditions, et pour intimider toutes les conditions.
La nature semble avoir fait la même chose par ces deux infinis, naturels et moraux. Car nous aurons toujours du dessus et du dessous, de plus habiles et de moins habiles, de plus élevés et de plus misérables, pour abaisser notre orgueil et relever notre abjection. (Pascal) 72

Tout est dit qui à la fois doit nous rasséréner et ne jamais nous laisser en paix ! nous interdit quelque repos que ce soit qui, se prolongeant, nous verrait aussitôt spolié ou dévoré ! Nous interdit de désespérer mais nous empêche toute superbe.

Derechef, ce que Pascal avait vu : dépecés d'entre ange et bête, nous croyons toujours faire l'un quand au contraire nous ronge l'autre. C'est bien pour ceci que je gage qu'il n'est pas d'autre voie que le recul !

Non le retrait mais l'écart !

Il en est de multiples sortes à disposition de nos conformations différentes ! La pensée, certes, qui offre quelque hauteur mais d'autres occasions d'être dupes ; l'humour, surtout qui est manière de tout renverser cul par dessus tête et de se souvenir qu'il n'est de sens que l'on concède qui ne puisse vous être chipoté, dénié ou même interdit ! La bougonnerie, surtout quand elle se pique par la caricature, l'excès ou encore cette saillie si joliment ourlée de mauvaise foi, d'offrir à l'autre le luxe de l'ironie et du clin d'œil, en est une autre.

Je ne sais d'où je tiens ceci : de mon éducation, d'une conformation trouble de mon caractère ou de ma formation ! Comment savoir ? Mais je devine que derrière cette impuissance à dire spontanément oui, derrière cette obstination à rechercher sous la négation entêtée, un filon qu'on eût oublié, derrière ce refus à rien céder, jamais, de ma liberté quand même je sais tout l'alentour déterminé, il y a cette grenouille qui enfle mais refuse d'éclater !!! ne sera jamais à l'aise nulle part mais coassant pourtant !

Vaut mieux en sourire, non ?