LE LIÈVRE ET LES GRENOUILLES

 

Un Lièvre en son gîte (1)songeait
(Car que faire en un gîteà moins que l’on ne songe ?) ;
Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
          Les gens de naturel peureux
          Sont, disait-il, bien malheureux :
Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite.
Jamais un plaisir pur ; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis : cette crainte maudite
M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts (2).
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
          Et la peur se corrige-t-elle ?
          Je crois même qu’en bonne foi
          Les hommes ont peur comme moi.
          Ainsi raisonnait notre Lièvre,
          Et cependant (3) faisait le guet.
          Il était douteux (4), inquiet ;
Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
          Le mélancolique (5) Animal,
          En rêvant à cette matière,
Entend un léger bruit : ce lui fut un signal 
          Pour s’enfuir devers (6) sa tanière.
Il s’en alla passer sur le bord d’un étang :
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes ;
Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes.
          Oh ! dit-il, j’en fais faire autant
          Qu’on m’en fait faire! ma présence
Effraie aussi les gens! je mets l’alarme au camp !
          Et d’où me vient cette vaillance ?
Comment ! des animaux qui tremblent devant moi !
          Je suis donc un foudre de guerre ?
Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.