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Témoignages : un livre, une interview

 

 

Le livre c'est celui de Morin. Moins des Mémoires que des souvenirs comme le titre l'indique. Mais l'homme n'en est vraiment pas démuni. L'ITV celle de Gisèle Halimi dans le Monde.

Dans les deux cas, des notations émouvantes, qui m'ont ému en tout cas, de ces nonagénaires qui auront de manière différentes marqué leurs temps et su, quand il le fallait dire non et bifurqué.

Morin commence son livre par un chapitre sur ses rencontres - ratées - avec la mort : fallait le faire. Vu son âge et ses engagements passés, constants et courageux, il y en eut, nombreuses qu'il raconte ici avec cet argument en filigrane d'une mort qui n'aura jamais voulu de lui.

Et commence avec sa propre naissance ; la santé fragile de sa mère qui aurait du décider qu'il ne naquît jamais ; la naissance catastrophique de ce nourrisson étouffé par le cordon, réanimé avec l'énergie du désespoir par un médecin têtu.

Émouvant, ce rapport à la mort ; presque distant ; comme s'il était possible qu'il fût objectif ; il y a quelque chose de l'ordre du survivant dans son propos : cette réaction, apaisée, de qui est déjà dans le surplus ; non pas dans l'excès mais dans ce subsidiaire dont rien ne vous prédisposait à bénéficier et dont on se repaît avec la sérénité de qui est déjà repu. On est ici à l'extrême opposée de la dramaturgie par trop appuyée qu'un Mitterrand avait mis en son culte des morts, en la célébration fâcheusement narcissique et outrageusement complaisante de la sienne.

Les vieux récits de sagesse antique égrènent tous la même leçon : est sage qui, sentant venir sa mort, sait, dans le calme, préparer les siens, remercier pour la grâce reçue et celle offerte et se mettre en attelage de s'éloigner.

Du bon usage de la mort … du bon usage de la mort qui approche … il y a de cela dans ce bel ouvrage où foisonnent de riches portraits … J'y reviendrai !

 

L'interview c'est celle d'Halimi. Un beau récit de combats ; ceux d'une femme qui ne s'en laissa jamais compter et n'admit jamais l'infériorité où, dans son milieu et son époque - elle est née dans la Tunisie de la fin des années 20 d'un couple mixte, juive par sa mère, berbère par son père - , on maintenait les filles. Fortement impliquée durant la période de la décolonisation, elle eut à défendre et à plaider l'amnistie de nombreux combattants lors de la guerre d'Algérie, elle fut aussi à la pointe des luttes de libération des femmes.

C'est ce passage - portrait rapide de Simone de Beauvoir - qui m'aura intrigué :

je l’ai beaucoup fréquentée et je n’ai cessé d’apprécier sa lucidité, sa rigueur, sa combativité. Elle restait ma référence.
« J’attendais une sœur de combat, je découvrais une entomologiste »…
C’est vrai. Son manque de chaleur me troublait. On ne lui sautait pas au cou ! Et elle se barricadait devant la moindre émotion. Sans élan et sans affection pour les personnages de mes grandes affaires, qu’elle considérait essentiellement comme des « cas » utiles pour mener un combat.(…) Elle ne supportait pas les failles. Mais elle était fiable ! C’était essentiel dans nos combats. Halimi

Est-ce parce qu'en ce moment je tâche de faire justice de cette pudeur qui aura hanté mes parents et, à travers eux, ma jeunesse ? que je tente d'y comprendre la rareté si difficile du toucher que je fus frappé par cette note.

Ne jamais oublier cette grande leçon : il n'est pas de combat qui vaille qui doive demeurer dans l'austérité de l'âme ; que cette pudeur, si c'en est une et non froide intransigeance d'une raison trop impérieuse, que cette pudeur dont il est si difficile de soulever ne serait-ce qu'un soupir, que cette pudeur dont je continue à croire qu'elle est moins protection de soi que cheminement pour exister et s'affirmer, que cette pudeur, oui, peut froisser et souvent blesser de ses tranchants trop aiguisés.

Curieux couple à la fois si mal appareillé et mystérieusement complémentaire pourtant où, à front renversé de presque tous les clichés, le philosophe savait se montrer généreux, charmeur et chaleureux quand elle, plus écrivain que philosophe, plus militante qu'écrivain, aura constamment mis dans sa démarche cette rigidité de grande bourgeoise où je devine autant d'intransigeance que de gêne.

Je ne crois pas qu'il y ait, ni plus ici qu'ailleurs, de juste milieu qui soit tenable. Je devine, c'est vrai, l'embarras et ce n'est rien de dire qu'il alourdit le pas. Comme s'il n'était de choix qu'entre celui que l'on éprouve de ne savoir simplement s'ouvrir à l'autre et exprimer ses émotions, et celui que l'on impose à l'autre d'avoir été trop volubile.

Je retiens la leçon et en demande pardon si de trop de retenue j'ai blessé ou déçu ; à mes filles surtout de tant de gestes gourds.