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Chronique de l'ignominie ordinaire

A bien y réfléchir, cette chronique a déjà eu quelques épisodes autour de Zemmour ; il suffit de la continuer ! La complaisance de la presse et de la TV y pourvoit amplement.

Julie Graziani donc.

L'évoquer à mon tour, pour les propos qu'elle a tenus, en évitant de lui donner une importance qu'elle n'a pas. Jeune femme sans doute brillante, on n'a pas l'agrégation de Lettres et le diplôme d'HEC la même année sans talent ni travail. Mais c'est sans doute en ceci aussi qu'il faudra en rabattre sur nos illusions : culture et intelligence manifestement ne prémunissent décidément en rien ni contre la sottise, ni contre l'odieux encore moins contre la malignité.

Celle-ci donc issue de la mouvance Manif pour tous, fait manifestement partie de la droite catho la plus traditionaliste ; de cette génération qui a fait ses armes dans les grandes manifestations contre Taubira et le mariage pour tous. Mais que l'on retrouve désormais régulièrement chez Pujadas mais aussi dans N'ayons pas peur des mots ou à 28 minutes … Quand même !

La semaine passée, chez Pujadas, elle prononce des paroles qui ont choqué ; dont je n'arrive décidément pas à me persuader qu'elles fussent un dérapage : elles vont trop dans le sens de toutes ses interventions ; entrent bien avec trop de cohérence avec l'idéologie qu'elle développe pour qu'elles soient seulement le fruit d'une maladresse.

D'une femme qui avait interpellé Macron en lui disant qu'avec un SMIC et deux enfants elle n'y arrivait pas, la chroniqueuse réplique :

 

« Cette femme dit j’ai deux enfants, je suis seule, je suis au Smic. Je comprends parfaitement qu’elle ne s’en sorte pas. Mais je ne connais pas le parcours de vie de cette dame. Qu’a-t-elle fait pour se retrouver au Smic ? A-t-elle bien travaillé à l’école, suivi des études ? Et si l’on est au Smic, peut-être n’est-ce pas le bon moment pour divorcer. »

 

La madame s'essaie à quelques excuses a posteriori. Les excuses sont toujours pitoyables dans de tels cas et, parfois, comme ici, n'en sont en réalité que pour la forme. Car elle récidive et dispense jusqu'à la nausée son petit catéchisme de conformisme parvenu : on est responsable de son sort. Bréviaire sentencieux dans les mains et suffisance aux lèvres : mélange détonnant.

Une ITV sur Valeurs Actuelles - tiens donc - et quelques tweets … La Madame promet de faire quelque retraite, le temps que ça se calme.

On garde donc toujours les mêmes recettes chez ces gens-là ? Les demoiselles d'autrefois, dont on ne savait que faire, ou les femmes fautives, heureusement, on les oubliait au couvent ! Bon vent !

La règle ne vaut décidément que pour ceux qui ne trouvent pas leur place dans le siècle.

En réalité le sens de ses propos, comme de ses excuses, est assez clair et va, furieusement, sans nuance ni grande compassion, dans le même sens de la responsabilité individuelle. L'idée qu'il puisse y avoir des instances redistributrices, voire même seulement une politique de solidarité nationale, a l'air de lui échapper totalement - ce qui est quand même un peu fort pour une femme qui se proclame catholique pratiquante.

Tout le reste n'est que rodomontades. Elle pourra exciper autant qu'elle le voudra d'un hypothétique énervement, toutes ses mises au point , ses clarifications tournent autour de la même antienne, résonnant comme une obsession : on est responsable de ses choix i.e. on a ce qu'on mérite.

Pourtant !

La solidarité est au fondement de toute moralité ; elle est même la forme que prend notre humanité.

La culpabilité métaphysique:

Il existe entre les hommes, du fait qu’ils sont des hommes, une solidarité en vertu de laquelle chacun se trouve co-responsable de toute injustice et de tout mal commis en sa présence, ou sans qu’il les ignore. Si je ne fais pas ce que je peux pour les empêcher, je suis complice. Si je n’ai pas risqué ma vie pour empêcher l’assassinat d’autres hommes, si je me suis tenu coi, je me sens coupable en un sens qui ne peut être compris de façon adéquate, ni juridiquement, ni politiquement, ni moralement. Que je vive encore, après que de telles choses se sont passées, pèse sur moi comme une culpabilité inexpiable. En tant qu’hommes, si la chance ne nous épargne pas une telle situation, nous nous trouvons acculés à la limite où il nous faut choisir : ou bien risquer notre vie dans l’absolu, sans but parce que sans perspective de succès, ou bien préférer rester en vie puisque le succès est exclu. Quelque part, dans la profondeur des rapports humains, s’impose une exigence absolue: en cas d’attaque criminelle, ou de conditions de vie menaçant l’être physique, n’accepter de vivre que tous ensemble, ou pas du tout; c’est ce qui fait la substance même de l’âme humaine. Mais il n’en est ainsi ni dans la communauté de tous les hommes, ni parmi les citoyens d’un État, ni même à l’intérieur de groupes plus petits; la solidarité reste limitée aux liens humains les plus étroits et c’est ce qui fait notre culpabilité à tous. L’instance compétente, c’est Dieu seul.

EFFETS DE LA CULPABILITÉ
(…)
d) La culpabilité métaphysique a pour conséquence une transformation de la conscience que l’homme a de lui-même devant Dieu. L’orgueil est brisé. Cette transformation de soi, résultant d’une action tout intérieure, peut faire jaillir une source neuve de vie active, mais qui restera liée désormais irrémédiablement à un sentiment de culpabilité. Dès lors, l’humilité rend l’homme modeste devant Dieu, et toute son action baigne dans une atmosphère qui exclut à jamais la présomption.
Jaspers

Plutôt que de lire je ne sais trop quel Digest de l'analyse transactionnelle et de réduire notre société à un jeu de communication qui va fonctionner ici comme un prêt-à-penser définitif, la madame aurait peut être du lire Jaspers ; y aurait peut-être trouvé quelque fondement à son attachement chrétien. Que cette posture soit un contre-sens chrétien et une odieuse absurdité métaphysique ne fait pas l'ombre d'un doute. Elle n'est pas nouvelle : il y eut toujours, dans ces rangs-ci comme ailleurs, des zélotes dogmatiques et enfiévrés, plus empressés de défendre leur posture théorique qui en réalité est à leur propre gloire, que d'aller à la rencontre de l'autre. Ce n'est pas cela qui est gênant : la madame un jour devra bien se regarder en face et peut-être ce qu'elle verra alors dans la glace l'effraiera !

Qu'on soit à ce point bouffi de certitudes ne peut qu'inciter à asséner ses leçons aux autres, au prix du ridicule ou de l'odieux. Mais ces gens-là détestent qu'en retour on se pique de la leur faire également ! D'ailleurs c'est du bout des lèvres seulement qu'elle concède : en réalité elle ne comprend pas.

Hume n'avait décidément pas tort : l'on n'est tolérant que par incapacité à démontrer que l'autre a absolument tort. Serions-nous absolument certains de la véracité de nos dires, ou bien, parce que croyants, parlerions-nous au nom d'une Vérité intangible et de l'Etre absolu, nous cesserions immédiatement d'être tolérants.

La certitude tue. Il faut avoir l'honnêteté d'un grand croyant pour reconnaître que même au plus près du buisson ardent, l'on peut encore se tromper sur le sens de la Révélation. Peu en eurent le courage ; très peu l'honnêteté. Il y faut une grandeur d'âme et un souci de l'autre.

Celle-ci n'en a que les raideurs martiales et les intransigeances de corps de garde.

Mais ses contradictions ne regardent qu'elle et si elle s'illusionne encore sur sa posture si proche de l'extrême-droite qu'elle regarde simplement qui lui offre estrade, micro et entretien !

En soi de telles saillies ne sont que le prurit nauséabond d'une pensée réduite aux acquêts et ne mérite même pas qu'on argumente là contre …

Non ce qui est inquiétant est plutôt qu'on lui donne ainsi la parole. Et qui la lui donne !

Serait-ce donc vrai que les digues aient à ce point sauté qui séparaient la droite traditionnelle, même rugueuse, de l'extrême-droite ? est-il possible que cette droite si bien pensante et adossée à ses traditions mais jusqu'ici cantonnée en son pré-carré versaillais, soit sortie désormais à la conquête des opinions et ait trouvé oreilles si complaisantes que même ces inepties, ces outrances, ces provocations ne choquent plus ?

J'aimerais comprendre - mais n'y parviens que malaisément - d'où sourde cette cruelle inversion qui n'est même pas du cynisme ; seulement de la cruelle indifférence à l'autre. E Morin pense que même du pire peut demain surgir du bon. Et l'envie me prendrait presque de citer Hölderlin à cette occasion si malheureusement Heidegger n'en avait déjà fait un usage funeste : “Là où croît le péril croît aussi ce qui sauve”. Morin croit que la mondialisation a au moins le mérite de faire prendre conscience à l'humanité de sa communauté de destin ainsi que de la petitesse et de la fragilité du sol qui la porte. A l'instar d'un Serres qui espérait bien que, devant le danger, ce serait plus l'union de tous qui prévaudrait que le chacun pour soi !

A entendre Graziani, c'est pourtant le chacun pour soi !

Les arguments de Pujadas plaidant pour un journalisme qui ne fût pas de complaisance mais de débat - et pour cela débat entre toutes les idées - sont nuages de fumée qui escamotent en réalité sa propre paroisse et les prêches qu'il y assène. Non toutes les idées ne se valent pas ! non tout n'est pas dicible ! mais ce type de journalisme, bavard - mais quoi il faut bien occuper les antennes de cette info en continu - de journalisme complaisant - mais quoi n'est-ce pas la polémique qui attise la curiosité et attire le spectateur et donc les annonceurs ? - de journalisme idéologue parce qu'il ne s'agit depuis longtemps plus de donner de l'information mais de propager de l'idéologie, de la doctrine voire de la propagande, ce type de journalisme, dis-je, s'est depuis longtemps rangé du côté des élites où il espère se hisser mais à quoi il sert seulement de faire-valoir ; et ne plaide pour la liberté d'expression que lorsque sa propre position est remise en cause.

Vassal et chiens de garde : le nouveau front uni pour la droite vers l'extrême-droite ne connaît plus de limites. Il suffit de regarder qui ils invitent.

L'analyse qu'on en fait ici est loin d'être fausse :

mais en constatant qu'il s'agit ici simplement d'une stratégie pour déplacer les lignes de ce qui est dicible ou pas à la TV, on ne fait que renforcer l'analyse qui est faite dans ce documentaire s'agissant de Buisson - déjà repris récemment :

 

Il faut donc bien en revenir à cet univers de mots que chacun construit dans son rapport à l'autre et au monde ; que chacun essaie de propager quand il confie ses idées, ses méthodes. C'est cela qui est inquiétant, au-delà de toute mesure : dans cette bataille des mots et des idées, ce n'est même plus la droite qui a gagné mais la droite extrême fût-elle travestie en des atours bien-pensants et catholiques. Graziani c'est le même profil que Marion Maréchal. L'on aurait tort de ne pas s'en méfier.

C'est une erreur que de ne pas les combattre et de les laisser ainsi occuper la scène et y caqueter leur petite haine ordinaire …

 

Jamais l'absence de la gauche n'aura été aussi cruelle.