index précédent suivant

 

 

Pierre Desproges

Reçu ce très beau livre. C'est sans doute ceci que je préfère dans les cadeaux que l'on vous fait : recevoir un objet que par soi-même l'on n'eût sans doute jamais acquis. J'aime bien Desproges mais je n'aurais pas imaginé acheter un livre qui lui fût consacré. J'aurais eu tort.

Textes, documents, photos … des souvenirs mais des découvertes aussi. Je crois l'avoir découvert à l'époque avec le Petit Rapporteur de J Martin qui avait en son temps tranché avec la grisaille télévisuelle de l'époque mais aura très mal vieilli : j'en garde un souvenir moins vif cependant que de ses interventions au Tribunal des Flagrants délires sur France Inter qui pour n'avoir duré que deux saisons a laissé de bien plus heureuses traces. J'ignorais qu'il avait participé à l'aventure de Pilote et bien d'autres détails de son parcours. Et, je l'avoue, j'avais complètement oublié ses excellentes Chroniques de la haine ordinaire sur France Inter.

J'avais gardé évidemment un souvenir de certains de ses sketchs. Il m'est arrivé de sourire en entendant que certains de ses propos ne pourraient plus être prononcés aujourd'hui. C'est tomber dans la paranoïa de la bien-pensance. Tout est toujours possible et je crois bien qu'un humoriste qui hésiterait à transgresser pour cause de convenances serait tout sauf comique.

Je ne veux pour rien au monde tenter une théorie sur le comique ; encore moins une simple réflexion. Ce serait assurément le comble de l'absurde. Sartre l'aurait pu écrire : un discours sur l'humour serait tout sauf drôle. Comme le je qui écrit je suis triste, n'est pas triste !

Voici ! la chose est simple : tellement ! L'humour est recul pris qui permet de donner un sens aux choses, au monde, à soi ; un autre sens que celui convenu qui paraît s'imposer. Mais la pensée, elle aussi, est ce recul. Je ne suis même pas certain que ce recul-ci soit différent de celui-là. Ce dont je suis convaincu en revanche est que, pour cette raison, ils s'excluent l'un l'autre tout en s’interpellant néanmoins.

Penser, quoiqu'on en ait, vous expulse du monde et cet étrangement, pour salutaire qu'il soit, est blessant. Accepté comme un prix à payer, mais involontaire. Subi. Le rire est sortie joyeuse, peut-être seulement mimée mais ceci est suffisant. Celui-ci se déplace, d'un tout petit quart de centimètre et ce qu'il observe alors prend une tournure différente. Comique. Celui qui sait rire se pique en réalité de garder le contrôle ; de maîtriser mieux le sens des choses.

Démocrite, on le sait riait quand Héraclite pleurait : ne serait-ce pas que ces deux attitudes en apparence opposées fussent seulement l'adret et l'ubac de ce même recul ? Voir ce qu'on ne devrait pas ; comprendre ce qui ne se peut ; frôler de trop près l'insupportable sont risques qu'affrontent tous ceux qui refusent de passer sans jamais rien voir, d'errer sans jamais rien entendre, de scruter sans rien saisir. Je ne sais si l'homme habite le monde en poète comme le voulait Hölderlin, je sais seulement qu'il faut inconscience et audace pour prétendre ne le pas traverser en touriste empressé. Qui y parvient s'aveugle parfois ; s'inquiète toujours ; s'angoisse et désespère … à moins de trouver l'antidote.

L'humour est la politesse du désespoir selon Ch Marker.

C'est une posture ; elle vaut bien l'autre.

C'est en écrivant ceci, tout en réécoutant cette voix hantée par la mort, que je me souvins subitement combien ma mère avait adoptée, sans doute pour rendre supportable le silence écrasant de mon père cette dilection parfois agaçante mais toujours rafraîchissante de ne rien vouloir prendre au tragique ; de ne rien tenir au sérieux ; de chercher en tout cas par quels mots même la tristesse la plus profonde se pouvait être tournée en dérision. Comment ai-je pu oublier s'agissant du flot de paroles où elle nous immergeait, cette retenue qui visait à la fois à nous faire la vie belle et nous empêcher de nous égarer ?

Car c'est bien de ceci dont il s'agit : s'interdire de trop coller à la pesanteur des choses au risque de faire de la tragédie une esthétique trop mondaine ; s'empêcher de rien prendre trop au sérieux - et surtout pas soi-même - et s'éviter ainsi le ridicule, l'emphase et la posture rodomonte.

Ce doit bien un peu d'elle que je tiens cette certitude : qui est incapable de se moquer même et surtout de ce à quoi il tient le plus, de qui il chérit autant que des idéaux et idées à quoi il s'est consacré, celui-là est candidat naturel à l'intolérance, au préjugé ; au fanatisme.

Tel est le secret de l'humour : instiller de la légèreté où elle s’accommode le moins spontanément ; insuffler de la grâce autant que faire se peut car décidément l'esprit souffle où il veut !


Qu'est -ce que l'humour rose? L'humour, c'est Woody Allen qui déclare : « Si la Gestapo me demande le numéro de ma carte de crédit , j'avoue tout. » [. . .] Moi, quand j'ai envie d'être violent, je ris. Je préfère la dérision aux coups qui font mal. Ce qui m'obsède, c'est de savoir que les deux tiers de la population crèvent de faim et que le troisième tiers crève de trop bouffer, et c'est ce tiers-là qui fabrique des canons. Quand un humoriste veut s'attaquer à ce genre de problème, il est généralement très mal reçu. On lui reproche de se moquer du pauvre monde. [. .. ] Les vrais problèmes (les affamés et les trop nourris), tous les gouvernements s'en foutent. C'est pourquoi je pense que Mitterrand et Giscard, c'est probablement le même mec. Buvons pour oublier.
Télérama. juin 1983.


Quelques ressources ici :

Tribunal des flagrants délires

Chroniques de la haine ordinaire

Nécrologie de Bedos

 

-----

les rues ne sont pas sûres

Des juifs …

QI 130

-----

Pilote

-----

Charlie