Bloc-Notes 2018
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Honte !

Quand je lis cet article dans le Monde, que j'observe qu'une partie des soucis politiques de la Chancelière allemande vient de la position initiale plutôt généreuse qu'elle avait adoptée ; que je mesure le silence abyssal de la France dans l'affaire de l'Aquarius, ou la stratégie Trump de se servir de l'immigration comme stratégie politique anxiogène, oui, j'ai honte. Me console à peine cet article paru dans le Monde d'hier ! Parce que l'Europe va se fermer sur elle-même fabriquer inéluctablement des boucs émissaires. La question identitaire est la forme que prend ce piège : elle est notre honte.

Non ! en dépit des coups de com d'un Macron sournoisement bavard après tant d'atermoiements, à cause sans doute de ce qui est en train de se passer en Hongrie ou de l'avènement d'un invraisemblable gouvernement en Italie ou bien encore des menées détestables des autrichiens, oui j'ai honte et me demande de quel cynique orgueil l'Europe parvient encore à se prévaloir de sa culture, de son humanisme, de sa générosité.

On me dira ce qu'on voudra - que la période est difficile, que les moyens sont limités (mais le sont-ils pour tous) que le réalisme impose de reconnaître que nous n'avons pas les moyens d'accueillir toute la misère du monde … il n'empêche.

A quoi peuvent bien servir tant de progrès scientifiques, techniques, sociaux, s'ils ne nous permettent même pas d'affronter, pour nous-mêmes et pour les autres, les difficultés du moment ? A quoi bon une civilisation si elle doit déboucher sur une telle sécheresse d'humanité ? J'ai beau savoir que l'hospitalité est plutôt le fait de ceux qui n'ont rien mais à ce point cela tient du sordide.

Il faut se souvenir de Kant - au moins - pour comprendre : l'impératif catégorique demeure bien de ne toujours considérer en l'autre homme que la finalité de notre action ; jamais le moyen. Faute de quoi on se laisse dévorer par l'engrenage pestilentiel des compromissions et des abandons. Ainsi, face aux injonctions allemandes , on commença d'abord par feindre de résister pour défendre au moins les juifs nationaux puis on ne résista plus puis enfin on prit les devants ! Par principe, faire la distinction d'entre ceux qu'il fallait défendre et ceux non, était déjà accepter le denier du diable. Toutes les politiques d'abandon s'en suivirent !

 

C'est bien entendu à ce passage de la première épître aux Corinthiens que je songe ! superbe texte de ce Paul de Tarse que pourtant je ne prise guère de le trouver souvent aride et de cette fougue dogmatique du converti mais que, pour une fois, je sais pointer là, juste au centre de ce qui importe : l'ἀγάπη

Un des principes de toute morale, que l'on traduit ici par charité mais ailleurs par grâce ; où l'on retrouve ce verbe qui dit l'amour suprême - son ultime degré sans doute accessible seulement au divin. Déclinée en plusieurs versets, cette grâce est ce qui donne un sens à tout mais qui, absente, pétrifie tout en un sordide simulacre. Alpha et oméga, principe et fin, elle ne saurait être jamais un biais adopté pour obtenir un quelconque effet. Même si l’on traduit souvent la tsedaka juive pat le même mot charité, elle ne recouvre pas tout à fait la même réalité - ici plutôt droiture et justice et la nécessité à période régulière de remettre à plat toutes les inégalités et, toujours, d'accueillir le pauvre et de le seconder ; quand la charité chrétienne apparaissent plutôt comme une émotion fondatrice - il y a en revanche la même idée selon laquelle cette charité doit procéder d'un mouvement intérieur et non résulter d'une obligation sociale ou même religieuse qu'on vous eût imposée. La même idée que cette charité est l'intégrale qui engage à la fois notre rapport au divin et notre rapport à l'autre.

Ce qui se passe aujourd'hui, qui n'est pas nouveau mais qui, avec la suffisance policée du discours technocrate prend des allures presque normales, c'est l'illustration parfaite de ces versets : on parle d'autant plus de morale qu'on la pratique peu ; on l'évoque d'autant plus qu'on l'aura instrumentalisée et donc pervertie. Placez tant que vous voudrez vos valeurs en tête de toutes vos démarches commerciales ; faites appel si vous le désirez à des éthiciens en vous efforçant surtout, d'ailleurs, à ce que cela se sache ; arguez comme vous voudrez de vos sourires matois de la défense nécessaire de l'Occident et de sa culture ; jouez comme vous le pourrez de toutes les circonlocutions que vous inventerez pour justifier votre manque de moyens ou plus cyniquement encore la nécessité de responsabiliser les acteurs, vous ne parviendrez jamais qu'à mettre en évidence l'immoralité de vos démarches, leur égoïsme, égocentrisme après leur ethnocentrisme : votre négation systématique de l'autre sitôt qu'il ne vous ressemble pas.

On comprend pourquoi ἀγάπη reçoit deux traductions : elle est grâce quand elle est reçue, notamment du divin ; elle est charité quand elle est offert. Que nous ne parvenions pas à l'excellence du divin, à la gratuité pure, se peut concevoir mais explique surtout pourquoi ἀγάπη fait avec la pesanteur un couple indissociable : non pas un jeu de compensation qui permettrait à la grâce d'aller aussi loin que possible sans entraver, grâce à notre pesanteur, notre présence au monde, à cette dernière ne ne pas nous enchaîner au présent d'être constamment bousculée par la grâce ; mais bien plutôt une boucle de rétroaction qui ferait notre pesanteur nous amener à la charité et celle-ci nous entraîner à investir le monde sans nous y attacher jamais.

Nietzsche avait raison : si on se prévaut à ce point de morale c'est sans doute parce que, spontanément, ses actes seraient à ce point immoraux qu'il faille un cadre contraignant pour les rendre présentables.

Ce que vos actes révèlent et ces versets traduisent c'est combien vertigineuse est la pente dévalée, vide la coquille de notre prétendue civilisation ; honteux notre cynisme.

1 CORINTHIENS     13  
1 Quand je parlerais les langues des hommes et des anges, si je n'ai point la charité, je suis un airain qui résonne, ou une cymbale qui retentit. Ἐὰν ταῖς γλώσσαις τῶν ἀνθρώπων λαλῶ καὶ τῶν ἀγγέλων, ἀγάπην δὲ μὴ ἔχω, γέγονα χαλκὸς ἠχῶν ἢ κύμβαλον ἀλαλάζον.
2 Et quand j'aurais la prophétie, et que je connaîtrais tous les mystères, et toute la science ; et quand j'aurais toute la foi, jusqu'à transporter les montagnes, si je n'ai point la charité, je ne suis rien. Καὶ ἐὰν ἔχω προφητείαν, καὶ εἰδῶ τὰ μυστήρια πάντα καὶ πᾶσαν τὴν γνῶσιν, καὶ ἐὰν ἔχω πᾶσαν τὴν πίστιν, ὥστε ὄρη μεθιστάνειν, (N μεθιστάνειν → μεθιστάναι) ἀγάπην δὲ μὴ ἔχω, οὐθέν εἰμι.
3 . Et quand je distribuerais tous mes biens pour la nourriture des pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, cela ne me sert de rien. Καὶ (N Καὶ ἐὰν ψωμίσω → Κἂν ψωμίσω) ἐὰν ψωμίσω πάντα τὰ ὑπάρχοντά μου, καὶ ἐὰν παραδῶ τὸ σῶμά μου ἵνα καυθήσωμαι, (Β καυθήσωμαι → καυθήσομαι) (N καυθήσωμαι → καυχήσωμαι) ἀγάπην δὲ μὴ ἔχω, οὐδὲν ὠφελοῦμαι
4La charité use de patience ; elle use de bonté ; la charité n'est point envieuse ; la charité ne se vante point ; elle ne s'enfle point ; Ἡ ἀγάπη μακροθυμεῖ, χρηστεύεται: ἡ ἀγάπη οὐ ζηλοῖ: ἡ (N ζηλοῖ ἡ ἀγάπη → ζηλοῖ [ἡ ἀγάπη]) ἀγάπη οὐ περπερεύεται, οὐ φυσιοῦται,
5 elle n'agit point malhonnêtement, elle ne cherche point son intérêt ; elle ne s'irrite point ; elle ne pense point le mal ; οὐκ ἀσχημονεῖ, οὐ ζητεῖ τὰ ἑαυτῆς, οὐ παροξύνεται, οὐ λογίζεται τὸ κακόν,
6 elle ne se réjouit point de l'injustice ; mais elle se réjouit avec la vérité οὐ χαίρει ἐπὶ τῇ ἀδικίᾳ, συγχαίρει δὲ τῇ ἀληθείᾳ,
7 Elle excuse tout, elle croit tout, elle espère tout, elle endure tout. πάντα στέγει, πάντα πιστεύει, πάντα ἐλπίζει, πάντα ὑπομένει.
8 . La charité ne périt jamais. Soit les prophéties, elles seront abolies ; soit les langues, elles cesseront ; soit la connaissance, elle sera abolie. Ἡ ἀγάπη οὐδέποτε ἐκπίπτει: (N ἐκπίπτει → πίπτει) εἴτε δὲ προφητεῖαι, καταργηθήσονται: εἴτε γλῶσσαι, παύσονται: εἴτε γνῶσις, καταργηθήσεται
9 Car nous connaissons en partie, et nous prophétisons en partie ; Ἐκ μέρους δὲ (N δὲ → γὰρ) γινώσκομεν, καὶ ἐκ μέρους προφητεύομεν:
10 mais quand la perfection sera venue, ce qui est en partie sera aboli. ὅταν δὲ ἔλθῃ τὸ τέλειον, τότε (N τότε → –) τὸ ἐκ μέρους καταργηθήσεται.
11 Quand j'étais enfant, je parlais comme un enfant, je pensais comme un enfant, je raisonnais comme un enfant ; mais lorsque je suis devenu homme, j'ai aboli ce qui était de l'enfant. Ὅτε ἤμην νήπιος, ὡς (N ὡς νήπιος ἐλάλουν → ἐλάλουν ὡς νήπιος) νήπιος ἐλάλουν, ὡς (N ὡς νήπιος ἐφρόνουν → ἐφρόνουν ὡς νήπιος) νήπιος ἐφρόνουν, ὡς (N ὡς νήπιος ἐλογιζόμην → ἐλογιζόμην ὡς νήπιος) νήπιος ἐλογιζόμην: ὅτε δὲ (N δὲ → –) γέγονα ἀνήρ, κατήργηκα τὰ τοῦ νηπίου.
12 Car maintenant nous voyons dans un miroir, obscurément, mais alors nous verrons face à face ; maintenant je connais en partie, mais alors je connaîtrai comme j'ai été aussi connu. Βλέπομεν γὰρ ἄρτι δι’ ἐσόπτρου ἐν αἰνίγματι, τότε δὲ πρόσωπον πρὸς πρόσωπον: ἄρτι γινώσκω ἐκ μέρους, τότε δὲ ἐπιγνώσομαι καθὼς καὶ ἐπεγνώσθην.
Maintenant donc ces trois choses demeurent : la foi, l'espérance et la charité ; mais la plus grande est la charité. Νυνὶ δὲ μένει πίστις, ἐλπίς, ἀγάπη, τὰ τρία ταῦτα: μείζων δὲ τούτων ἡ ἀγάπη.