De la consommation L'ère du digital

 




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Consommation

Un appel à communication pour une journée d'étude concernant les Décisions et les Comportements des Consommateurs. Fichtre, d'autant que ceci se pense sous l'égide du digital.

Comment résister à la chose même si je retrouve ici les petits travers de ce monde-ci qui ne cessera de vouloir donner des gages au monde de l'entreprise et qu'y foisonnent autant les problématiques que cette digitalisation qui dans son affectation anglomaniaque finit par dire le contraire de ce qu'elle veut dire. Je devine bien, parce que la chose est économique, qu'on a ici affaire à un concept à entendre dans le registre de l'économie mais donc de la sociologie, du politique, mais donc du droit, bref de tout ce dont vous les gestionnaires, managers et autre marketeurs êtes les spécialistes et que je m'entête à ne pas entendre. Mais la consommation est un acte plus complexe que le mot ne le suggère : c'est que, pour consommer, il faut d’abord en avoir et le besoin et les moyens. Prise de conscience de ses désirs, travail rémunérateur dégageant des ressources financières permettant de satisfaire nos besoins primaires au moins voire les autres/ Mais ce n'est pas tout : c'est choisir le produit que l'on jugera le plus approprié pour nous satisfaire - et il est évident que les sociétés d'abondance qui sont les nôtres font de ce jugement l'enjeu de toutes les concurrences et donc aussi de toutes les stratégies marketing ; c'est l'utiliser s'il s'agit de bien ou de service, l'ingérer s'il s'agit de nourriture par exemple ; c'est le jeter après usage et donc produire des déchets. A bien y regarder ce sont donc tous les aspects de la vie sociale mais plus généralement encore humaine qui est engagé par la consommation. Rien qu'à ce titre, le concept relève de l'histoire mais aussi de l'histoire de la pensée pour autant que l'on admette que sous chacun de nos actes il y a une conception du monde, de la vie … une idéologie.

Nous savons que la raison ne procède que d'identité en identité, elle ne peut donc tirer d'elle-même la diversité de la nature... Contrairement au postulat de Spinoza, l'ordre de la nature ne saurait être entièrement conforme à celui de la pensée. S'il l'était, c'est qu'il y aurait identité complète dans le temps et dans l'espace, c'est-à-dire que la nature n'existerait pas. En d'autres termes, l'existence même de la nature est une preuve péremptoire qu'elle ne peut être entièrement intelligible (…)

Meyerson, Identité et réalité, Conclusions, p 365

C'est ici que je voulais en arriver : les sciences, même humaines et sociales, parce qu'elles ont voulu mathématiser leur objet et voulu jouer aux grandes, ont trouvé des structures, des schémas, des schèmes, des modèles et des paradigmes à partir de quoi penser le réel humain.

Soit ! Mais elles ont seulement oublié deux choses, aujourd'hui désuètes mais que les crises modernes nous font éclater en plein visage :

l'acte même par lequel nous appréhendons le monde et l'exprimons - mais ici langage et raison observent évidemment la même logique - consiste à ramener au même, à expliquer l'inconnu par le déjà connu et donc à araser les différences. Ce que la quantification signale parfaitement. On peut gager que ces différences que nous négligeons sont trop minimes pour rendre fausses les connaissances que nous produisons ; d'exister leur suffit pour attester que le réel ne saurait être totalement intelligible.

le savoir scientifique produit une connaissance du réel ; parfois, plus difficilement, de nous. Jamais de notre rapport au réel, à l'objet.

C'est sur ces deux terrains qu'opèrent la philosophie mais aussi la métaphysique. C'est ici question que nous leur poserons ; ce qui n'est pas encore une problématique mais déjà un problème. Une métaphysique de la consommation est-elle possible ? féconde ?

D'abord un détour par le mot.

Il est toujours surprenant d'observer avec quelle négligence - ou afféterie - nous usons de la langue tout empruntés de ce que nous voulons dire - au risque de l'hyperbole - totalement oublieux de ce qu'elle a à nous dire.

Le premier sens de consommation est achèvement, le fait d'être parvenu à son terme. De consummatio en latin - achèvement. Lui-même de summa - la place la plus haute, l'apogée, le total ou montant d'un calcul. Le terme conserve ainsi la notion superlative de super. Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que le terme implique à la fois ce après quoi et au-dessus de quoi il n'y a rien. Très tôt la confusion naîtra avec consumo adsorber entièrement, détruire ; consommer, épuiser. De cette ambivalence entre ce qui s'accomplit et se consume où le latin chrétien verra plus que des analogies pour la parousie promise on tirera la consommation que l'on prend dans un bistrot ou l(alimentation qui l'on ingère : consommer ses victuailles apparaît ainsi dès Montaigne.

διδάσκοντες αὐτοὺς τηρεῖν πάντα ὅσα ἐνετειλάμην ὑμῖν: καὶ ἰδού, ἐγὼ μεθ’ ὑμῶν εἰμι πάσας τὰς ἡμέρας ἕως τῆς συντελείας τοῦ αἰῶνος. Ἀμήν.
leur apprenant à garder tout ce que je vous ai commandé. Et voici, moi, je suis avec vous tous les jours jusqu'à la consommation du temps. Mt, 28, 20

C'est ainsi d'abord une expression biblique - la consommation des siècles - que l'on retrouve notamment au dernier verset de Matthieu : or, le terme ici utilisé συντελείας, désigne une action concertée pour subvenir à des dépenses publiques, une association de citoyens ; puis une réunion des dieux et par extension action pour accomplissement de quelque chose et enfin la chose elle-même parvenue à achèvement. de τελοσ - achèvement, résultat, conséquence, sommet but. On remarquera qu'ici le processus et la fin se disent d'un même terme comme si tout était déjà inscrit.

 

Interprétations

D'abord. La consommation est ce vers quoi tout tend, le processus ultime quand il s'agit des choses ; le but ultime pour les êtres. Dans la pensée grecque comme latine, ceci signifie que ce but est inscrit dès l'origine. Après tout quand nous agissons n'est-ce pas en vue d'un certain but ? la réussite de nos actions mais leur justification consistent dans la réalisation de ce but. On n'est pas très loin de la cause finale d'Aristote. Si l'idée d'une téléologie est évidemment rejetée dans les sciences dures on ne peut néanmoins s'empêcher de comprendre les phénomènes sociaux, parce qu'ils sont en partie au moins la résultante de projets et de volontés, comme justifiés par le but. Après tout ne juge-t-on pas une politique sur ses résultats ? Après tout, une des mesures d'une économie n'est-elle pas la consommation des ménages bien plus révélatrice du bien-être social que le PIB ?

Voici posée la question du sens du capitalisme dans toute son incroyable contradiction : sa finalité ultime n'est-elle pas la destruction d'elle-même et de ce qui l'entoure ? Où l'on voit que ce que disent les mots au delà de toute eschatologie c'est l'idée d'un achèvement qui, selon les cas, peut être entendu comme destruction finale ou au contraire accomplissement. Où l'on devine la portée hautement idéologique d'un tel terme.

Ensuite voici posée la question sociale de la consommation : le grec dit ceci très bien : que ce soit réunion des dieux ou des hommes, il s'agit toujours d'une action concertée en vue d'assurer la pérennité d'un système. Mais le latin aussi : cum comme συν disent la réunion. Selon que l'on prenne la dimension finale de la consommation - l'ingestion d'aliments ou l'usage d'un service - ou au contraire le processus entier qui débouche sur cet usage, on aura affaire à un acte individuel ou social. On remarquera ainsi la polysémie de user qui signifie autant utiliser que détériorer mais donnera aussi usure au sens d'intérêts prohibitifs.

Voici posée la question de la vérité de la consommation qui est en réalité la double liaison d'individus réunis en vue d'un certain but et le lien que ces derniers entretiennent avec le monde, les objets. Faut-il la concevoir uniquement du côté du consommateur - ce que semble être la question ici posée - ou au contraire du côté du monde, de l'objet ou encore du côté du collectif ?

Enfin dans cette idée d'achèvement il y a l'idée de somme, d'accumulation - ce que disent et le latin et le grec - mais aussi l'idée d'accumulation superlative, outrancière. Comment ne pas songer à la démesure, à l'hybris des grecs, cette ὕϐρις qui est le crime radical dans la culture grecque. Et ce sera bien en terme d'ὕϐρις que sera interprétée la défaite d'Athènes et la fin de son hégémonie.

Nous voici au centre, moins moral d'ailleurs que métaphysique, de la question de la consommation : confortée par les crises environnementales successives et prévisibles, mais aussi par la financiarisation de tout le système, le capitalisme a inventé l'accumulation indéfiniment poursuivie … et l'oubli du monde dans lequel il puise sans mesure au risque de l'épuiser.

Voici ce que disent les mots qu'il importe donc d'analyser


1) Meyerson, Identité et réalité, Conclusions, p 365

Nous savons que la raison ne procède que d'identité en identité, elle ne peut donc tirer d'elle-même la diversité de la nature... Contrairement au postulat de Spinoza, l'ordre de la nature ne saurait être entièrement conforme à celui de la pensée. S'il l'était, c'est qu'il y aurait identité complète dans le temps et dans l'espace, c'est-à-dire que la nature n'existerait pas. En d'autres termes, l'existence même de la nature est une preuve péremptoire qu'elle ne peut être entièrement intelligible (…)
Aucun phénomène, même le plus insignifiant, n'est complètement explicable. Nous avons beau « ramener » le phénomène à d'autres, lui en substituer de plus en plus simples : chaque réduction est un accroc fait à l'identité, à chacune nous en abandonnons un lambeau, et finalement il reste, des deux côtés de notre explication, ces deux énigmes qui ne sont d'ailleurs que les .deux faces d'une seule : la sensation et l'action transitive . Afin d'expliquer cette double énigme qui constitue apparemment le fin fond de la nature, il nous faudrait comprendre la causalité efficiente, la « communication des substances »; or, nous savons qu’elle est inaccessible à notre entendement, « irrationnelle ». On a affirmé le contraire : c'est qu'on la confondait avec la causalité scientifique, qui est tout autre chose, qui est l'identité et qui constitue au contraire l'essence de notre entendement. On a voulu, d'autre part, exclure cette causalité scientifique même du domaine de la science : c'est que l'on commettait la même méprise eu sens contraire, que l'on assimilait la causalité scientifique à la causalité efficiente. La première erreur est celle de Descartes et de Spinoza, la seconde celle de Berkeley et de Comte. Les premiers ont cru à l'universelle intelligibilité, alors que les derniers, limitant la science à la loi, affirmaient par là que l'intelligibilité ne devait en rien intervenir dans la science ou, en d'autres termes, que rien n'était intelligible.

2) notamment en

Hébreux 12:2 Jean 19:28 Romains 9:28 2 Corinthiens 3:13 1 Jean 4 Mt, 28, 20