en marge :

Mauriac :
sur le Journal de Gide

sur la liberté

Gide
extrait sur Léon Blum (1914)

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André Gide (**)

Deux textes de Mauriac sur Gide dont un d'avant-guerre sur le journal. Où il reproche à Gide son admiration pour l'URSS - admiration qu'il corrigera dès 36. Je n'ai pas souvenir d'avoir apprécié jamais la prose d'André Gide . Je l'ai croisé pourtant très tôt, presque par hasard. Lycéen encore, j'entreprenais de me construire une culture sans trop savoir comment m'y prendre mais trop imbu d'une liberté dont je savourais trop les premières grandeurs pour prendre conseil auprès des miens. Je m'en souviens comme si c'était hier, dans cette librairie qui était la seule de la petite ville houillère où nous habitions, où mon père était connu ne serait ce que pour les livres qu'il commandait pour lui comme pour les élèves de sa classe, je ne sus trop où me diriger : les collections de poche convenaient à mon modeste pécule. Le choix tomba sur Paludes de Gide - texte court donc sans grand risque et Ovide qui sur le moment me laissa indifférent. Je n'ai pas compris les Métamorphoses : qu'il est difficile de partir de rien ou presque ! la culture ne saurait éclore sur un terrain aride et si malaisément sur les friches. Gide ne me laissa pas grande impression même si je devinais lien ce que le texte pouvait avoir d'original. L'essai de fut pas concluant … il y en eut d'autres.

Je l'ai lu beaucoup plus tard non sans efforts. Il y a quelques pépites dans son Journal mais des horreurs aussi ! Si le grain ne meurt m'a laissé un souvenir presque agréable mais pas assez pour me donner envie d'y revenir. En somme, pour être honnête, ni l'œuvre ni le personnage ne font partie de mon petit panthéon personnel. Je sais son importance avant 40 et son rôle de pionnier à la NRF mais quoi cet égotisme qui se veut sophistiqué, ces tiraillements de raideur protestante, cette vie intime sur laquelle il se répand, s'attarde et qu'il impose à longueur de pages nous laissant presque accroire qu'il s'agît d'œuvre, cette introspection qui se veut profonde - qui n'est que boursouflée - et élégante - mais ai maquillage aussi surchargé que celui d'une adolescente empressée de faire ses preuves. Il faut l'écouter ! non, après tout il le fait bien lui-même !

Mauriac-Gide : quel curieux attelage à première vue … et puis non ! Tout semble effectivement les opposer et pourtant ! Mais peut-on s'opposer sans en réalité se ressembler ? Un catholique fervent contre un protestant à la raideur très relative. Des écrivains engagés tous les deux sans doute. Mais si Gide dénonça tôt la colonisation (Voyage au Congo 1927) ou le système stalinien dont il perçoit dès 36 les aspects noirs (Retour d'URSS) on aura beau jeu de lui reprocher de s'engager à peu de frais - l'Afrique demeurera longtemps le terrain de jeu de ses amours si troubles et sa dénonciation de l'URSS n'engagea que lui ; il fut incontestablement anti-collaboration durant l'occupation, mais son seul titre de gloire fut de ne pas verser du côté de l'ombre cat il ne fit ni n'écrivit rien durant cette période. C'est bien peu en regard de Mauriac. Puriste, soucieux avant tout de l'indépendance de la littérature et de l'écrivain, il est tout sauf un militant et quand il s'engage c'est en son nom non sans cette délicieuse affectation qu'il mit à toujours heurter la pensée bourgeoise. C'est ainsi que, même après la Libération, il resta silencieux contrairement à Mauriac qui s'engagea contre les excès de l'épuration.

L'homme vertueux contre le jouisseur ? Ici encore ce serait trop aisé. Quelque chose les liait, en dépit qu'en eût Mauriac : Gide aura été pour Mauriac tout ce qu'il s'interdisait d'être et cette homosexualité - que dans le documentaire sur Proust, il ne parvint pas même à nommer - dans laquelle Gide pataugea sans limite en se donnant parfois pour prétexte cette quête du beau où il se donnait à bon compte des allures grecques - aura été tout au long de sa vie autant sa répulsion la plus puissante que sa tentation la plus constante. C'est peut-être en ceci que les deux nous sont devenus les plus étrangers : l'époque a ouvert les portes de la tolérance et c'est tant mieux : il m'arrive de songer qu'il en va de la sexualité comme de la religion, qui devraient ne jamais sortir de la sphère intime. Toute cette complaisance de retenues entremêlée ; ces scrupules qui ne consentent à s'avouer que sous couvert de circonlocutions absurdes ; ces confessions alourdies de secrètes jouissances … tout ceci sent un monde aujourd'hui disparu où l'empire du religieux mais de la morale donc, se faisait sentir jusque dans les silences intimes. Et les confessions intimes, pas plus que les bons sentiments, ne font bonne littérature : souvent seulement d'obscènes impudeurs. Oh bien sûr on peut toujours ironiser avec Mauriac lui même que ceci fit d'excellents romanciers. Mais non justement : le Mauriac qui vaut encore c'est celui de son Bloc-Notes pas de ses romans où l'on respire si mal ; quant à Gide … qu'en dire sinon qu'il vit sans doute juste en estimant qu'il aura été célèbre sans avoir été beaucoup lu. Oui, à part quelques petites notules ici ou là dans son Journal , tout vous tombe des mains qu'il vaudrait mieux oublier.

Personnage détestable … égolâtre jusqu'à l'enivrement, il illustre à merveille ce que Mauriac énonçait à propos des écrivains qui ne s'intéresseraient qu'à eux-mêmes. Ce narcissisme - mais le mot est-il assez fort ? - est à la fin écœurant. Et aura produit une littérature désuète et fatigante. Pour un Proust qui y réussit combien de pisse-confessions qui ne vaudraient pas même le divan du Dr Freud ?

Ce Monsieur est un triste faiseur et c'est vrai qu'avec le recul j'éprouve quelque difficulté à comprendre sa notoriété.

Je ne suis pas certain, au reste, de lui pardonner ceci, daté de 1914 , à propos de Léon Blum sont il se déclarera jusqu'à la fin l'ami :

Repensant cette nuit à la figure de Blum — à laquelle je ne puis dénier ni noblesse, ni générosité, ni chevalerie, encore que ces mots, pour s’appliquer à lui, doivent être déviés sensiblement de leur vrai sens — il me paraît que cette sorte de résolution de mettre continûment en avant le Juif de préférence et de s'intéresser de préférence à lui, cette prédisposition à lui reconnaître du talent, voire du génie, vient d'abord de ce qu'un Juif est particulièrement sensible aux qualités juives ; vient surtout de ce que Blum considère la race juive comme supérieure, comme appelée à dominer après avoir été longtemps dominée, et croit qu'il est de son devoir de travailler à son triomphe, d'y aider de toutes ses forces (…)
Je ne nie point, certes, le grand mérite de quelques œuvres juives, mettons les pièces de Porto-Riche par exemple. Mais combien les admirerais-je de cœur plus léger si elles ne venaient à nous que traduites ! Car que m'importe que la littérature de mon pays s'enrichisse si c'est au détriment de sa signification. Mieux vaudrait, le jour où le Français n'aurait plus force suffisante, disparaître, plutôt que de laisser un malappris jouer son rôle à sa place, en son nom.
Gide Journal

Même avec le recul, même en tenant compte d'un contexte, même en se souvenant que l'antisémitisme était monnaie courante - néanmoins dans les milieux catholiques beaucoup plus que dans les milieux protestants - même en admettant l'affectation si fréquente de Gide au bon mot, à la phrase finement ciselée … le propos est sot, insupportable ; inadmissible. Surtout chez un homme qui, du haut de ses spécificités et de la haute estime qu'il se portait à lui-même, se croyait à l’abri des préjugés de sa classe.

«M. Léon Blum, vous n’avez pas assez de terre française à la semelle de vos souliers. (…) Pour gouverner cette nation paysanne qu’est la France, il vaut mieux avoir quelqu’un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol, qu’un talmudiste subtil.» X Vallat

Ce sera, certes, tout à son honneur de ne pas supprimer cette notule quand bien plus tard il fera paraître ce texte mais j'imagine assez ce que Blum qui en a entendu d'autres - a pu ressentir en lisant cela. Lui qui déclare s'être immédiatement rangé dans le camp des dreyfusards, mais évidemment sans s'engager autrement que verbalement … Où l'on comprend qu'on aura pu défendre Dreyfus pour l'injustice qu'on lui faisait ou pour d'autres en raison du scandale d’État qui se fomentait sans pour autant rien céder aux préjugés de sa classe ni rien comprendre - et ne d'ailleurs pas même le vouloir - à ce qu'on n'appelle pas encore la question juive.

Non décidément le personnage est de peu d'intérêt et sa prose inepte. Je vois mal ce que Mauriac lui trouve, hormis ce double négatif de lui-même.

A y regarder de près quelle période détestable que ces années vingt et trente : comment comprendre que les flamboyantes années d'avant 14 pussent s'effondrer ainsi ? Décidément les dégâts de la Ie guerre mondiale auront été immenses, dans tous les domaines.

Pauvre Gide : tu portes les blessures de ton temps mais elles sont purulentes.