Il y a 78 ans ....

Chambre des députés 6 juin 36
Intervention de X Vallat

M. le président. La parole est à M. Xavier Vallat, pour développer son interpellation. (Applaudissements à droite).

M. Xavier Vallat. Mesdames, messieurs... (Rires et applaudissements).

M. André Le Troquer. C'est la première fois qu'on le dit à la tribune française et c'est au parti socialiste qu'on le doit.

M. Xavier Vallat. Je l'en remercie. Je ne le remercierai d'ailleurs que de cela.

Si nous en croyons, monsieur le président du conseil, les premières confidences que vous avez faites à la presse, un de vos amis vous aurait dit que la France vous attendait comme une nouvelle mariée. Le mot était tout naturel, s'adressant à l'auteur d'un traité matrimonial. (Sourires.)

D'autres que moi ici ont fait ou feront l'inventaire d'abord, l'expertise ensuite de ce que contient votre corbeille de noces. Pour moi, monsieur le président du conseil, je ne regarderai même pas aujourd'hui comment sont faits les traits de garçons d'honneur (Rires), du moins pour la plupart.

Quant aux dames du cortège, je me bornerai à saluer très respectueusement leur présence ici. Et, comme je n'aurai pas beaucoup de félicitations à adresser à M. Léon Blum, je tiens à le féliciter de les avoir fait entrer dans le Gouvernement, parce que j'y vois la promesse formelle que le gouvernement obtiendra très rapidement du Sénat le vote de la loi donnant aux femmes l'éligibilité et l'électorat.(Vifs applaudissements à droite, au centre et sur divers bancs).

Je serai très court, car il fait bon venir quatrième, après des orateurs de talent.

Je ne vous poserai pas de questions : M. Fernand Laurent l'a fait.

Je ne vous donnerai pas de conseils : M. Paul Reynaud y suffit. (Sourires.)

Je ne ferai pas d'exposé de doctrine, car je n'ai rien à ajouter au magnifique discours que vient de prononcer mon excellent ami M. Le Cour Grandmaison.

Je dirai simplement, tout net, quelques-unes des raisons personnelles, qui s'ajoutent, pour moi, à tant d'autres, de ne pas faire un crédit, même provisoire, à l'expérience Léon Blum.(Applaudissements à droite.)

Il y a d'abord le fait, que je considère comme une provocation, d'avoir confié à M. Jean Zay le soin de veiller à l'éducation de la jeunesse française. (Applaudissements à droite.)

Je trouve insuffisant comme titre aux fonctions de grand maître de l'Université de s'être exercé à des pastiches littéraires du genre de celui qui a occupé la chambre, il y a quelques mois. (Mouvements divers.)

Tout pareillement, je juge inadmissible la présence au Gouvernement de M. Pierre Cot, qui trouvait, à l'aube livide du 7 février, que la place de la Concorde n'avait pas été rougie d'assez de sang (Applaudissements à droite. - Vives interruptions à gauche et à l'extrême gauche) et qui admettait la possibilité de faire appel à l'armée française contre un peuple soulevé dans son indignation naturelle contre la malhonnêteté et la corruption. (Applaudissements à droite -. - Vives interruptions à gauche et à l'extrême gauche.)

Je sais bien que, pour la plupart d'entre vous, la grande question semble être d'établir que la dernière consultation électorale vous a donné la revanche du 6 février.

Sur divers bancs à l'extrême gauche. Oui ! Oui !

M. Brun. Revanche magnifique !

M. Xavier Vallat Comme si, messieurs, l'état d'esprit de certains mécontents qui ont été parmi les artisans de votre succès électoral était si éloigné de celui des manifestants du 6 février !

La preuve que cet état d'esprit était le même, c'est que, maintenant, pour galvaniser leur auditoire, les communistes empruntent le langage des « factieux » que nous sommes. Ils ne peuvent plus faire un discours ni donner un communiqué à la presse, sans les déterminer par la phrase sacramentelle qui - comme on vous le rappelait il y a un instant, était réactionnaire jadis - : « Nous voulons une France libre, forte et heureuse, dans l'honneur et dans la dignité. » [Applaudissements à droite . - Interruptions à l'extrême gauche.)

M. Brun. Mais vos amis ont été balayés !

M. Xavier Vallat. Mes amis sont revenus plus nombreux, et jamais je n'ai eu une plus belle élection.

Je me plaindrai d'autant moins de ce plagiat qu'il est la démonstration éclatante que Moscou a compris combien l'amour de la patrie était ardent au coeur de notre race, et l'impossibilité de faire dans ce pays une campagne et une propagande efficaces en faveur du communisme, si l'on ne teinte pas ce communisme de gallicanisme. (Applaudissements à droite.)

Mais cela, messieurs, ce n'est pas une raison pour que nous admettions, sans protester et sans le dire, le retour aux affaires des hommes que le 6 février a discrédités, soit parce que, comme M. Pierre Cot, ils admettaient à l'avance que l'hécatombe fut encore plus atroce, soit que, comme M. Édouard Daladier, plus sensible et plus humain, ils aient fait la démonstration de leur impuissance gouvernementale par l'absurdité et l'incohérence de leurs décisions préliminaires, par l'insuffisance des mesures de police prises, par leur incapacité à prendre les mesures que dictait l'évolution de leur situation. (Applaudissements à droite. - Exclamations et interruptions à gauche et à l'extrême gauche.)

Voix nombreuses à l'extrême gauche. Chiappe !

M. Jean Chiappe. Messieurs... (Applaudissements au centre et à droite. - Bruits prolongés à l'extrême gauche.)

M. le président. Monsieur Chiappe, vous n'avez pas la parole.

A l'extrême gauche communiste et sur divers bancs à l'extrême gauche. Chiappe en prison !

M. Jean Chiappe. Vous irez avant moi !

A l'extrême gauche communiste et sur divers bancs à l'extrême gauche. En prison ! En prison !

Au centre et à droite. A Moscou ! A Moscou !

M. Jean Chiappe. Messieurs,... (Vives interruptions à l'extrême gauche communiste et à l'extrême gauche. - Bruit prolongé

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante minutes, est reprise à dix-huit heures.)

M. le président. La séance est reprise.

Je voudrais régler rapidement l'incident qui vient d'avoir lieu, de façon qu'il soit le seul de cette séance et, j'ose l'espérer, de cette session. (Sourires.)

Messieurs (M. le président s'adresse à l'extrême gauche communiste), vous avez proféré avec vivacité des menaces contre un de vos collègues.

A l'extrême gauche communiste. Pas encore !

M. le président. Veuillez m'écouter. A défaut de la courtoisie, qui est de règle entre collègues, le règlement vous l'interdit. Je dois donc vous l'interdire. Et je vous l'interdis.

Mais, d'autre part, M. Chiappe a quitté son banc et s'est avancé pour prendre la parole. Je lui demande la permission de lui faire remarquer, à lui aussi, qu'il ne peut pas prendre la parole sans l'autorisation, d'abord, de l'orateur qui est à la tribune et, si j'ose l'ajouter, de la mienne. (Très bien ! très bien !) Si donc il avait le désir de prendre la parole, il ne pourrait l'avoir qu'à la fin de la séance, et sur un fait personnel. Mais, je pense qu'ainsi l'incident est réglé, et bien réglé, et qu'il n'aura servi qu'à mettre en relief l'admirable tenue de cette séance. (Applaudissements.)

La parole est à M. Vallat pour continuer son discours.

M. Xavier Vallat. Pour faciliter la tâche de M. le président, je ne poursuivrai pas ce paragraphe et je passerai au dernier.

Il est une autre raison qui m'interdit de voter pour le ministère de M. Blum : c'est M. Blum lui-même.

Votre arrivée au pouvoir, monsieur le président du conseil, est incontestablement une date historique. Pour la première fois, ce vieux pays gallo-romain sera gouverné...

M. le président. Prenez garde, M. Vallat.

M. Xavier Vallat. ...par un juif. (Vives réclamations à l'extrême gauche et à gauche.)

A l'extrême gauche. A l'ordre !

(A l'extrême gauche et à gauche, MM. les députés se lèvent et applaudissent M. le président du conseil.)

M. le président. Monsieur Xavier Vallat, j'ai le regret d'avoir à vous dire que vous venez de prononcer des paroles qui sont inadmissibles à une tribune française. (Vifs applaudissements à gauche, à l'extrême gauche et sur divers bancs au centre.)

M. Xavier Vallat. Je n'ai pas pris cela pour une injure. (Interruption à l'extrême gauche).

M. le président. s'adressant à l'extrême gauche. Messieurs, seul votre silence peut donner quelque autorité à mes observations. (Applaudissements à gauche et à l'extrême gauche.)

Monsieur Vallat, je suis convaincu que, peut-être même chez vos amis, vous ne trouveriez pas une approbation complète de vos paroles qui, permettez-moi de vous le dire, contrastent un peu étrangement avec les déclarations d'un ton si élevé et si noble que nous avons entendues tout à l'heure tomber de la bouche de M. Le Cour Grandmaison.

M. Jean Le Cour Grandmaison. Je n'accepte pas cette opposition, monsieur le président. (Applaudissements à droite.)

M. le président. Je voudrais donc, par égard pour cette solidarité nationale qui a été tout à l'heure plusieurs fois invoquée, vous prier, d'abord, monsieur Vallat, de retirer ces paroles. (Vives interruptions à droite.)

A droite. Pourquoi?

M. le président. Messieurs, vous me ferez l'honneur de croire que le jour où l'on attaquerait l'un d'entre vous pour des questions de religion, je le défendrais de la même façon. (Applaudissements.)

M. le président du conseil. Je demande la parole.

M. le président. Non. C'est à moi seul qu'il appartient de régler l'incident, j'en ai la responsabilité, je veux la prendre.

M. le président du conseil. Permettez-moi au moins de dire un mot.

M. le président. Non, monsieur le président du conseil.

M. Xavier Vallat. Je vous demande donc de retirer vos paroles.

M. Xavier Vallat. Mais c'est une constatation historique, monsieur le président; je demande à m'expliquer. (Vives interruptions à gauche et à gauche.)

M. le président. Dans ces conditions, pour les paroles que j'ai entendues, je vous rappelle à l'ordre avec inscription au procès-verbal. (Vifs applaudissements à l'extrême gauche et à gauche - Exclamations à droite.)

M. Xavier Vallat. Messieurs, je ne comprends pas bien cette émotion car, enfin, parmi ces coreligionnaires, M. le président du conseil est un de ceux qui ont toujours - et je trouve cela tout naturel - revendiqué avec fierté leur race et leur religion.

M. le président du conseil. C'est vrai.

M. Xavier Vallat. Alors, je constate que, pour la première fois, la France aura eu son Israël. (Interruptions à l'extrême gauche.)

M. André Le Troquer. Cela nous change des jésuites.

M. Xavier Vallat. J'ajoute que, contrairement aux espérances de M. Jéroboan Rothschild, il ne se sera pas appelé Georges Mandel.

Messieurs, si notre ancien collègue M. Georges Weill, avec qui j'avais des relations fort cordiales, était ici, il ne manquerait pas de m'accuser, une fois de plus, d'antisémitisme à la Hitler. Mais, une fois de plus, il se tromperait.

Je n'entends pas oublier l'amitié qui me lie à mes frères d'armes israélites. Je n'entends pas dénier aux membres de la race juive qui viennent chez nous, le droit de s'acclimater comme tant d'autres qui viennent se faire naturaliser. Je dis, parce que je le pense, - et j'ai cette originalité ici, qui quelquefois me fait assumer une tâche ingrate, de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas (Applaudissements à droite. - Exclamations à gauche et à l'extrême gauche) - que, pour gouverner cette nation paysanne qu'est la France, il vaut mieux avoir quelqu'un dont les origines, si modestes soient-elles, se perdent dans les entrailles de notre sol, qu'un talmudiste subtil. (Protestations à l'extrême gauche et à gauche.)

A gauche et à l'extrême gauche. La censure !

M. le président. Monsieur Vallat, président de cette Assemblée, je ne connais, quant à moi, dans ce pays, ni juifs, comme vous dites, ni protestants, ni catholiques. Je ne connais que des Français. (Vifs applaudissements à gauche, à l'extrême gauche et sur divers bancs au centre.)

M. Xavier Vallat . Je n'ai pas dit le contraire. J'ajoute que lorsque le Français moyen pensera que les décisions de M. Blum auront été prises dans un cénacle où figureront, à leur ordre d'importance, son secrétaire, M. Blumel, son secrétaire général, M. Moch, ses confidents, MM. Cain et Lévy, son porteplume, M. Rosenfeld, il sera inquiet. (Exclamations et bruit à l'extrême gauche et à gauche.)

A gauche et à l'extrême gauche. La censure !

M. André Le Troquer. C'est indigne de M. Vallat !

M. le président. Je dis à M. Vallat - et sans mettre dans mes mots la moindre menace, mais en les prononçant au nom du sentiment que j'ai de mon devoir - qu'il doit arrêter là les explications qu'il vient de donner, pour ne pas employer d'autre expression, et sur lesquelles j'ai dit ce qui convenait.

S'il continuait sur ce ton et sur ce thème, je serais obligé de faire ce que me conseillerait mon devoir. Mais je pense que l'incident ainsi réglé est clos. (Vifs applaudissements à /'extrême gauche et à gauche. - Protestations à droite et sur divers bancs au centre.)

M. Xavier Vallat. J'ajoute, monsieur le président du conseil, que le Français de la rue sera d'autant plus méfiant qu'au cours d'une carrière déjà longue et bien remplie, vous avez eu le tort de vous assurer une réputation bien établie de prophète qui se trompe.

Il y a longtemps que vous vaticinez et que vous annoncez le contraire de ce qui arrive !

Ce don instinctif de la divination a rebours, vous l'avez surtout exercé en politique étrangère.

A la veille des élections anglaises, en 1931, vous écriviez :

« En Angleterre, la tentative d'union nationale a, dès à présent avorté. L'expérience MacDonald est manifestement un échec. »

Là-dessus, la formule MacDonald obtient 553 sièges sur 612 et dure encore. (Applaudissements à droite).

M. André Le Troquer. Elle a eu du succès depuis !

M. Xavier Vallat. Et c'est pour les choses d'Allemagne que vous êtes particulièrement perspicace.

Le jour de 1928 où l'Allemagne entrait à la Société des nations, vous écriviez :

« Ce résultat, quant à moi, je le tiens pour définitivement acquis, pour irrévocable. »

Quant à l'avènement de l'hitlérisme, vous avez, avec une persistance louable, courageuse, toujours démontré à vos troupes fidèles qu'il était du domaine de la chimère.

Le 24 juillet 1930, vous écriviez :

« L'idée d'un gouvernement constitué par les bandes d'Hitler, de Ludendorff ou même dépendant d'elles en quelque façon, est parfaitement insensée. »

Cent sept hitlériens entrent au Reischstag !

Et vous concluiez :

« Tout s'est passé comme nous l'avions annoncé et comme il était aisé de le prévoir. » (Rires à droite.)

Au début de 1932, l'Allemagne élit son président de la République. Hitler obtient 30 p. 100 des voix allemandes. M. Blum intitule son article: « L'Allemagne ne veut pas d'un régime fasciste. »

Et il se félicite.

« Sous ne cachons pas non plus notre fierté en pensant que l'acte décisif, celui qui a déterminé la victoire républicaine a été accompli par nos camarades social-démocrates d'Allemagne. Les véritables vainqueurs d'Hitler, ce sont eux »

Le couplet est particulièrement drôle, quand on pense que le candidat républicain de M. Léon Blum était le feld-maréchal d'Empire von Benendorf und Hindenburg.

Quelques semaines se passent. On vote à nouveau dans le Reich. Celle fois-ci, M. Léon Blum s'est rangé aux côtés de M. von Papen, l'homme de la Reichswehr et il écrit :

« La Reichswehr ne permettra pas aux bandes hitlériennes de porter la main sur la légalité allemande. »

En novembre, on vote à nouveau et le Populaire chante victoire :

« L'accès du pouvoir légal ou illégal est désormais clos devant Hitler. La social-démocratie a « eu » Hitler. » (Populaire, 9 novembre 1932.)

Deux mois après, Hitler était maître de l'Allemagne et devenait son Excellence le chancelier Adolph Hitler, quelque chose comme le collègue de M. Léon Blum (Rires et applaudissements à droite.)

Eh bien ! avouez que, si gouverner c'est prévoir, il n'y a pas beaucoup d'hommes qui aient moins de titres que M. Léon Blum aux fonctions de chef de Gouvernement.

En tout cas, nous ne pouvons vraiment pas considérer cette persévérance diabolique dans l'erreur comme une promesse de la sûreté de votre jugement dans les décisions graves que les circonstances vont vous imposer.

Voila, messieurs, l'ensemble des raisons qui motivent notre vote de méfiance à l'égard du Gouvernement de M. Léon Blum.

Si nous n'avions à nous préoccuper que de nos personnes, nous aurions déjà oublié le « Je vous hais » qui a jailli un jour du coeur de M. Léon Blum à notre encontre.

Mais il s'agit de quelque chose qui nous domine, de ce que rappelait hier, M. le président de la Chambre, des destins du pays, de notre pays, de l'avenir de la race, de notre race. (Interruptions à l'extrême gauche.)

Devant les problèmes qui se posent, nous savons que nous ne pouvons avoir avec vous, sur les choses importantes, ni sensibilité ni réactions communes.

Par ailleurs, votre passé, votre long passé dans l'opposition nous a prouvé surabondamment que vous étiez un esprit supérieur, qui se refusait à voir les humbles réalités de la vie.

Nous ferons donc, pour notre compte, tout ce que nous pourrons pour que ne reste pas au gouvernail du navire « France » un pilote qui, les yeux perdus dans les nuées, nous conduira infailliblement vers tous les naufrages. (Vifs applaudissements à droite et sur divers au centre)