Bloc-Notes 2017
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(Les) Le Pen

Portrait, après ceux de Fillon et de Macron, sans doute le plus difficile à brosser pour moi certes à cause de ce qu'ils représentent qui demeure quand même le comble de l'exécrable, mais aussi parce qu'il s'agit d'un désormais incontournable triptyque où chacune des pièces s’emboîtant finalement assez bien à l'autre, a sa partie à jouer dans la cacophonie ambiante.

Ils se présentent comme une - diabolique - trinité ou, mieux encore comme les trois flexions du temps - histoire de nous asséner avec une implacable évidence que nous ne nous débarrasserons pas de sitôt de cette sainte famille.

Le Père

Bientôt rayé des cadres de l'histoire, le vieux baroudeur, prompt à la bagarre, à l'invective et à la provocation, puisant ses rituels dans la Corpo des si troubles années trente, son prêt-à-penser dans les rancœurs poujadistes des années 50 et ses heures de pseudo-bravoure dans les combats d'arrière-garde du conflit algérien. Lui, représente le passé même si le vieux lion est encore capable de rugir, de sortir ses griffes car il représente la fusion, longtemps confidentielle, entre la vieille droite pétainistes et les ultimes remugles du fascisme.

Il aura longtemps géré son affaire comme un petit boutiquier mais il faut dire que tout au long des années 70 et même encore 80 la boutique devait rester bien confidentielle. Verbe haut, spontanément braillard : il tenait cette culture oratoire des grands anciens que furent Mussolini ou Hitler dont le propos tenait plus du crachat, de la bave ou de venin que de la parole organisée. Peu lui importait d'être pris pour un trublion, un clown menaçant ou un vulgaire agitateur puisque c'était le rôle qu'il s'était assigné. Le Pen, tout en prenant les rênes du FN - au départ émanation présentable d'Ordre Nouveau, groupe ouvertement fasciste - s'est sans doute donné pour tâche, d'abord, d'assurer sa propre carrière politique, sans aucun souci d'un quelconque accès au pouvoir - ce que l'épisode de la victoire à Orange, Vitrolles et la rupture bientôt avec Meigret allait illustrer :

Le rôle du père, au delà de ses sordides velléités personnelles, aura consisté en fin de compte à sortir l'extrême-droite française de la confidentialité : écrasée par l'opprobre de la collaboration, la vieille extrême-droite, volontiers xénophobe et autoritaire, farouchement anti-communiste au point de s'être compromise avec le nazisme, avait d'autant moins d'issue que la fabuleuse croissance des Trente glorieuses, l'épopée gaulliste avec sa dimension rassembleuse et sociale lui interdisait tout débouché politique. Cette droite, ultra-montaine qui depuis la chambre introuvable de la Restauration avait à peu près tout raté, et connu après l'échec du retour de l'ordre moral de Mac Mahon et de Broglie en 73 et l'infamie de l'Affaire Dreyfus ses ultimes soubresauts, allait, sa rancœur recuite depuis deux siècles, mais unie aux franges frénétiques des scories nazies, sans le dire mais efficacement, trouvé lentement une caisse de résonance.

Le Pen est tout sauf un intellectuel, un bateleur des tribunes, efficace certes, un baroudeur surtout, qui semble toujours vouloir foncer avant que de réfléchir. Regardez-le, le visage épais, l'obstination farouche du bas breton s'accrochant à sa terre comme à sa première vérole, capable d'autant de ferveur qu'un taureau devant un chiffon rouge, toujours cette même moue boudeuse qu'on retrouvera chez un Trump, dont on ne saurait décider si elle transpire le mépris ou seulement la difficulté à penser - exercice besogneux et bien peu spontané chez lui. Je ne suis pas sûr qu'il soit transgressif : ses débordements célèbres sur le point de détail ou Durafour crématoire auraient pu dénoter un - exécrable - sens de l'humour mais cet homme est trop monomaniaque et trop imbu de sa propre épopée pour y avoir mis autre chose qu'un subterfuge pour garder la main. Tout au plus peut-on dire de lui, qu'il ressemble à son parti, lui écrirait sans doute plutôt son parti à lui : le verni bourgeois craquelle aisément sous les poussées des remugles nazies qu'on aura, mais finalement si peu, camouflées.

 

La Fille

Elle a tout d'une Berthe au grand pied qui se piquerait, par intérêt ou rage, des manigances d'Electre. Tombée tôt dans le chaudron fulminant, elle est le symbole du népotisme familial. Héritière en second, elle ne le deviendra qu'après la défection de ses sœurs, elle rentrera après une jeunesse joliment fétarde dans l'affaire familiale où elle habitera, travaillera, épousera et manigancera. Durant la crise mégrétiste elle saura choisir le bon camp tout en commençant à faire entendre sa petite musique : certes, tout sauf Mégret mais surtout ni droite ni gauche ( tiens, elle aussi !) où elle voit l'opportunité d'une dédiabolisation qui sera sa marque de fabrique.

Il faut la regarder de près, le cheveu tombant comme pour rappeler une jeunesse déjà enfuie, raide, filasse, mais blond quand même, toujours sur fond bleu histoire de rappeler à la fois son prénom, son origine bretonne et la couleur qu'elle a imposée au FN, les lèvres pincées, si fines qu'elles semblent biffer son visage d'un non définitif ; le regard souvent projeté d'en-dessous comme pour mieux scruter un quelconque complot qui s'ourdirait contre elle, ou l'inévitable ennemi d'un système qui ne l'oublions pas, commence déjà à sa périphérie. Elle, contrairement à son agitateur de père, veut le pouvoir et devine bien vite qu'il sera bientôt à ramasser tant il est anémié, par qui saurait habilement émousser les aspérités trop criardes d'un passé trouble. Impitoyable, sans doute, pour qui oserait la braver sur le chemin, prête à tout et d'abord au meurtre du père ce qu'elle faillit réussir si le cadavre ne frétillait encore à l'occasion, prompt à la saillie désastreuse qui ruinerait tous les efforts. A sa manière c'est une politicienne classique : une tueuse !

Oh, ne nous y méprenons pas, les peu avouables raclures nazies s'ébrouent toujours qui ne font pas qu'office de service d'ordre mais distillent encore leur prêt-à-penser macabre qu’on renifle aisément pour peu qu'on y prête garde mais les vieux bérets et uniformes de la milice, s'ils sont encore prêts à sortir du placard, sont pour le moment pudiquement écartés et cantonnés au service d'ordre … Les crânes rasés sont tellement voyants ! Sans le dire toujours, mais avec une réelle efficacité, Marine qui n'est point sotte, a imposé la stratégie de Buisson, consistant l'air de rien mais avec une méticulosité redoutable, à incruster dans les mots du politique des termes comme identité ou préférence nationale, mais aussi racines qui auront fini par contaminer la droite classique elle-même. Une vraie machine de mots, une bataille culturelle - comme une sinistre évidence.

Les mots à la place des crânes rasés ! Ou de la vieille droite qui sentait le rance ! Chapeau ! c'est réussi !

Qui a oublié cette Une de Libé entre les deux tours de 2012 quand il s'agissait pour Sarkozy de tenter de coiffer Hollande sur le poteau en ouvrant les digues vers l'extrême ?

On n'a pas assez écouté le terme dédiabolisation : il fallait bien entendre qu'il y avait un diable mais en l'identifiant au père on s'en sera débarrassé, apparemment à bon compte. En réalité, le diable n'a jamais quitté le confessionnal !

Désormais la digue, qui maintenait séparées droite classique et droite extrême a rompu sans qu'on puisse trop bien savoir si cela tient à son habileté ou à la lâcheté, ivre de convoitise, du camp d'en face ; toujours est-il, à bien entendre les discours, plus grand chose ne sépare désormais le pré-carré fillonnesque de l'extrême mariniste. Recomposition du paysage politique ? Décomposition préalable en tout cas ! Celle-ci a réussi son pari : sans doute ne l'emportera-t-elle pas aujourd'hui mais ses idées, oui !

La voici, regardons-là bien, en une tenue bien sage, de femme respectable, de femme mûre presque mémère, abordant le 3e age avec l'angoisse du presque plus rien comme si elle allait bientôt quitter les rives d'une féminité bientôt rassise, pour rejoindre la cohorte triste et vaincue de celles qu'on ne regarde plus, qu'on écoute encore un peu, par respect, mais qui radote déjà : peu de spectacle, quelques bons mots mais avec juste ce qu'il faut de sarcasme pour ce système qui la refuse, faisant une campagne avec économie de moyens et de parole : pardi, il lui suffit d'attendre que les autres se déchirent pour les récupérer dans son escarcelle. Oui, cette femme est déjà sans âge, épuisée de tant de colères et de mariages ratés - on a beau s'être fait baptiser à la Madeleine et avoir reçu une éducation religieuse, ici, mais c'est de famille, on divorce ! - avec elle on ne pourra même pas se réjouir de porter une femme à la présidence, non seulement certes, pour ce qu'elle représente, mais aussi parce que ce n'est déjà plus une femme : une voix seulement, même pas enjôleuse, sûrement pas enchanteresse, saccadée comme les saillies frénétiques de sa haine, enfilant comme les perles de son rosaire, les contre-vérités amères de sa rancœur. On pourrait presque s'amuser du bandeau Au nom du peuple qu'elle arbore si ce coup ne nous avait déjà été fait dans les années trente en Allemagne. Je persiste à dire que populisme est un terme impropre qui n'aide en rien à comprendre ce qui se joue ici : démagogie conviendrait mieux. Le peuple est rarement gagnant des combats que l'on mène en son nom … et si peu de ceux qu'ils mènent en son propre nom !

Le Saint Esprit

 

La troisième de la lignée - la plus jeune dont elle conserve encore le charme fadasse mais non pas la moins coriace - on lui donnerait aisément le bon dieu sans confession mais on aurait tort : elle l'a déjà vendu au plus offrant. Élue, presque par hasard, à la députation en 2012, crime par avance de lèse-marine, elle offrait tout de l'apparence mièvre et encore tendre de la jeune fille dont elle singeait les ultimes ressacs. Or, celle-ci a la fureur froide des missionnaires et parle comme si elle fût directement inspirée. On ne fait pas impunément sa scolarité dans une Institution St Pie X - obédience Mgr Lefevre - on ne participe pas aux pèlerinages de Chartres sans que ceci laisse des traces.

Regardez-là : celle-là est vieille avant même d'être adulte ! Ses idées - en sont-ce seulement ou plutôt des dogmes assénés avec la fureur du glaive ? - sont celles d'une Église qu'on croyait en voie d'épuisement et qui, brusquement surgie du diable vauvert, fit tonner sa voix éraillée durant la primaire de la droite. Avec sa morale rassise, mais toujours impérieuse, avec la certitude autoritaire que vous confère la certitude d'être investi par l'absolu, cette droite catholique qui se prétend traditionnelle mais qui est surtout autoritaire et ne se vautre dans la culpabilité que pour en accuser les autres, ne rêve qu'à régimenter nos vies intimes en passant d'abord par nos corps.

Regardez là : trop claire pour ressembler à un jésuite ; trop lumineuse pour imiter l'inquisiteur ! Pourtant dans sa rage à s'opposer au mariage pour tous, dans ses propos sur l'avortement, il y a bien quelque chose que l'on croyait disparu : les grenouilles de bénitier, les rats de confessionnal !

Elle a peut-être, pour notre malheur et celui de la liberté, un avenir plus grand qu'on ne le croit. Quand viendra le temps de l'après, quand les nostalgiques de la pureté de la race auront rejoint les amateurs d'autorité et d'ordre, quand demain se rejoindront sabre et goupillon, alors, oui, naîtra une nouvelle droite dont le fumet fétide agace déjà nos narines.

La boutique familiale désormais se veut universelle - catholique !

Bigre !