Bloc-Notes 2017
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Vulgaire

Mot étrange que celui-ci que tout le monde semble entendre mais peine néanmoins à se définit. Il n'est pas bien difficile d'en repérer les effigies actuelles - tiens, a-t-on repéré la similitude d'allure entre un Trump et un Boris Johnson ?

Même moue boudeuse - à moins qu'elle ne soit méprisante - qu'on s'était habitué à voir chez les mannequins à qui l'on avait appris à s'effacer devant le vêtement et pour qui la moue boudeuse devait contrefaire tout au mieux le mystère. Chez Trump, la moue - rictus ou grimace - apparaît sitôt que l'homme veut faire sérieux - président - comme s'il s'agissait de donner quelque poids à une fonction qu'on se sait usurper. Même chevelure blonde ajustée comme un casque de guerrier, virevoltant au vent mauvais de la haine ordinaire, dont on eût aimé qu'il eût la roide froideur de l'ordre germanique mais qui au moins, suggère la pureté des racines aryennes. Même visage bouffi de suffisance, gavé de glucides industriels qui respire l'aisance mais surtout l'indifférence à ce qui n'est pas soi … quelque chose de l'ogre des contes de notre enfance ou encore des aïeux de Zeus en cette curieuse mais universelle dilection archaïque à effacer toute ascendance et interdire toute descendance. Oui l'enfer doit bien ressembler à ceci : cette monomanie egolâtre qui se donne l'illusion de l'emprise en supprimant tout et tous autour de soi.

Quelques-uns de ceux qui nous envahirent ainsi étaient armés, plusieurs autres laissaient voir des armes cachées, mais aucun ne semblait avoir la pensée arrêtée de nous frapper. Leurs regards étaient étonnés et malveillants, plutôt qu’hostiles ; chez beaucoup une sorte de curiosité grossière, en train de se satisfaire, dominait tout autre sentiment, car, dans nos émeutes même les plus sanglantes, il se trouve toujours une multitude de gens moitié coquins et moitié badauds qui se croient au spectacle. Du reste, point de chef commun auquel on semblât obéir, c’était une cohue et non une troupe. Je vis parmi eux des hommes ivres, mais la plupart paraissaient seulement en proie à une excitation fébrile que l’entraînement et les cris du dehors, la touffeur, le resserrement et le malaise du dedans leur avaient donnée ; ils dégouttaient de sueur, quoique la nature et l’état de leurs vêtement ne dût pas leur rendre la chaleur très incommode, car plusieurs étaient fort débraillés.
(…) C’est alors que je vis paraître, à son tour, à la tribune un homme que je n’ai vu que ce jour-là, mais dont le souvenir m’a toujours rempli de dégoût et d’horreur ; il avait des joues hâves et flétries, des lèvres blanches, l’air malade, méchant et immonde, une pâleur sale, l’aspect d’un corps moisi, point de linge visible, une vieille redingote noire collée sur des membres grêles et décharnés ; il semblait avoir vécu dans un égout et en sortir ; on me dit que c’était Blanqui.
Tocqueville, Souvenirs, Gallimard, Paris,

Mot surprenant, disais-je, parce que, contrairement à l'usage qu'on en a d'ordinaire, le terme n'est pas seulement péjoratif mais désigne d'abord ce qui est répandu, commun à tous les membres d'une collectivité. Ce n'est qu'ensuite que vulgaire désigne ce qui, pour être commun, perd tout intérêt, puis, plus négatif encore, ce qui manque d'éducation, de distinction, qui est grossier et donc qui heurte la bienséance. Du latin vulgaris - qui concerne la foule, ordinaire, banal. Autant dire que s'y niche aussi (d'abord ? ) un discours de classe : ce qui est commun à tous n'a pas beaucoup d'intérêt et ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard si l'on appelle distinction cette forme d'élégance, de savoir-vivre, de respect de l'étiquette qui vous sort du lot et donne l'illusion d'intégrer l'élite. Le vulgaire c'est toujours l'autre, mais d'abord l'intrus qui se pique de vouloir jouer dans la cour des grands. Il est clivant, comme on dit sottement dans les milieux journalistiques : autant dire qu'il heurte, bouscule les convenances, les bienséances ; le code moral. Sale souvent, mal fagoté, assommé d'alcool et de bas instincts à quoi il laisse volontiers libre cours … Grossier, quoi ! Mais comment faire alors la différence entre le révolutionnaire qui renverse et représente inéluctablement une menace pour les nantis, et la brute qui désire seulement renverser la table, inverser seulement les positions ?

Mais le vulgaire c'est aussi la foule ! rien ne fait plus peur que la foule qui représente par excellence ce qui est immaîtrisable et capable de tous les excès - vol, pillage, violence : le mot lui-même le dit la cohue, la presse, le grouillement ou la ruée. Le latin dit la tourbe du grec τυρβη signifiant désordre, confusion, tumulte. Interprétation plutôt positive qui consiste à repérer que c'est toujours de ce désordre-ci que naît un ordre plus ou moins nouveau : c'est de la confusion initiale que s'érigera le plus grand empire de notre histoire - Rome. Du tohu-bohu, que la Parole créatrice tirera le monde. Certes, il faut toujours une parole, celle de Dieu ou celle d'Evandre pour sauver Hercule de la vengeance de la foule. La parole désigne l'élu en même temps que le coupable et il faut bien cela pour que la foule non pas nécessairement se calme mais se rassemble et fasse corps. A l'étang de la chèvre, après la mort de Romulus, le peuple s’égaye, apeuré, mais de se nommer les uns les autres en même temps qu'ils fuient, les hommes reforment le corps de la cité et lui permettent de se perpétuer. A ce titre, il n'est pas tout à fait faux d'affirmer que l'élection présidentielle est un rituel émissaire, comme un autre, où la foule criant le nom de l'élu, en même temps met à mort le sortant, évidemment coupable de tous les maux. Cette foule qui demain criera Macron ! me rappelle étrangement celle qui hurla Barabbas !

Alors ce vulgaire-ci, sans doute est-il aimable … à condition qu'une voix s'élève pour le guider ! Traduisons : à condition qu'une voix parle en son nom. Il faudra bien couvrir ce brouhaha désordonné et si souvent insane. Relisons les G Sand, Taine ou même le Zola de 1870 : ce sont les Macron, Fillon et autre Le Pen d'aujourd'hui. On a beau aimé le peuple … mais de loin s'il vous plaît : il est tellement rustre, frustre, bruyant et sale. Il faudra bien, c'est selon, qu'on le dresse ou le guide pour ne pas se laisser emporter par sa tumultueuse rustauderie.

c'est le monde à l'envers si le chef est moins raisonnable que la foule. À bien regarder l'honneur, qui porte si promptement les foules à l'action, est justement ce qui doit retenir le chef. Qu'il soit donc cérémonieux; et, si ses pensées ont des épines, qu'il ne pense pas trop. Le peuple n'estime certainement pas assez la majesté, même vide.
Alain, Propos,1930, p. 914
Mais ici c'est d'autre chose dont il s'agit : non pas de la vulgarité de la masse mais de celle d'un seul ; de l'élu. Ici, vulgarité prend un tout autre sens. C'est celui de la présomption de qui, s'arc-boutant sur sa réussite croit ne pouvoir compter que sur lui-même, n'écouter que lui-même et s'ériger en modèle. C'est celui qui n'a qu'intérêts à la bouche et donc que défense contre tout ce qui viendrait les menacer. Non bien sûr Trump n'est pas isolationniste - ce qu'il s'est plu à rappeler à la Chancelière allemande - car la meilleure défense c'est encore l'attaque ; mais justement ce n'est qu'une défense, encore et inlassablement ; une stratégie exclusivement centrée sur soi-même. Vulgarité parce qu'on ne sort pas du discours de la guerre même si on la déplace, mais de moins en moins, du côté de la concurrence économique ; donc de la surenchère ; donc du défi. Vulgarité parce que l'autre est toujours celui dont il faut se méfier, qu'on devra tenir à l'écart ou battre. Vulgarité parce qu'il n'est jamais question de programme ou de perspective, tout au mieux des remparts à hérisser, mais surtout des invectives souvent odieuses, des attaques ad hominem à l'encontre des adversaires. Vulgarité parce qu'on ne s'y adresse pas tant à la réflexion de l'électeur - puisqu’en démocratie il faut bien en passer par là - mais au plus bas instincts que l'on flatte, aux passions les plus frustres que l'on exacerbe : envie, colère, peut, égoïsme. Ce qui est une autre manière de mépris ! America first, ne signifie qu'une chose : moi d'abord ! Le Brexit aussi ! B Latour n'a pas tort d'y voir le renoncement à un monde commun. La liberté que l'on prend avec les faits, cette présumée post-vérité, ces pseudo-faits alternatifs ne sont que les formes, amplifiées par les réseaux sociaux et les opportunités offertes par le Web, d'un cynisme sidéral. Vulgarité parce que, sous ce mépris de l'autre, il y a de la haine !

Comment donner tort au vieux Marx rappelant que l'idéologie dominante était celle de la classe dominante et que toute la superstructure d’État n'a d'autre but que de préserver les intérêts de la classe dominante quitte à les travestir sous le doux nom d'intérêt général ? Comment nier que la mondialisation fut surtout, orchestrée très tôt, un fabuleux stratagème, surtout quand doublé de la dérégulation, pour créer un terrain de jeu illimité aux affaires, à la circulation des marchandises mais que jamais il n'engagea les hommes, les peuples ni ne fut conçu pour leu en améliorer le sort ?

Cynisme ? oui mais tellement à l'opposé de celui, paradigmatique d'un Diogène : ce dernier assumait l'immondice mais récusait, dans un silence rarement brisé, le lien d'avec le monde. Rien de trop ! oui, il aurait pu l'assumer dans sa recherche vaine d'un homme qui fût honnête. Une telle posture ne fut pas sans danger tant on finit toujours par ressembler à l'antagoniste qu'on se donne : d'être au plus près, Diogène n'est pas si éloigné qu'on l'imagine d'un Alexandre. Pourtant, à l'inverse quelle économie de moyens, quel retrait, quel silence qui traduit, non pas le mépris, mais l'impuissance à atteindre jamais l'autre !

Je crois bien que jamais si peu le politique se voulut le gouvernement des hommes ; jamais autant il ne se délecta de n'être le gouvernement des choses. L'homme n'est plus au centre de rien ; seul, ignoré ; nié. Le mépris do,t il est l'objet n'est pas une erreur ou une confusion mais une mise à mort.

Regardons les tréteaux : en un siècle, ils sont devenus le grand barnum d'un cirque obscène, où rien n'est jamais assez grand, ni la salle, ni le nombre de militants faisant la claque, ni les phrases chocs ou slogans. Ils ressemblent plus que jamais à la scène d'un one-man-show où quelques saillies, deux ou trois invectives, un peu d'ironie ciselée dans une formule qu'on sait la presse reprendre demain pour ne retenir qu'elle ; sûrement pas à cette fallacieuse légende gaullienne de la rencontre d'un homme et d'un peuple. C'est la foule qui est convoquée ; pas le peuple. Ça hurle, chante et siffle : elle n'a été convoquée, réunie par cars spéciaux que pour cela - faire nombre ; faire du bruit. La presse, le lendemain, ne retiendra que cela : cette sotte compétition, dont on sait pourtant qu'elle n'a rien à voir avec le nombre de suffrages que l'on recueillera demain, du plus grand rassemblement populaire.

Fillon y trouvera prétexte de persévérer. B Johnson de quelques pitreries ; Trump de quelque obscénité. Qu'importe la bouteille, pourvu qu'on ait l'ivresse. Et même si Mélenchon, seul d'entre tous, s'adresse à l'intelligence de son public, prend la peine d'expliquer, de justifier au point de contrefaire parfois le prof qu'il n'a pas su être, même s'il n'hésite pas à citer Jaurès ou Hugo, n'échappe pas toujours à la tentation du spectaculaire, aux délices du bon mot !

Qui leur fera comprendre que leur spectacle est mauvais ? Qui leur dira jamais qu'ils sont vains, rodomonts et vulgaires ?

Que de leur fatuité, ils nous insultent ?