Bloc-Notes 2017
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Disruptif …

Un de ces mots à la mode, directement importé des afféteries du sabir marketing et qui envahit désormais la presse, après l'inénarrable barbarisme de clivant dont on abusa durant la période Sarkozy.

Je le trouve dans le Monde à propos de l'intervention de C Angot lors de l'émission politique de F 2 dont Fillon était l'invitée. La rédaction justifie ses choix par le souci d'être au plus près de la réalité, dans ses contradictions et ses violences parfois, d'échapper au piège constant de tout débat politique de se cantonner à des protagonistes experts et habitués les uns aux autres, quand ils ne sont pas de connivence : journalistes, politiques …

Soit ! Pourquoi pas !

Je m’apprêtais à pester contre un de ces termes à la mode qui claque, sans doute, mais cache plus qu'il ne révèle ! J'aurais eu - à moitié - tort : le terme n'est pas un néologisme ! issu de disrumpere - briser, faire éclater, rompre - il signifie, pour désigner une déchargé électrique ce qui se produit avec soudaineté et par métaphore tout ce qui produit une rupture.

Il faut dire que cette femme n'y est pas allée par quatre chemins et n'a pas, comme on dit, mâché ses mots. Si rupture il y eut, c'est en ceci : point d'euphémismes, pas de circonlocutions ; pas de politiquement correct. L'affrontement, franc et massif !

 

Mais la rédaction ne dit pas tout : en utilisant ce terme, qui a envahi les poncifs du marketing, elle avoue aussi une stratégie de vente, de segmentation de marché ; l'effort pour se distinguer de la concurrence. Disruptif dit, dans ce domaine, la capacité à sortir des normes, du conformisme, à être résolument innovant.

Le fut elle ? Non !

Elle aura simplement illustré cette fabuleuse ambiguïté des tréteaux médiatiques où il faut bien, pour se faire remarquer être transgressif … mais surtout pas trop au risque de desservir le propos que l'on veut défendre. Souvenons-nous de l'image présentée comme détestable de Mélenchon lors de la campagne de 2012, réputé pour s'en prendre aux journalistes, supposé toujours trop agressif.

D'une campagne à l'autre, il se sera fait plus rond, plus ironique - songeons à ces savoureuses pudeurs de gazelle du débat de début de semaine - pour que son franc parler ne parasite plus sa parole politique. Étrange période que la nôtre qui veut bien tolérer la guerre et la violence mais seulement sur le terrain économique et surtout à condition qu'elles soient travestis par les mots d'experts. Curieuse période qui trouvera toujours à lutte des classes un je ne sais quoi de vulgaire et de rustre. Curieuse corporation que celle de la presse, coincée - mais c'est un média donc par définition à l'intersection de logiques contradictoires - entre le souci de transmettre l'information et de défendre la liberté d’expression d'un côté, et le soin de satisfaire un public à qui il faut bien plaire et vendre ; entre le travail de critique et le refus d'être à son tour critiqué ; entre l'exigence d'objectivité et, par peur de prendre parti, la veulerie de la parole neutre, vide ; policée. On ne se vautre jamais impunément dans le juste milieu ! C'est encore Angot qui eut le mot -juste - de la fin : si on l'a invitée c'est bien pour dire ce que eux, les journalistes, ne pouvaient pas dire.

Une campagne électorale est une lutte ! parce que politique, elle se joue dans les mots, mais c'est une lutte. Et si elle est lutte c'est bien parce qu'elle cherche à révéler ou cacher conflits, luttes, injustices, basses manœuvres ou iniquités qui se jouent sur le terrain, dans la vraie vie comme on dit désormais, aux lieux où les puissants qui parlent emportent leurs prébendes, misent leur déshonneur, imposent leur avidité.

Il faut le regarder avec son calme feint d'assurance intérieure, avec cette bouche pincée qui barre le bas de son visage d'un déni magistral : lui, est une figure de violence - celle du cynisme - assise sur tant de siècles de domination qu'elle en paraîtrait presque légitime ; il faut le regarder nous regarder avec la bienveillance contrefaite qu'a parfois le maître pour le laquais obséquieux, avec l'effroi outré devant le manant qui se pique de se révolter ou même seulement de s'offusquer.

Non décidément ce n'est pas Angot qui fut disruptive. Elle a seulement fait le travail que ne font plus les intellectuels qui préfèrent désormais se taire ou hurler avec les loups.

Mais les dés sont tellement pipés médiatiquement que sa colère même paraît désormais suspecte et qu'on en viendrait même à souhaiter plaindre le contrevenant objet de tant d'acharnement.

Non, décidément plus rien ne peut se passer désormais ici : il y a bien rupture mais elle est ailleurs et elle se paiera cher. Nous la paierons tous cher.

C'est cela qui est impardonnable ! au moins autant que notre anémique prédisposition à pouvoir seulement entendre tonner la colère.