Bloc-Notes 2017
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Pouvoir

Un nouveau gouvernement qui s'installe, même s'il n'a formellement qu'un mois d'espérance de vie, après un nouveau président fraîchement investi, et voici que bruissent les commentaires et s'émoustillent gloses, s'enchevêtrent les exégèses de la planète médiatique et fusent les saillies herméneutiques des communicants de tout poil.

Il faut dire que la période s'y prête : dans cet entre-deux que constitue le mois et demi qui sépare les présidentielles des législatives, ce gouvernement ne peut en réalité pas faire grand chose hormis préparer ses dossiers dans l'espoir qu'une majorité, demain, lui soit dévouée.

Alors ne restent que les symboles de ce quarantième gouvernement de la Ve : inutile d'y revenir, d'autant qu'il est bien trop tôt pour déterminer s'il ne s'agit que de poudre aux yeux - de perlimpinpin ? - de stratégie politique - casser la droite après la gauche ? - ou, enfin, comme on voudrait nous le faire accroire, d'une nouvelle manière de faire de la politique.

Ce qui - en prolongement de ce que nous écrivions - est une autre manière de poser la question du pouvoir ! 1

Détour par les mots : 2

Quand on regarde bien, nous désignons tous nos systèmes politiques principaux par deux suffixes : ou bien archo - oligarchie ; monarchie, anarchie- ou bien cratos - démocratie, aristocratie, autocratie. Or ces deux mots, s'ils finissent par se rejoindre, ne disent pas tout à fait la même chose.

ἄρχω :être le premier ; aller en tête donc guider ; commander ; commencer ; équivalent latin rego : diriger guider mener d'où archonte qui désignait les magistrats principaux dans la cité athénienne

κρατος : force du corps ; solidité ; domination, puissance. dérivé de κρατεω : être fort et puissant d'où être le maître, ordonner ; être le maître, prévaloir, devenir force de loi, devenir une règle.

D'un côté, le guide, et ce n'est rien de dire que le registre gaullien aura amplement joué de ce registre-ci, rien non plus de rappeler que le protocole veut toujours que le président marche en avant et que tous les autres se tiennent un pas en arrière : il est celui au-dessus de quoi il n'y a rien, celui aussi qui est seul à être absolument libre puisqu'il est au commencement ou parvient à nous le faire croire.

De l'autre, la force, la vigueur qui parvient à transformer volonté ou désir en loi, en règle.

Ces deux aspects évidemment se rejoignent : qui montre le chemin dit ainsi la direction et c'est en cela qu'il dirige et trace ainsi la ligne droite qui relie rex et lex, royauté et droit. Ils divergent au moins en ceci que cratos ne définit le pouvoir que par la force, la vigueur et donc que par rapport à lui-même alors que archos l'envisage par rapport à ce qui n'est pas lui et qu'il précède. C'est bien après tout ce que dit démocratie qui ne tire sa puissance que de soi, le peuple en tant que tel ; alors que la monarchie, par exemple, suppose toujours un commencement absolu dont elle prolonge à la fois la puissance et la sacralité.

Il suffit de regarder de Gaulle pour comprendre que s'il tire effectivement sa légitimité des urnes, consultées régulièrement jusque et y compris par le référendum, il la tient aussi de son histoire- de ce qu'il appelait parfois son coefficient personnel. Sur cette photo datant du 1e tour des premières élections présidentielles au suffrage direct - 5 décembre 1965 - comment ne pas voir la diagonale qui du portrait du de Gaulle à l'urne prise en contre-plongée comme pour en mieux exhausser la sacralité, passe par le vieillard s'apprêtant à déposer son bulletin, mais un vieillard qui pèse - ou vaut - éminemment plus qu'il ne paraît - traversé qu'il est par une double puissance qui le transcende.

"Toute ma vie, je me suis fait une certaine idée de la France. Le sentiment me l'inspire aussi bien que la raison. Ce qu'il y a en moi d'affectif imagine naturellement la France, telle la princesse des contes ou la madone aux fresques des murs, comme vouée à une destinée éminente et exceptionnelle. J'ai d'instinct l'impression que la Providence l'a créée pour des succès achevés ou des malheurs exemplaires. S'il advient que la médiocrité marque, pourtant, ses faits et gestes, j'en éprouve la sensation d'une absurde anomalie, imputable aux fautes des Français, non au génie de la patrie. Mais aussi, le côté positif de mon esprit me convainc que la France n'est réellement elle-même qu'au premier rang : que seules de vastes entreprises sont susceptibles de compenser les ferments de dispersion que son peuple porte en lui-même ; que notre pays tel qu'il est, parmi les autres, tels qu'ils sont, doit, sous peine de danger mortel, viser haut et se tenir droit. Bref, à mon sens, la France ne peut être la France sans grandeur."
Charles de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 1, Plon, 1954

Il suffit de relire de Gaulle et de cet absolu mythique qu'est la France dont il écrit se faire une certaine idée. Terme fabuleux - au sens précis du terme tant il semble réunir tout ce que l'on résume aujourd'hui par récit national - qui rassemble à la fois histoire, économie, politique mais aussi tout ce que, parfois avec difficultés, on tente de distinguer avec Nation et Patrie, où s'entremêlent à la fois l'affectif mais aussi le pragmatisme le plus raisonnable, la France, qui par définition précède chacun de ses grands acteurs, et impose la direction - la grandeur - indépendamment des velléités des uns ou des autres, est aussi le moyen de confondre en un seul tenant les deux sources du pouvoir, spirituelle et temporelle, l'histoire et les suffrages, la France, enfin, terme, plus que concept, qui permet de n'évoquer ni le peuple, ni les classes sociales, ni les conflits ni les intérêts particuliers … ni évidemment les partis politiques tant honnis.

Il suffit d'écouter de Gaulle, lors de son ITV du 13 décembre 65 par M Droit, pour comprendre que cette France, dépasse et de loin, le contemporain. Sait-il qu'il reprend ainsi un A Comte affirmant que l'humanité est faite de plus de morts que de vivants ? En tout cas il impose l'idée que les français sont comptables du passé et responsables de l'avenir - quelque chose comme une intersection ou un carrefour comme lui-même l'est entre les deux légitimités. Autre façon de dire qu'il n'est pas d'autocratie possible et que le monarque n'est jamais que le dépositaire, provisoire, d'une puissance qui le dépasse et précède ; dont il constitue peut-être une avant-garde mais dont il n'est jamais que le desservant - plus ou moins habile - que l'acteur - plus ou moins grand.

 

Symboles

Alors, oui, le temps est aux symboles comme celui de ce jeune président marquant de manière martiale sa position comme pour souligner ce que son jeune âge ne dit pas. Mais le pouvoir est-il autre chose ? Au même titre que les mots sont symboles d'un sens, le pouvoir n'est efficient qu'à condition de se marquer par des symboles. Encore faut-il se rappeler qu'un symbole n'est jamais qu'un objet brisé en deux dont la réunion sert de signe de reconnaissance. Ne l'oublions pas, l'étymologie est là pour le rappeler, une fois réunis les deux morceaux ne servent plus de rien : il n'y a donc plus qu'à les jeter. Il n'est de symbole ainsi que par l'écart, la séparation, la distance, bref la différence entre le représentant et le représenté.

A côté de la martialité, déjà évoquée, quels sont-ils ?

Il sera toujours temps de vérifier si et dans quelle mesure Macron parviendra à s'y maintenir. Pour le moment, plutôt efficace !

 

Restent la naïveté et l'amnésie de la presse ! Qui parfois me sidère ; souvent m'étonne. Ont-ils relus, tous ces journalistes ce qu'eux-mêmes ou leurs prédécesseurs ont écris lors de l'accession de Pompidou, Giscard, Mitterrand, Chirac ou Sarkozy ? Les mêmes approximations, les mêmes veuleries courtisanes ! Gauche ou droite n'ont pas disparu en 58, pas plus qu'elles n'ont disparu aujourd'hui. Il s'en faut de peu ! Il ne fallut pas tant d'années que cela - une fois la guerre d'Algérie terminée - pour qu'elles s'enracinent à nouveau dans leur opposition classique - j'allais écrire clanique ! Il suffit de regarder la composition du 2e gouvernement Pompidou, après la censure votée ; il suffit de mesurer le score de Mitterrand en 65 !

C'est que les idées, les sensibilités, elles aussi traversent les âges et transcendent leurs expressions patisanes ou gouvernementales. A-t-on vraiment oublié que si les crises graves parfois rassemblent (1899 ; 1914 ; 44 ; 58) les périodes de grand calme plus fréquemment opposent sinon divisent.

L'histoire, disait Hegel, est tragique. Mais, la démocratie nous l'enseigne, l'absence d'oppositions et donc de dialogue, finit toujours mal.

C'est assez supposé, en tout cas, que le pari macronien n'est gagnable qu'à condition de persuader les électeurs que la crise est suffisamment grave pour mériter, pour un court moment, un rebattage des cartes.

 


1) Arendt sur pouvoir, puissance, autorité, force

2) nous disposons, dans la littérature grecque, de nombreuses typologie des systèmes politiques. Leur point commun est toujours, perspective tragique oblige, la propension à les classer selon l'ordre de leurs dégradations - du meilleur au pire.

Classification des systèmes politiques
Platon Aristote
Aristocratie : le gouvernement des meilleurs Visant l'intérêt commun
Timocratie : régime fondé sur l'honneur Monarchie
Oligarchie : régime fondé sur les richesses Aristocra­tie
Démocratie : régime fondé sur l'égalité République ou gouvernement constitutionnel
Tyrannie : régime fondé sur le désir Dégénérescence de ces derniers
  Tyrannie
  Oligarchie
  Démocratie


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