Bloc-Notes 2017
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Présidence jupitérienne ?

Quelques articles, ici ou là, sur le type de président que sera Macron investi le 14 mai à l'occasion de la passation de pouvoir. Ce ne saurait être tout-à-fait un hasard tant notre constitution dont beaucoup disent qu'elle est à bout de souffle (Hamon, Mélenchon bien sûr ) semble en tout cas n'avoir pas pris la mesure du déséquilibre qu'auront provoqué, pris ensemble, l'instauration du quinquennat et l'inversion du calendrier électoral - les législatives devant nécessairement suivre les présidentielles : les trois quinquennats qui se sont succédé depuis (Chirac, Sarkozy et Hollande) ont illustré, chacun à leur manière, le rééquilibrage au sein du couple exécutif, d'une part ; l'effacement parfois effarant du législatif. Chirac, sans doute par goût mais aussi parce qu'il aura été à cheval entre les deux systèmes - un septennat mais marqué par une cohabitation longue puis un quinquennat - aura sans doute été celui qui laissa le plus de marge à ses Premiers Ministres (Raffarin puis de Villepin) ; Sarkozy joua l'hyper-présidence au point de qualifier son unique Premier Ministre de collaborateur ; Hollande, enfin, jouant une présidence normale sembla au contraire ne parvenir ni à prendre de la hauteur, ni à cesser de se mêler des détails des affaires courantes - ce que la fronde au sein de sa propre majorité n'arrangea évidemment pas.

C'est, au fond, que la constitution de 58, en mêlant originalement une dimension parlementaire - le gouvernement demeure responsable devant le Parlement - à une présidentialisation très forte, ouvre deux séries de problèmes très différents :

Le rééquilibrage entre exécutif et législatif, au centre des débats jusque dans les années 80, a lentement cédé la place, surtout depuis le quinquennat, à un débat sur le partage des rôles entre les deux acteurs de ce que l'on a parfois appelé dyarchie tant et si bien que les partisans d'une VIe République mis à part - Mélenchon, Hamon ou Montebourg quoiqu'ils ne donnassent pas le même sens à ce projet - le débat tourne plutôt autour de la manière d'exercer le pouvoir et donc de la place à accorder au Premier Ministre.

Petit détour d'histoire

On ne peut comprendre le refus républicain de toute présidence forte, refus qui durera un siècle durant, sans le coup d’État du 2 décembre 1851. Louis-Napoléon Bonaparte, premier président élu au suffrage direct, mais à qui la constitution de la IIe République interdisait de se représenter, prend la main et, en moins d'un an, instaure l'Empire. Cette usurpation ne sera pas oubliée et en dépit du peu de pouvoirs que les trois lois constitutionnelles de 1975 lui accordait, la présidence sera affaiblie plus encore par la lecture qu'en fera J Grévy. Le régime tiendra 70 ans pourtant avec cette présidence tout affaiblie sans contre-poids possible à l'hégémonie du législatif.

Mais pour comprendre l'esprit de la Ve, encore faut-il se souvenir des circonstances qui ont présidé à son avènement.

13 mai 58 … bientôt soixante ans

 

Ce n'est rien de dire que la fin du commentaire est téméraire ! Un mois après, De Gaulle succédait à ce pauvre Pflimlin qui n'avait pas vu venir grand chose et, la IVe bientôt balayée.

Ce régime - qui bientôt égalera en durée la IIIe - est né de la crise algérienne mais surtout dans les conditions troubles d'une insurrection à Alger et de la menace d'un débarquement militaire sur la métropole - opération Résurrection - que seule l'investiture de de Gaulle le 1 juin épargne de prendre la forme franche d'un coup d'état.

C'est parce que le Parlement s'est couché qu'il n'y a pas eu de coup d'état !
P Mendès-France
Au moment où l'Assemblée Nationale va se prononcer, je ne puis oublier que le général de Gaulle est appelé, avant tout, par une armée indisciplinée : en droit, il détiendra ses pouvoirs de l'Assemblée Nationale ; en fait, il les détient déjà du coup de force.
F Mitterrand

C'est ce qui justifie notamment le refus de Mendès-France comme de Mitterrand de voter l'investiture du cabinet de Gaulle qui annonce qu'il proposera de nouvelles institutions. La IVe République a couvert de son impuissance un coup d’État et consenti à sa propre disparition.

L'épisode est évidemment indissociable de toute la mythologie gaullienne de l'homme providentiel qui sauverait la France pour la seconde fois après Juin 40 ; indissociable aussi de son refus marqué pour un parlementarisme dans contre-poids où, comme d'autres, il aura vu une des causes de la débâcle de 40 - un refus qu"il aura manifesté très tôt - dès le discours de Bayeux en janvier 46 -

Sur la philosophie du régime, sur la fonction présidentielle et la critique de ce qu'il nommait le régime des partis, de Gaulle s'est exprimé à maintes reprises et notamment autour de l'élection de 65 où il eut beau jeu de pouvoir arguer des avancées mais de la stabilité aussi du régime au terme de son septennat

Mais le régime a connu - au gré des successions et des modifications constitutionnelles - des phases qui illustrent à la fois sa souplesse et sa profonde ambivalence :

La lecture de Macron

Deux textes permettent de l'éclairer : la longue ITV accordée à Challenges mais aussi un texte plus ancien, publié dans la revue Esprit, où il avait ses habitudes, en 2011.

Il est de notoriété - et il s'en expliqua à maintes reprises - que s'il fut agacé par l'hyper-présidence, il fut tout autant gêné par la pseudo-normalité de Hollande qui n'empêchât pas ce dernier de souvent rogner les prérogatives de ses gouvernements.

Ce qui est intéressant c'est de saisir ce qu'il en avait théorisé juste avant, notamment son implication plus directe dans les sphères de l’État.

Or, qu'écrit-il ?

Il commence d'abord par mesurer la distance entre le temps long et court - distinction finalement assez classique mais dont il tire une leçon intéressante : si le pouvoir veut pouvoir agir sur le long terme - autrement que de manière symbolique - il lui appartient de trouver des formes à la fois trans-partisanes et supra-politiques qui sans doute le restreignent mais seraient seules à lui garantir quelque pérennité.

De la complexité croissante de la réalité et des différentes sphères de décision, il déduit le caractère de plus en plus contraint de l'action politique qui n'aurait plus vraiment les moyens de son ambition coincé qu'il serait entre trois voies : le discours volontariste cachant mal l'impuissance à agir ; le discours dénonçant cette incapacité qui est souvent celui de l'opposition, de la dénonciation du système ; ou, enfin, celui de l'explication

De ceci, il en appelle à la recomposition de l'action :

C'est sans doute sur ce dernier point qu'il se rapproche le plus de la conception - mais pas forcément de la pratique - gaullienne du pouvoir. Un président qui ne se mêle pas de tout, qui laisse son gouvernement gouverner, qui demeure au dessus de la mêlée pour pouvoir être un arbitre, qui trace les lignes directrices et propose une vision, bref une idéologie. L'avantage qui est le sien est d'avoir vu, de l'intérieur, se dévitaliser la présidence Hollande - ce qui n'est évidemment pas suffisant.

Où l'on reconnaît - un peu - les traces laissées par sa formation philosophique, et ce en dépit du côté technocrate inévitablement hérité de l'ENA et de ses emplois successifs, l'idéologie assumée qui cesse enfin d'être un gros mot. Qui n'est pas sans rappeler le Je crois aux forces de l'esprit et je ne vous quitterai pas des ultimes vœux de Mitterrand en décembre 94.

 

Il y a toujours loin de la coupe aux lèvres et il n'est évidemment pas certain que Macron échappe au tourbillon quotidien que représente l'exercice du pouvoir ; aux pièges inévitables des courtisans divers ; à l'isolement qu'une trop grande verticalité engendre invariablement. ; à la tentation de l'homme providentiel. Il y a, invariablement, dans le désir de pouvoir, sans doute quelque chose de l'ordre du service de ce qui vous dépasse, mais aussi, mais surtout, une ivresse où la mégalomanie a sa part.

Si modernité il y a chez cet homme, c'est dans cette aspiration à entremêler à la fois verticalité et horizontalité ; c'est dans la certitude qu'il possède que les canaux classiques du pouvoir ne peuvent plus fonctionner si on ne les applique ensemble.

Derrière jupitérien, se niche en tout cas le projet d'en revenir à une présidence de type gaullo-mitterrandien : le quinquennat s'y prête-t-il ?

En tout cas, manifestement, sa stratégie de recomposition de l'échiquier politique en est une condition nécessaire comme elle le fut, en son temps, pour de Gaulle.

J'entends se refermer sur moi, désormais captif de ma charge, toutes les portes du palais.
Ch de Gaulle, Mémoires

Restent le mystère et la solitude du pouvoir. On ne se hisse jamais impunément à hauteur des dieux !

 

 


1) L'homme en question émission diffusée en 1977 juste avant des législatives qui donnèrent une majorité à Giscard mais dont à l'époque on redoutait les résultats qui pourraient déboucher sur une cohabitation

 

voir sur ce sujet ce documentaire