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- >2016
L'universel divise
Souvenirs | L'universel divise | le côté obscur de l'universel | Alors quoi ? |
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Cet ITV d' E Balibar dans le Monde, à la fois passionnant et troublant intitulée L’universel ne rassemble pas, il divise
Le côté obscur de l'universel
Comment expliquer ceci ? Balibar invoque la double crise de l'universalisme républicain et de celui, religieux, qui agite notamment l'Islam.
Or, ce que nous observons aujourd’hui, c’est que les universalismes religieux sont plongés dans une crise interminable, tandis que l’universalisme fondé sur les droits de l’homme est entré lui aussi dans une crise profonde. Un universalisme dont la crise n’est pas achevée face à un universalisme dont la crise ne fait que commencer, voilà ce qui, entre autres, explique la violence de la confrontation.
Il n'a pas tort mais ceci baptise plutôt la difficulté que ne la résout. Pourquoi, finalement ces doubles crises ?
La réponse cingle :
l’exclusion pénètre dans l’universel à la fois par le biais de la communauté et par celui de la normalité.
Trois ordres d'explication
celle de Lévi-Strauss qui dans Race et Histoire fait référence à des fondements psychologiques solides consistant à rejeter toute attitude, système de pensée, coutumes ou croyances qui nous seraient éloignées - comme si l'humanité cessait aux frontières de la tribu, du pays … ou que, en bonne dialectique, il ne fût possible de s'affirmer, face au monde ou à l'autre, qu'en niant. Si l'on y ajoute la peur - ce que Memmi nomme l'hétérophobie - on a effectivement, du côté de la raison comme des passions, tous les ingrédients nécessaires à l'exclusion, aux ostracismes divers, aux massacres et exterminations diverses ou, version douce, aux sujétions de type colonial. On se sera amusé de voir le christianisme primitif ne pas même envisager un baptême pour les femmes mais que dire de ces controverses où l'on s'inquiéta de savoir si les Indiens avaient une âme ? ( cf Controverse de Valladolid - voir extrait du film) Oui, assurément, le barbare c'est celui qui croit à la barbarie. Si quelque progrès fut observable, en dépit de l'ouverture d'esprit d'un Montaigne, ce fut de passer du barbare au bon sauvage et le prix à payer en fut cet incroyable ethnocentrisme, qui gonflé à bloc de bonne conscience, condescendit effectivement à reconnaître l'humanité de l'autre - universalisme - mais en lui retirant aussitôt toute maturité : bon enfant, aisément crédule que promptement dupé, attardé quoi, enchaîné encore dans les limbes de l'histoire - qui a oublié Sarkozy en 2007 proclamant que l'homme africain n'était pas assez entré dans l'histoire ? qui rappelle étrangement le "il faut dire ouvertement qu'en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures" de J Ferry en 1885- que lui reste-t-il sinon à recevoir ivre de reconnaissance et d'obéissance la manne civilisatrice que l'Occidental est prêt à généreusement lui accorder. Toute l'œuvre coloniale est inscrite dans ce revirement qui n'en fut pas un, qu'il est sot de qualifier de crime contre l'humanité mais avec quoi nous n'avons pas fini de régler nos comptes.
- la controverse absurde des années 70, inspirée par ce qu'on appela alors nouvelle philosophie, qui cherchait explications et responsables aux diverses dérives totalitaires du XXe siècle, s'acharna à trouver l'une de ces causes dans le monothéisme. J'ai toujours tenu ce débat pour mal posé. L'invention d'un Dieu unique supposait en même temps une humanité unique et le Concile de Jérusalem délivrant les néo-chrétiens de l'obéissance inconditionnelle à la loi juive, ouvrant par là la parole à tous les gentils, imagina effectivement une universalité nouvelle que la foi hébraïque prépara sans soute mais sans jamais sortir du cadre étroit du monde juif, à quoi la pensée grecque et son attachement à l'autochtonie resta étrangère même si elle avait su ménager avec l'autre, l'étranger, de réels rapports. Ce que le christianisme invente, en réalité, c'est l'individu - le il n'y a plus ni juif, ni grec de la lettre aux Galates - un individu qui ne se réduit pas à ses appartenances sociales, culturelles etc mais un individu, c'est vrai, lent à émerger, fragile et aisément remis en cause. Non, décidément, ce n'est pas le monothéisme en quoi il faut voir la source des divisions, des oppressions, des crimes : il en serait même plutôt le contraire. Mais dans cette posture étrange et si dangereuse qui vous fait croire parler au nom de l'absolu ou détenir une vérité absolue. C'est du côté de l'intermédiaire, de l'ecclesia, de l’Église qu'il faut chercher, du côté de cet intermédiaire qui invariablement finit par se prendre pour une fin en soi. Se penser comme directement inspiré par l'absolu, imaginer que rien de ce que nous ferions ne pourrait avoir lieu si l'absolu ne le permettait pas ni ne le voulait, voici l'argument fréquemment utilisé qui justifie tout que l'on retrouve notamment dans la controverse de Valladolid (voir)
Le paradoxe réside en ceci que l'universalité telle que la porte notre histoire consacre ce qu'il y a de plus spécifique, local, particulier : l'individu ne serait-ce que sous la forme de l'affirmation de son absolue liberté. Ce n’est pas l’universalisme en tant que tel qui est violent et exclusif, c’est la combinaison de l’universalisme et de la communauté
Balibar Je ne sais s'il faut écrire la communauté, voici l'ennemi ; en tout cas toute forme de communautarisme, qui ne manque jamais de resurgir dès que grondent les menaces et monte l'angoisse et se révèle bien vite, Balibar a raison, la forme que revêtent exclusions, anathèmes et ségrégations.
Il ne fait en tout cas pas de doute que c'est bien l'introduction dans le débat politique de questions comme celle de l'identité, sous l'influence habile de l'extrême-droite et la complicité active de la droite classique qui a contribué à transformer l'idéal républicain d'universalité - mais aussi de laïcité - de projet libérateur vers une société ouverte en arme de fermeture, d'exclusion.
La libido d'appartenance porte à la plupart des crimes de l'histoire ; une fois gommée, peut advenir la paix. Avons-nous jamais eu besoin d'un autre message que celui-là, iréniste et libérateur ? Il s'agit d'inventer une nouvelle humanité : l'humanité, simplement. Quoi, ici, de réellement nouveau? L'ego universel, l'identité pour tous.
Serres, Conférence d'AgenLa faute irréparable que dénonçait Serres, consistant à confondre identité et appartenance, où il voit la source de toutes les violences, exclusions et racismes a sans doute été facilitée par ce que Rosanvallon appela le peuple introuvable. L'idéal de 89, pour universel qu'il fût et se conclût dans l'avènement du citoyen aura été trop abstrait pour que chacun s'y puisse reconnaître spontanément. Les réflexes identitaires sitôt les premiers périls participent incontestablement de la peur bien plus que de telle ou telle conception de l'universalité.
- peut-être faut-il encore se retourner vers Girard et sa théorie de la violence mimétique : la tendance à s'aller chercher un responsable - n'importe lequel, pourvu qu'il soit aisément assignable et repérable - afin de résoudre les crises majeures de violence mimétique et ressouder le corps social quand les rituels habituels ne suffisent plus permet de comprendre aussi bien le succès d'un Choc des civilisations, la stigmatisation de l'Islam sous le prétexte du terrorisme, ou, plus généralement, de l'étranger, du migrant, de l'autre prompt à rompre les équilibres d'une société éreintée par les chocs successifs de la mondialisation et des révolutions techniques et l'invraisemblable brouillage idéologique qu'il permettent et, ce qui ne comptera pas pour rien demain, la montée des extrêmes en politique. C'est assurément cette insidieuse transfiguration de l'universalisme de projet d'une humanité libre et ouverte en refuge identitaire derrière quoi se calfeutrer qui explique que désormais l'universalisme sent le soufre que l'on pointe chez l'autre comme un vice caché, un péché capital.
Mais avons-nous d'autres solutions ?