Bloc-Notes 2017
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JL Melenchon ou le philtre des mots

Après Fillon, Macron et les Le Pen

Drôle de personnage que celui-ci à qui nul, il y a presque vingt ans quand il entra, en 2000, dans le gouvernement Jospin en tant que ministre chargé de l'enseignement professionnel, n'aurait prédit un tel destin. Aux antipodes du sirupeux et insipide Macron, celui-ci est plutôt rugueux, parfois même hargneux ; même si, depuis la campagne de 2012, il a désappris de s'en prendre aux journalistes - comment prétendre se faire entendre quand on égratigne ceux-là mêmes qui sont supposés vous relayer ? - il n'en reste pas moins, verbe haut et colère facile, feinte ou non, celui qui transgresse les codes de la bien-pensance, ceux aussi du paraître médiatique.

Il est extrêmement attachant par son intelligence et par sa culture. Il me fait penser à Clint Eastwood, à un ours mal léché mais irrésistible. Il est à la fois totalement dépassé - par son côté trotskyste - et carrément moderne, par sa compréhension du système médiatique, par son éloquence. Tout le monde sait qu'il n'est pas aimable mais il est tellement susceptible d'être aimé ! Comme Marine Le Pen et Emmanuel Macron, il fait campagne sur son tempérament. Gaël Tchakaloff

Certains - G Tchakaloff dans son dernier ouvrage - y voient une sorte de Clint Eastwood ; d'autres - ce n'est rien de dire que sur le Net les comparaisons foisonnent - une figure du type Doriot prompt à éliminer un parti qui n'a su ni le porter à sa tête, ni l'écouter !

Non, décidément, c'est ailleurs qu'il faut chercher.

Son parcours n'a rien d'exceptionnel et s'il partage avec Macron d'être passé par la philosophie, lui, en tout cas ne s'y sera guère attardé et n'aura fait aucune des Grandes Écoles qui garantissent la carrière mais aura emprunté, plutôt, la route plus humble, et tellement plus discrète, après quelques emplois de journaliste dans la presse locale du Jura, des hommes d'appareil. Si Mélenchon se distingue, en son histoire, des autres grands candidats, c'est en ceci : issu moins du peuple, ce serait exagéré, mais de l'humble groupe plutôt silencieux des petits fonctionnaires, il ne fait ni de brillantes études, ni une carrière exceptionnelle. Un apparatchik, finalement, tout comme Hamon d'ailleurs. Ceci déjà est plutôt rafraichissant.

De gauche, toujours, de l'aide gauche du parti, très vite en tout cas de manière lisible, dès le second mandat de Mitterrand, il aura grandi avec le PS et en constitue l'un de ses viviers lui qui sut rassembler dès 74 en tout cas, et le score exceptionnel face à Giscard qui laissait espérer une victoire prochaine, toutes les brebis égarées. Formé par la nébuleuse trotskyste à l'instar de Jospin, mais comme tant d'autres.

Mélenchon se rêvait en Cincinnatus ! Las ! il n'est que Brutus !

Car, plutôt que cet homme intègre qu'il annonce vouloir être, accédant au pouvoir, réglant les crises et s'éloignant tout aussitôt, il n'est sans doute que l'enfant caché, un peu honteux mais turbulent en tout cas, de la mitterrandie qui tout en en célébrant les grandeurs - surtout initiales - n'aura eu de cesse de fulminer contre la dérive droitière d'un parti qui, pour se rêver légitime au pouvoir, n'aura de cesse de donner des gages à la doxa libérale. Oui, plutôt la République que l'Empire, et pour la défendre prêt à tout : prêt à assassiner le père, à trancher la main qui vous a nourri. Ce n'est pas Œdipe - il n'a pas de mère sinon la Nation - et lui tue en toute connaissance de cause. Ce n'est pas on plus un traître : il n'y a rien en lui d'un Coriolan, qui passe à l'ennemi avec arme et bagage ; encore moins d'un Doriot ou d'un Laval qui glissent progressivement vers l’infamie. Non lui est un pur, voire un puriste ! Ce sont les autres qui trahissent - jamais lui.

Mais il tue le Père quand même. Il n'a pas à vouloir la peau du PC - ce dernier s'en charge bien lui-même - mais le PS, après lui avoir été une terre d'accueil, lui est devenu le territoire de toutes les trahisons. Quand il le quitte, lui qui se situa à son aile gauche, cela ne fit pas grand bruit sur le moment : il représentait si peu de choses et si peu le suivirent ! Mais c'est bien l'éclatement du PS qu'il entreprend et dénouer l'alliance qui réussit tant à Mitterrand entre son aile droite, très molletiste finalement et en tout cas pas du tout marxiste, et son aile gauche. Il n'est pas faux de dire que la période commencée en 69 au congrès d'Epinay est désormais terminée. Cette alliance n'aura supporté ni le 2e septennat de Mitterrand ni les deux fois cinq ans de Jospin et Hollande. Suicide politique ou assassinat ? Un peu des deux ! Gauches irréconciliables ? Mais justement il n'est de gauche que conciliée. Prendre acte de ce divorce c'est déjà passer de l'autre côté … Macron, Valls et tant d'autres. Peut-être, oui, faut-il en finir avec ce parti qui, depuis la SFIO, avait appris à parler révolution et à penser réformisme - au mieux.

Pour autant, il faut se méfier : les alliances qu'il contracte ont toujours quelque chose de la corde qui se noue … Le pari de 2012 avait été de rallier toutes les voix de la gauche de la gauche et ce faisant, pour le PC, de camoufler son score désormais confidentiel, et pour Mélenchon de devenir un contre-poids aux dérives libérales des socialistes : pari perdu puisque son score ne fit qu'égaler le score antérieur de l'ultra-gauche éparpillée et qu'il n'obtint aucune traduction politique qui lui permît de s'opposer à Hollande, laissant aux frondeurs impuissants la charge désastreuse de le faire.

Est-il si pur que cela ? L'homme, je ne sais mais est-ce après tout la question - les intentions sont toujours insondables ! - mais sa trajectoire ?

Regardons-le ! Il y a du Torquemada chez cet homme-là, prompt à fouailler les âmes jusqu'aux murmures pour en expurger jusqu'aux ultimes séquelles d'hérésie, indifférent aux cadavres qu'il laisse sur son chemin, cadavres qu'ils ne détesterait pas placer sur le bûcher pour être définitivement convaincu de leur purgation ; sûr de lui comme seul on peut l'être quand vous a touché la parousie. Lui aussi a des hérésies à combattre : plût au ciel qu'elles ne fussent que celles de l'adversaire ce serait tellement plus simple et glorieux. Mais elles viennent de loin, de si loin. De l'Union sacrée de 14, qui abandonna sur son chemin, le cadavre de Jaurès ; de celle d'Ebert à Berlin en novembre 18 qui se paya de ceux de K Liebknecht et R Luxemburg ; de la scission de Tours en 1920, désunion que la classe ouvrière paya si cher et si longtemps … Faut-il les énumérer toutes ?

Je deviens une figure rassurante. Je pense que les gens ont soif d’humanité ! (…) Je suis un chemin balisé. Du coup, j’apparais pour beaucoup comme une solution raisonnable… Non, pas raisonnable… raisonnée. Avec moi, il y a des étapes, un calendrier, une méthode
JL Melenchon, JDD 2 avril 17
Il a beau proclamer, comme il le fait dans une ITV dans le JDD aujourd'hui, être une figure rassurante parce que pétrie d'humanité, il y a dans le si peu subtil tracé de sa trajectoire, que traduisent ses colères maîtrisées mais rarement feintes, quelque chose d'à la fois fascinant et effrayant comme si son intransigeant vœu d'un socialisme qui en fût un, plutôt que cette soupe infâme qui ne s'adresse plus qu'au ventre mou et paresseux d'estomacs trop ulcérés pour rien pouvoir supporter de franc ; ou que sa rectitude et indéniable honnêteté intellectuelle qui l'incite à expliquer et expliquer encore, justifier en cet inénarrable mixte de cocasserie professorale et de pontifiante provocation, plutôt que d'exciter quelque basse passion, fugace et dévorante ; ou qu'enfin son refus obsessionnel de la tambouille politicienne qui n'est autre qu'un défi incessamment lancé à la purulente souillure, que, oui, ses vœu, rectitude et refus ne fussent que l'éclair aveuglant cachant - si peu, si mal- l'ombre projetée sur des blessures bien plus graves ; bien plus intimes.

La brûlure du pouvoir d'abord : peut-on vouloir rectus sans ouvrir le chemin à rex ? Sous la toge de Cincinnatus, perce l'ombre de l'egolâtre. Lui, aime les tribunes, les envolées, la magie du verbe et la passion qui y incline. Certes, il y eut de la stratégie derrière tout ceci mais comment ne pas soupçonner sous le refus systématique de toute alliance, le parfum délétère de l'égotisme. Lui, se veut sauveur ! providentiel. C'est d'ailleurs tout le paradoxe de celui qui veut en finir, à juste titre selon moi, avec les dérives monarchiques de la constitution gaullienne : il se croit, à la croisée des crises et des circonstances, le seul, parce que seul et donc libéré de toute subliminale quête d'intérêt particulier ou partisan à défendre, ce que Hegel nommait le grand acteur de l'Histoire. Mais ne fut ce pas ainsi que de Gaulle se vit lui-même : une légitimité puisée des tréfonds de l'histoire, trempée périodiquement au sacre populaire ? Il en faut de la vertu, de l'abnégation sûrement, de l'humilité surtout, pour se retirer sitôt son office fait, et laisser la place au peuple autrement que par des mots ! Rares ceux qui y réussirent ; pas même Robespierre !

La brûlure du réel, ensuite : ô comme la gauche était belle dans l'opposition ! Vieux refrain nostalgique des 23 ans d'opposition entre 58 et 81, entonné par la déception inévitable de l'exercice du pouvoir ! comme si ce dernier, pétri de compromis avec le réel, de compromissions avec les forces en présence, d'échecs face au mur de l'argent et de défaites ponctuant cette lutte des classes qui n'ose même plus dire son nom, constituait la souillure maximale, la faute majeure et qu'il fût plus sage de se caparaçonner dans une opposition vindicative certes, mais impuissante. La lutte idéologique a sans doute été perdue qui rabâche avec un entêtement pénible et cynique, contre toutes les évidences du réel, qu'il n'est pas d'autre solution, que les faits sont têtus et qu'il faut enfin renoncer aux idéaux hâtivement maquillés en utopies … et devenir enfin réaliste, c'est-à-dire sages, et donc se soumettre aux lois intangibles et incontournables du marché !

La brûlure de l'histoire enfin : ces grands moments, épiques souvent, mais tellement éphémères, se soldant par des restaurations honteuses ou des défaites tragiques : 1789 mais 1815 ; 1848 mais 1852 ; 1871 mais la semaine sanglante et cette constitution plus conservatrice que républicaine ; 1936 mais 1940 … Sans même évoquer 1917 qui se perdit dans la folie totalitaire et interdit aux peuples jusqu'au pouvoir de rêver. Une gauche qui cherche désespérément l'union - car elle se sait n'avoir d'avenir que par elle - et nonobstant ne la trouve qu'épisodiquement ; que cruellement. Il est aisé de faire peur à la bourgeoisie - petite ou grande : il suffit de lui parler des Septembriseurs, des guillotines ou de la Commune de Paris ! Le peuple est hydre tellement effrayante, masse brutale, presque animale qu'il faut mater au plus vite … à défaut tromper à coup de promesses vite oubliées.

C'est tout l'honneur - et la cohérence - de Mélenchon de s'inscrire dans cette histoire et de vouloir lui offrir une nouvelle station comme il en est, toutes douloureuses des chemins de croix. Il y a en lui quelque chose du professeur rentré - tous effectivement s'accordent à reconnaître que ses meetings ressemblent plus à des cours d'éducation populaire qu'à de la vulgaire propagande. A sa manière, il essaie de faire ce que P Buisson a réussi avec la droite : construire une machine de mots qui aideraient à penser la situation et donneraient un sens à la lutte. En se battant contre anti-système, populisme, identité qui ne sont que les méphitiques traînées du grand brouillage idéologique, en tentant de faire entrer Nation, insurrection, oligarchie dans le vocabulaire politique, il réalise un vrai travail pédagogique autant que politique. Sans doute se fût-il rêvé en Jaurès ! il en a sans doute la verve. Mais Jaurès avait la hantise de l'unité de la gauche et a su montrer qu'il était disposé à en payer le prix.

Il me fait bien plus penser à ce Tête d'Horloge que joua sur la fin de carrière P Fresnay : réglé comme un métronome dans un monde qui a perdu tout repère temporel, non par maniaquerie mais passion pour une épouse trop tôt disparue, le voici répétant inlassablement la leçon qu'il se doit d'offrir à un public certes turbulent mais si attachant. De la culture, évidemment, il en use et ceci au moins est méritoire qui tranche si heureusement avec le sabir gris et culpabilisant de la doxa libérale qui a jeté Keynes dans les douves au profit d'une logique de gestionnaire ne jurant que par profit et équilibre budgétaire, qui a jeté politique et espérance avec l'eau sale de leur affairisme avaricieux.

Dois-je le dire ? Il m'énerve dans ses envolées anti-européennes ou ses raccourcis vertigineux ! je ne crois pas à la rigueur rationnelle de son programme, plus apparente que réelle - même si je partage son constat de l'effritement des institutions.

Dois-je l'avouer ? Ses emportements, sa manière si ambivalente de déclarer se retirer derrière le peuple tout en se plaçant en son centre, sa manière directe et parfois violente de ne rien céder de quelque courtoisie que ce soit face à M le Pen et ce qu'elle représente, de mener le combat politique de haute et franche énergie ; sa ferveur pour une gauche qu'il veut moins ressusciter que rappeler à ses engagements, histoire et fierté … oui tout ceci me plaît assez pour penser que tout trublion qu'il soit, Mélenchon est un moment nécessaire - pas seulement pour la gauche.

Vienne l'heure, enfin, du politique ! Que se taisent les Cassandre libérales qui ne sont jamais que les fondés de pouvoir gris, sales et tristes d'une bourgeoisie prête à tout pour conserver son minable pécule, sa sulfureuse avarice!

Il est dommage qu'il faille l'étiage si haut de la peste brune pour que le politique enfin retrouve voix et vocation ! Il est réjouissant que le murmure se fasse clameur. Et si ceci seul devait être l'apport de Mélenchon à l'histoire … après tout ce ne serait déjà pas si mal. Lui au moins nous rappelle qu'être de gauche se conjugue au présent ! Nous conjure de le conjuguer au futur.