Bloc-Notes 2017
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Désolation

Rien n'est plus terrifiant que de regarder cette carte. Et on ne peut pas écrire que ce qui se passa durant la première semaine de l'entre-deux-tours eût quoi que ce soit de rassurant - et certainement pas les commentaires de la presse qui auront rivalisé d'inepties pour relever les erreurs ou les habiletés de l'un ou de l'autre en terme de communication.

On s'est habitué à un FN haut, au point que ses résultats ne surprennent pas ni ne soulèvent de réelle indignation comme ce fut le cas en 2002. La dédiabolisation voulue par MLP est réussie, en tout cas la banalisation : elle est invitée à tous les débats - pouvons-nous oublier que Chirac refusa le débat d'entre deux tours en 2002 ? ou qu'il réunit 80% des voix ne permettant à JML de ne faire qu'à peine plus qu'au premier tour ? Rien de tout ceci et je gage que les résultats de MLP, même si je suis sûr qu'elle ne gagnera pas, seront tout sauf ridicules. C'est cette habitude qui est désastreuse qui veut nous faire accroire que le FN est un parti comme les autres - ce qu'il ne sera jamais - qui explique aussi l'apathie générale.

Plusieurs remarques :

Un paysage politique en pleine recomposition. Enfin, soyons clairs : les partis politiques en pleine crise ! Car, à bien y regarder,et contrairement à ce que les experts veulent bien avancer, gauche et droite n'en continuent pas moins d'avoir un sens.

Si on regarde les résultats de 2012, on n'en est finalement pas très loin. Hollande plus Mélenchon firent aux alentours de 39% ; Sarkozy plus Dupont-Aignan 27% - d'autant que MLP fait à peine plus aujourd'hui qu'alors (17,9) ! Jouant les trouble-fête Bayrou avec ses 9%.

Ce qui est nouveau c'est le désaveu des partis dits de gouvernement : le PS ne se remet pas de ses divisions internes criantes durant tout le quinquennat Hollande : les LR écartelés par la candidature Fillon.

Il faut avouer que pour les uns comme pour les autres, l'OVNI Macron, représentant une porte de sortie pour les voix les moins radicales des deux camps, en aura siphonné une grande partie, mettant, du coup, les quatre premiers dans un mouchoir de poche en abaissant d'autant le seuil de qualification. La hausse du FN est une réalité qu'il ne faut ni nier ni sous-estimer, mais elle n'eût pas suffi à le qualifier si les deux autres partis de gouvernement avaient été en ordre cohérent de marche.

L'UMP avait été créée dans l'espoir que la création d'un grand parti conservateur permette d'éviter ces divisions et querelles d'ambitions personnelles qui, incontestablement avaient favorisé les deux victoires de Mitterrand en 81 et 88. Le PS quant à lui, créé à la suite du score désastreux de Deferre en 69 visait à ripoliner l'image désormais désastreuse de l'antique SFIO et à préparer l'Union de la gauche avec le PC alors fort en rompant avec toute possibilité d'alliances avec le centre. C'est cette logique binaire - d'autant plus efficace que le PC allait progressivement s'affaiblir au point de presque disparaître - qui a assuré non seulement les victoires de la gauche (81, 89, 97 et 2012) mais des alternances quasi systématiques et, en tout cas, apaisées. Une logique binaire qui va dans le sens du scrutin majoritaire à deux tours mais qui cesse de fonctionner désormais avec un FN à 20%.

Je vois dans tout ceci d'abord une crise des partis : ces derniers, ne l'oublions jamais, n'ont d'existence finalement que très récente. SFIO comme le parti radical ne se sont organisés et fondés qu'en 1905 et dominèrent toute la seconde partie de la IIIe République. Ils n'ont jamais eu bonne presse à droite et évidemment pas dans les systèmes totalitaires où leur disparition prit la forme du parti unique.

Les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage. Ils se forment et exercent leur activité librement. Ils doivent respecter les principes de la souveraineté nationale et de la démocratie.
Art 4

Il faut surtout se souvenir que la Ve fut installée précisément pour en finir avec ce que de Gaulle nommait le régime des partis, synonyme pour lui, de faiblesse, d'impuissance. Démocrate, il n'était pas question pour lui de les supprimer mais d'en contenir les pouvoirs, ce que l'on retrouve dans le texte même de la Constitution qui ne leur confère que le rôle de concours, dans la prééminence du président élu directement au SU, dans l'institution du référendum, dans le refus symbolique que la mouvance gaulliste s'organisa sous le titre de parti mais plutôt d'Union, mouvement etc.

C'est bien, par un certain côté, l'originalité de Macron, d'ainsi prendre la droite à contre-pied, sur son propre terrain, et de s'adresser, au dessus des partis à la Nation tout entière. Qu'il ait demain l'habileté politique, l'entregent et l'autorité pour organiser demain une majorité parlementaire qui le soutienne et donne les moyens d'agir est un autre problème mais on ne peut pas nier que de ce point de vue, il renoue avec les principes originaires de la Ve.

Certes, leurs divisions n'ont pas pu produire des instabilités type IVe mais il est indéniable que la fronde au sein du PS autant que les tiraillements à droite entre un pôle central traditionnel et une franche très conservatrice lorgnant vers l'extrême droite auront largement contribué à leur incapacité de passer l'épreuve du 2e tour autant qu'au désaveu de toute la classe politique. Je crains trop le conatus à la Spinoza pour ne pas soupçonner que les structures vermoulues des deux grands partis n'inventassent demain ruses et faux semblants pour se survivre nonobstant. Il n'en reste pas moins qu'à se fier à des think thanks extérieurs pour élaborer leurs programmes, ou à des primaires pour désigner leurs candidats, les partis se seront dépouillés de leur raison d'être. Qu'en outre les programmes fussent devenus à la longue de simples prétextes pour campagnes électorales que l'on s'empressera de ne pas observer une fois élus, ne fit rien pour combler l'évidement de la parole politique, pour ressusciter la confiance dans la classe politique !

Recomposition

Le leit-motiv qui hante toutes les chroniques … Il n'est pas faux mais plus encore des partis, il engage les sensibilités politiques elles-mêmes.

A droite

On se souvient de l'analyse faite par R Rémond de la tripartition de la droite entre légitimisme, orléanisme et bonapartisme : depuis 89 se sont succédé et parfois réunis ces trois courants où le légitimisme représente le refus de toute modernité et le retour aux formes les plus traditionnelles de vie sociale : le culte de la terre, l'attachement aux racines, la soumission à l'ordre … ; où l'orléanisme représente, certes, le libéralisme au sens économique mais aussi politique via un parlementarisme assumé et donc la participation aux mutations de la société, mais l'acceptation des idéaux des Lumières et la volonté d’instaurer une société, certes, d'ordre, mais moderne ; où, enfin, le bonapartisme représente, outre le césarisme et sa prédisposition à un pouvoir fort, ce mélange irrésistible de monarchisme et de modernité où le peuple est enrôlé sous les formes plébiscitaires les plus diverses justifiées par le mépris pour les partis politiques.

Elle demeure cahin-caha valide : il n'est pas difficile de voir dans le gaullisme initial une résurgence du bonapartisme ; ni dans le centrisme de type giscardien celle de l'orléanisme.

Le seul problème, mais il est de taille, de la droite c'est désormais la résurgence d'un légitimisme franchement réactionnaire voire contre-révolutionnaire. Hormis l'éphémère chambre introuvable de 1815 et les tentatives maladroites de Restauration brutale de Louis XVIII et Charles X, ce courant constamment bafoué par l"histoire ne connut que deux succès tout aussi malheureux l'un que l'autre : l'ordre moral de Mac Mahon et de Broglie (1873) lors de l'accouchement si difficile de la IIIe … et Vichy . Disqualifié durablement après l'épisode de la collaboration, ce courant cessera d'autant moins d'être associé au fascisme qu'il réunira toujours les nostalgiques de Vichy, collaborateurs plus ou moins discrets, de véritables fascistes et les courants les plus traditionalistes, bientôt ouvertement hostiles à Vatican II, de l'église catholique. Il faut le reconnaître l'âge d'or du gaullisme n'aura été possible que sous la double condition, économique, des embellies de la reconstruction d'après-guerre et, politique, de l'éviction, de fait, du courant réactionnaire laissant à la droite ce savant dosage d'orléanisme et de bonapartisme que symbolisent assez bien des de Gaulle, Pompidou, Giscard mais aussi plus récemment Chirac, Juppé etc.

L’erreur de Nicolas Sarkozy et, à sa suite, de Fillon est d’avoir radicalisé cette synthèse en retenant, des trois droites, ce que chacune avait de pire : du légitimisme, l’organicisme identitaire, de l’orléanisme, le culte de l’argent, et du bonapartisme, le culte de « l’hyperprésidence ».
AG Slama, Le Monde du 27 avril 17

Sauf que … Sous la forme du FN, d'abord groupusculaire, puis trublion de plus en plus audible et décomplexé à partir de 82 avec JML, puis habilement dédiabolisé avec MLP, ce tiers qui avait été exclu, désormais est rentré à nouveau dans la danse. Si la synthèse était possible à deux, à trois elle est impossible tant ce qui oppose conservateurs et réactionnaires paraît inconciliable. C'est pourtant ce que tenta Sarkozy en 2007, espérant avoir siphonné les voix du FN mais en concédant des gages de plus en plus ambigus à la réaction - racines chrétiennes de la France ; discours identitaires etc - ce qu'évidemment la campagne de Fillon - la place notamment de Sens Commun l'atteste - confirmera. De n'avoir pas su contenir la poussée du courant réactionnaire en son sein, de n'avoir pas réussi la synthèse - indépendamment des conflits d'ambition et d'ego des uns et des autres - LR peut d'autant moins survivre sous sa forme actuelle qu'une partie de ses troupes lorgne inévitablement vers Macron et l'autre vers Le Pen.

Il est plus que vraisemblable que la droite demain se réorganise autour d'une part d'un courant bonapartiste-orléaniste d'un côté et réactionnaire de l'autre. Toute la question est de savoir qui de Macron ou de LR réussira cette synthèse et donc où iront, notamment, ceux que l'on nomme parfois les centristes. La recomposition se jouera autour de ceci ; la présidence Macron aussi.

A Gauche

Il me semble vain de déplorer la division de la gauche, même s'il est vrai qu'unie elle eût passé la barre du second tour. L'essence de la gauche est d être désunie - pour ne pas dire divisée. Ne songeons qu'aux longs efforts de Jaurès pour y parvenir en 1905 - efforts rapidement sapés par 14 mais, surtout, par 1920 et la création du PC. Ses rares victoires - 1936 surtout - elle les dut à son union ce que Mitterrand avait parfaitement compris - d'où le Programme Commun de 72. Cette division consubstantielle de la gauche me semble inévitable : que, parmi les progressistes qui rêvent de faire évoluer la société et aspirent à un monde meilleur, plus juste et plus libre, il y en eût de plus radicaux que d'autre ; que certains voient dans le capitalisme aujourd'hui financiarisé, la source de nos maux et désirent, plutôt que de simplement arrondir les angles, en finir avec un système funeste ; bref que ce courant se répartisse en révolutionnaires et réformistes, quoi de plus logique ? A bien lire la controverse qui opposa en son temps Jaurès et Guesde sur l'attitude à tenir durant l'Affaire Dreyfus, on réalise combien cette division est originaire. Entre Montagne et Gironde, entre un Lénine qui impose ses 21 conditions et un Blum qui veut garder la vieille maison, le débat est incontournable et sain. Et l’ambiguïté puis la trahison d'un Ebert à Berlin en 18 en dit assez long sur les concessions que certains sont disposés à faire pour ne pas céder au courant révolutionnaire, explique assez bien la longue méfiance des communistes vis à vis des socialistes. Il y a dans le courant socialiste et il y eut toujours, une sensibilité progressiste mais très centriste, très bourgeoise peut-on dire, disposée à s'allier avec une partie de la droite pour ne pas aller trop loin, pour contenir les pulsions révolutionnaires. Valls ou Macron en sont les éponymes actuels ; avant eux, Guy Mollet … et combien d'autres. Mais ne l'oublions pas, le Front Populaire aurait été impossible sans le soutien, fût-il sans participation, du PC et du parti radical !

Le drame pour le PS - mais contrairement à d'autres je n'y vois pas l'effet d'un stratagème habile de Mitterrand - est d'avoir progressivement perdu, à côté de lui, un allié-concurrent. Du coup c'est au sein même du PS que la controverse puis l'opposition se déploya : l'épisode des frondeurs qui mina tout le quinquennat Hollande en est l'illustration.

Ces deux courants unis représentent toute l'histoire de la gauche depuis 89 et leur division signe autant leurs rares victoires que la richesse des débats et des théories qui en font le prix si précieux. Demain ces courants se réorganiseront d'une manière ou d'une autre : autour de Macron ou du PS pour les uns, de Mélenchon ou du PC, si ce dernier sait être habile, pour les autres.

Ils ne devront néanmoins pas oublier ce qui fit leur honneur et leur histoire : sous l'égide de l'universalisme des Lumières et de la Révolution dont Clemenceau eut raison de dire qu'elle était un bloc, l'esprit de résistance qui leur permit toujours, aux heures graves, de ne pas se tromper de combat.

Or l'heure est grave.

A l'extrême-droite

En dépit de son indignité, le ralliement de Dupont-Aignan est logique. Indigne parce qu'il heurte tous les fondamentaux du gaullisme dont pourtant ce triste sire se réclame, logique pourtant parce que l'extrême-droite, gommant habilement le temps d'une campagne électorale, ses origines sulfureuses, parvient, jusqu'auprès de chroniqueurs manquant singulièrement de culture historique et politique, à faire apparaître le débat du 2e tour comme l'opposition entre société ouverte et fermée, entre mondialisation et souveraineté, entre finance et travail. Il s'agit pourtant de bien autre chose : de ce désir inconscient de fascisme que révélait Roudinesco, de cette perspective déjà mise en œuvre ailleurs de démocratie illibérale, oui, du renversement de la République.

Ne nous payons pas de mots : le FN, au delà du soupçon légitime de racisme plus ou moins rampant que son origine et ses pratiques attestent, au delà et peut-être même à cause du rapt éhonté du peuple, du travail et de la Nation que pratique cyniquement le FN - mais après tout Mussolini et Hitler le firent avant lui - qui font MLP en appeler outrageusement à la France insoumise, oui le FN est un parti non seulement non démocratique mais foncièrement anti-républicain. Mais, même écrire cela est un euphémisme.

C'est un parti fasciste.

La question de savoir si l'électorat du FN est lui-même fasciste n'a pas beaucoup de sens ; en revanche observer que 20% au premier tour - combien au 2e ? - sont disposés à prendre le risque de voter pour un parti réactionnaire, au mieux, anti-républicain de manière avérée, et fasciste au pire; permet de mesurer l'enjeu du problème à venir, les dangers imminents qui obscurcissent l'horizon.

La classe politique, même dominée demain par des formes nouvelles souhaitées par Macron, saura-t-elle conjurer l'ascension de ce courant réactionnaire - ce qu'elle n'a pas su faire depuis 15 ans - rien n'est moins sûr.

Inquiétudes

Les chants morbides des sirènes de la réaction ne s'élèvent jamais qu'aux temps de grands désastres ou de profondes mutations : ce sont des chants de haine, de peur. Nous y voici ! entre une mondialisation rapide mais qui ne saurit qu'à quelques uns et les périls environnementaux à venir, tout nous y conduit qui appelle autant de nouvelles façons d'agir que de manières de penser.

Macron devrait à mon sens mettre en question les cadres classiques dans lesquels il semble se situer naturellement : la subordination de la politique à l’économie, la réduction de l’économie à l’école néolibérale, l’excroissance du pouvoir de l’argent.
E Morin Le Monde
E Morin a raison : de toute manière ce sera une aventure mais pour y parvenir il faudra bien changer de logiciel. De droite comme de gauche, nos politiques ont raisonné avec des cadres théoriques dépassés cherchant dans la croissance, introuvable depuis les années 70, une solution à nos maux. Penser autrement, de manière complexe, en intégrant les questions environnementales, et inventer d'autres manières de vivre, de produire : Macron, qui est d'une autre génération, en est-il capable ? Lui qui jusqu'à présent, dans ses discours comme dans ses actes, aura tout au plus donné l'image d'un social-libéral ?

Rien n'est moins sûr !


La période qui s'ouvre sera inédite et pleine de rebondissements - sans aucun doute. Elle ne me fait pas peur mais me donne bien peu d'espoir.

Évitons au moins le pire - pour le moment ! Mais me lasse de n'avoir plus à choisir qu'entre l'insipide et l'horreur.