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Alain-Gérard Slama : « La victoire de Macron est due à trois erreurs impardonnables de la droite »

 

Dans une tribune au « Monde », l’historien Alain-Gérard Slama, ancien membre du comité éditorial du « Figaro », juge que François Fillon n’est pas seul responsable de sa défaite et met en garde le candidat d’En marche !

TRIBUNE. Il n’est pas un électeur raisonnable qui ne souhaite voir M. Macron écrabouiller au second tour la candidate du Front national. Jusqu’à lui, la démocratie française avait projeté sur ses présidents l’image du père ombrageux ou du grand frère. La voici qui, pour la première fois, se reconnaît dans l’image du fils – arrogant ou exemplaire, nous verrons. Il ne faudrait pas pour autant que notre glorieux chérubin s’imagine, une fois parvenu à l’Elysée, qu’il a dû son succès à son seul génie.

Certes, dépourvu de programme et de majorité, il a su saisir l’occasion avec une habileté peu commune. Mais cette chance, il n’aurait pu l’exploiter si François Hollande ne lui avait, volens nolens, passé le témoin. Surtout, elle n’aurait pu le conduire jusqu’aux marches de l’Elysée si la droite dans son ensemble – et pas seulement François Fillon – n’avait commis, depuis plusieurs années, des fautes impardonnables.

Si la droite veut éviter qu’Emmanuel Macron emporte, dans la foulée, les prochaines législatives, un examen de ces fautes s’impose. La première est d’avoir ignoré sa propre histoire. Le propre du tempérament de droite a été de remplir la fonction du conservatisme. Or le camp conservateur s’est constamment divisé sur la question de savoir jusqu’à quel point les leçons de l’expérience – sa seule doctrine – lui permettaient d’entériner le mouvement des réformes.

Tonalité « Ancien Régime »

C’est ainsi que les conservateurs se sont lentement ralliés à la République, à la laïcité et à l’évolution des mœurs. En revanche, il a toujours existé, entre le conservateur et le réactionnaire, une incompatibilité fondamentale. La réaction consiste dans un rejet radical de la modernité ; son aspiration à une restauration révolutionnaire du passé est en rupture avec la psychologie du conservateur.

Jusqu’à une date récente, on pouvait croire que le traumatisme de la « Révolution nationale » de Vichy avait guéri la droite et l’Eglise de toute velléité de contestation de l’héritage des Lumières. Nicolas Sarkozy a d’autant plus surpris en réveillant le thème de l’identité nationale, en plaidant la cause d’une « laïcité positive » et en prononçant l’éloge du rôle du curé au côté de l’instituteur. A sa suite, François Fillon a étonné davantage encore quand, le 28 août 2016, il a tenu à rappeler qu’il avait le 15 août, célébré « l’Assomption à l’abbaye de Solesmes voisine » – ce qui aurait dû rester affaire privée –, pour conclure avec enthousiasme : « Comment ne pas ressentir la force, la puissance, la profondeur de ce passé qui nous a forgés et qui nous donne les clés de notre avenir ? »

Autant que l’exploitation des irrégularités qui lui ont été imputées dans la gestion de ses ressources privées, la tonalité « Ancien Régime » de telles déclarations, confortée par ses accointances avec des groupes d’inspiration traditionaliste n’ont pas peu contribué à jeter le doute sur ses engagements en faveur de la laïcité. Bien qu’Emmanuel Macron parle comme un télévangéliste et se prenne par instants pour Jeanne d’Arc, il lui a été facile de se présenter, par comparaison, comme un parangon de modernité.

Le culte de « l’hyperprésidence »

La deuxième faute commise par la droite dite « institutionnelle » touche à son interprétation de la fameuse tripartition des droites – légitimiste, orléaniste et bonapartiste – proposée en 1954 par René Rémond. Depuis au moins De Gaulle, tous les dirigeants de la droite ont veillé à s’adresser à l’ensemble de ces sensibilités et à en élaborer une synthèse en retenant de celles-ci, non plus la lettre, anachronique, mais l’esprit.

L’erreur de Nicolas Sarkozy et, à sa suite, de Fillon est d’avoir radicalisé cette synthèse en retenant, des trois droites, ce que chacune avait de pire : du légitimisme, l’organicisme identitaire, de l’orléanisme, le culte de l’argent, et du bonapartisme, le culte de « l’hyperprésidence ». Un tel contresens a contribué à les diviser et à les affaiblir tout en rendant poreuse leur frontière avec l’extrémisme nationaliste. Il existait alors un leader de la droite susceptible de réussir une synthèse plus équilibrée et plus solide, qui n’était autre que Juppé. C’est peu dire que ses « amis » n’ont pas soutenu le favori des sondages. Il est un peu tard à présent pour s’apercevoir que le principal facteur de l’ascension d’Emmanuel Macron a été l’échec aux primaires d’Alain Juppé.

Il a toujours existé, entre le conservateur et le réactionnaire, une incompatibilité fondamentale. La réaction consiste dans un rejet radical de la modernité ; son aspiration à une restauration révolutionnaire du passé est en rupture avec la psychologie du conservateur

La troisième faute de la droite est d’avoir accepté les primaires ouvertes. Une telle procédure n’est pas seulement étrangère à l’esprit de la Ve République. Comme sa base électorale est aléatoire, elle ne peut conférer au candidat ainsi désigné la reconnaissance d’une légitimité démocratique. Benoît Hamon et François Fillon l’ont vérifié à leurs dépens. Les deux précédentes Républiques sont mortes des replâtrages à la faveur desquels leurs dirigeants ont, peu après chaque élection, substitué des combinaisons « à saute-mouton » aux majorités sorties des urnes.

Plutôt donc que de rendre le « système » et la bipolarisation droite-gauche responsables de la crise politique actuelle, il est cent fois plus pertinent de mettre en cause l’usage que, depuis quelques années, nos dirigeants et nos professeurs de droit en ont fait. Au lieu de corriger les effets pervers du quinquennat, ils les ont aggravés. Les majorités à géométrie variable sont, par nature, faibles, instables et condamnées à l’impuissance, à moins de se plier à l’arbitraire du prince, ce qui serait le cas sous la Ve République.

Elles présupposent l’existence d’un parti centriste fort, en dépit du fait que, dans l’histoire politique française, le centre n’a jamais pu éviter d’éclater entre une droite et une gauche. Le principal, sinon le seul mérite du scrutin majoritaire à deux tours est d’obliger le candidat à rassembler son camp pour remporter le premier tour, puis à élargir sa base pour être élu, et à gouverner ensuite le plus possible « au centre » pour se maintenir.

Rassemblement par défaut

Si Emmanuel Macron oublie qu’il aura dû son élection à la logique bipolaire de la Ve République, et s’il s’inspire, pour constituer sa majorité, du rassemblement par défaut qui lui a permis de remporter le premier tour, on lui souhaite, d’avance, bien du plaisir. Car – et cette fois la faute est la sienne – à trop parier sur la disparition du clivage droite-gauche, il risque bien de s’être ôté à lui-même les moyens de maîtriser l’issue du second tour.

Le Front républicain sur lequel il pourra sans doute compter pour l’emporter est loin d’être sans ambiguïté. La tentation populiste, autoritaire d’un côté, identitariste de l’autre, n’est plus seulement propre aux formations extrêmes. Après avoir entretenu les illusions des adversaires des institutions, elle se prépare à se nourrir de l’impuissance du centrisme. Le comble du paradoxe du pari consensualiste d’Emmanuel Macron serait que l’arbitrage des prochaines législatives et du gouvernement qui suivra retombe entre les mains de M. Mélenchon et du successeur désigné de M. Sarkozy.