index | précédent | suivant |
---|
- >2016
Vous reprendrez bien un peu de campagne ?
Euh bien … non, vraiment ! Et pourtant il va bien falloir car beaucoup se jouera avec les législatives de Juin. Une campagne de 2e tour confuse, qui mettra du temps à démarrer, où MLP réussira à imposer son tempo et ses thèmes - patriotes contre mondialistes - avant que de se perdre dans d'insanes diatribes lors du débat, alors que Macron, apparemment désemparé au début, tardera à poser ses marques.
Une absence de débat, sans conteste, mais celui-ci pouvait-il avoir lieu ? Chirac en 2002 s'y était refusé mais il faut dire qu'alors la surprise avait été énorme et le score prêté à JMLP sans commune mesure avec celui obtenu par sa fille ; le ver, au reste, était déjà dans le fruit : comment récuser un débat qu'on avait déjà accepté avant le 1e tour ? d'une candidate donnée haut dans les sondages, d'un courant qui flirta avec les 40% au dernières régionales et que la stratégie dite de dédiabolisation, en tout cas de banalisation, aura rendu sinon acceptable en tout cas convenable.
Deux interprétations sont possibles - qui ne sont d'ailleurs pas incompatibles entre elles - sur l'attitude de MLP lors de ce débat :
pas plus que son père, qui s'est toujours arrangé, à coup de formules sulfureuses, pour se tenir éloigné du pouvoir à mesure où celui-ci s'approchait, MLP ne désire véritablement accéder à l’Élysée et se voit bien mieux chef de l'opposition. A ce titre, l'incompétence notoire, en tout cas l'impréparation évidente, sur les questions économiques ou de politique étrangère, peut servir d'indice concluant.
- elle a donné à voir le vrai visage du FN qui demeure ce qu'il a toujours été : un camp retranché d'anciens collabos, pétainistes de tout poil, nazillons de diverses générations, intégristes divers et variés, bref un courant autoritaire, pour le moins, fasciste en vérité, jouant sur la peur de l'autre - quand ce n'est pas la haine - et sur les ressorts classiques de la démagogie des années trente. Et avoué combien la dédiabolisation n'aura jamais été qu'une façade vite craquelée pour campagnes électorales.
Ce qui est grave, outre l'image délétère d'une extrême-droite qualifiée pour le 2e tour, pour la deuxième fois en 15 ans, même si, répétons-le, 2002 ne ressemble en rien à 2017, c'est l'impossible débat : non pas tant celui, télévisuel de l'entre-deux-tours, que celui, national, que constitue l'élection présidentielle sous la Ve République. Que la mécanique électorale d'un scrutin à deux tours veuille que d'abord on choisisse et ensuite on élimine ; qu'effectivement, surtout à gauche, rare est le cas où le vote final fût un vote de pleine adhésion et souvent un pis-aller, ne peut pas escamoter cette désolante évidence que demain nous soyons tous contraints, de droite comme de gauche d'ailleurs : pas de choix, même négatif, mais seulement une ardente obligation. Qui ne dessine en rien l'avenir - ou de manière si confuse.
Macron aura eu une chance incroyable - bien plus qu'un réel savoir-faire politique : l'élimination de Juppé et Sarkozy aux primaires, la disqualification de Fillon à cause des affaires ; la victoire de Hamon, qui a tant gêné Mélenchon, mais a nourri son camp de tous les transfuges du PS qui ne supportent pas la gauche de la gauche, tout cela aura escamoté, pour un temps, le vide de son positionnement.
Une chance parce que s'ouvre la possibilité d'une reconstruction politique complète, où le centre, pour la première fois depuis 58, aurait la possibilité d'œuvrer : le résultat des législatives lui donnera, ou non, la possibilité de se frayer un chemin et de droite et de gauche ; de reparlementariser le régime sans avoir même besoin d'une réforme constitutionnelle.
Mais une faiblesse en même temps parce qu'une fois aux manettes, il ne pourra pas ne pas mécontenter successivement les uns et les autres, alors qu'il aura besoin d'eux et que la faiblesse institutionnelle de son mouvement pourra difficilement rivaliser avec des partis solidement organisés et bien décidés à ne pas disparaître. Certes, toute réorganisation commence d'abord par du désordre et donc par une fabuleuse incertitude. Morin parlait d'aventure : il a raison.
Une campagne décevante ? Oui et non ! Agaçante, sûrement oui !
- Oui parce qu'elle a longtemps été parasitée par les affaires et que l'on y aura bien peu parlé - et pas du tout entre les deux tours - de ce qui me semble crucial pour les années à venir : l'environnement, la transition écologique etc qui auront surtout été l'apanage de Hamon et Mélenchon. Si la gauche de demain sait s'en saisir, voici certainement une zone de fracture.
- Non parce que finalement, notamment s'agissant de l'Europe et de l'euro, l'essentiel aura été mis en évidence. Point sensible au point de faire apparaître les euro-sceptiques comme majoritaires et le référendum de 2005 comme un retour du refoulé terriblement dévastateur, l'Europe devrait être le chantier principal des années à venir au point qu'il ne soit pas besoin d'être grand clerc pour deviner que ce sera demain à la fois la dernière chance de l'Europe et le seul levier sur quoi Macron pourra jouer s'il en est capable.
- Agaçante, parce que cette fois comme les deux précédentes, le storytelling l'aura aisément emporté laissant la détestable impression qu'une campagne électorale, loin d'être un engagement, ne serait définitivement plus rien d'autre qu'une aimable catharsis que l'on s'offrirait … avant de passer à autre chose, aux choses sérieuses.
La rhétorique n’a aucun besoin de savoir ce que sont les choses dont elle parle, simplement elle a découvert un procédé qui sert à convaincre »
La prolifération des chaînes d'information en continu n'aura pas arrangé les choses : les commentaires des journalistes, des supposés politologues et autres experts en communication auront consacré la victoire infamante du sophisme où la brillance du propos, l'habileté de la rhétorique, l'ingénieuse posture auront supplanté l'analyse du programme. Il n'est pas totalement inutile de relire ce que Platon reprochait aux sophistes : de manipuler, de n'avoir ni vraiment d'auditoire, encore moins de sujet. Ne cherchons pas plus loin la méfiance de la philosophie pour la communication : à l'écart de toute rigueur scientifique, d'effacer des siècles d'analyse et de commentaires prouvant le lien indissoluble entre fond et forme. Ne prime plus que la forme ! A n'en point douter la banalisation du FN en aura fait ses choux gras !
Platon, Gorgias, 459 b
Reste l'essentiel
Qui se jouera aux législatives car jamais depuis 81, des législatives suivant immédiatement des présidentielles ( 81 et 88 suite à des dissolutions ; 2002, 07 et 12, depuis le quinquennat et l'inversion du calendrier) n'auront été aussi décisives et incertaines.
- Faire barrage au FN, évidemment ; ce qui n'est pas le plus difficile ; mais surtout agir en sorte que ce scénario noir ne se reproduise dans 5 ans avec cette fois-là un risque bien plus grand de victoire. Mais ceci revient à lutter contre ce qu'à raison, on aura nommé lepénisation des esprits. Une tâche bien plus vaste qu'une simple stratégie électorale ! Autant dire ne pas rater ce qu'à l'évidence Chirac, en dépit de ses 80%, n'a pas eu le courage de faire. Mais ce qu'à gauche, on n'a pas voulu comprendre après le départ de Jospin. Macron en sera-t-il capable ? en a-t-il seulement pris la mesure ? son profil de technocrate trop lisse et de télévangéliste un peu niais est-il vraiment la bonne recette ?
- Réinventer une pratique plus républicaine de la constitution en conférant quelque consistance au nécessaire contre-pouvoir que doit représenter le Parlement face à l'exécutif : bref en finir avec la monarchie républicaine sous toutes ses formes ! Ce qui passe aussi par une refonte de la fonction présidentielle qui n'a pas, depuis le quinquennat, trouvé ses marques, ni plus sous la forme de l'hyper-présidence que sous celle de la présidence normale. Ce qui passe aussi par une refonde du rôle des partis.
- Réinventer la gauche, bien mal en point, qui n'a revisité aucun de ses fondamentaux depuis ses multiples passages au pouvoir. Jaurès avait su le faire en 1905 ! Mais qui en a la trempe, l'audace et le courage ? Même si je suis certain que c'est autour de l'écologie que, demain, devra se poser sa refondation et que ni la doxa libérale ou monétariste, ni l'approche keynésienne orthodoxe, ne seront en mesure de répondre aux menaces inédites qui nous attendent, qui ne se résument pas plus aux canons économiques ou géopolitiques habituels.
Je n'ose écrire réinventer l'espoir de trop savoir combien l'histoire est tragique.