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- >2016
Opinion
Un de ces termes qui envahissent la chronique - surtout en période électorale. Opinion publique, opinion politique.
Le latin dit conjecture, croyance et, pour le verbe croire, estimer - que l'on retrouve dans l'expression opiner du chef : approuver. Le grec, lui, dit δόξα pour désigner l'avis, le jugement voire même la réputation. Le terme lui-même semble venir de δοκέῶ signifiant paraître, sembler - et même briller.
Pour la pensée grecque, et ce très tôt, la doxa s'oppose à la connaissance rigoureuse et rationnelle, s'oppose à la vérité, en tout cas à la science ou la philosophie. On trouve ainsi le terme dès Parménide, Empédocle ou Démocrite.
Pour Platon (théorie de la ligne dans la République) elle représente le plus bas niveau de l'appréhension du réel et ne concerne que les objets sensibles - ce contre quoi précisément la philosophie se construit.
Dans une acception plus moderne, opinion désigne l'ensemble de ce qu'un corps social accepte, ce en quoi il croit - ce qu'un Marx aura nommé idéologie. Ce qui est certain, en tout cas, demeure que ce que l'on croit ne vient jamais de nulle part, est une construction sociale autant que linguistique - il est ce qu'à un moment donné, les connaissances reçues par éducation, ce que le langage, ce que les idées communes estampillent comme véridiques, logiques, ou vraisemblables. Ce que Platon illustre au mieux, c'est combien la connaissance ne va jamais de l'ignorance au savoir, mais d'un savoir initial qu'il faut rejeter ou au moins corrigé à un savoir prouvé, vérifié et, Bachelard le précisera, un savoir limité et provisoire. Derrière cette opposition s'en cache une autre : entre sens commun et savoir du spécialiste, du philosophe ou du scientifique.
Ce qui ne résout pas notre problème !
- en dépit des rêves comtiens, il n'y a pas de science correspondant à cette technique que l'on appelle politique ou l'art de bien gérer une cité. S'il devait y en avoir une assise théorique, il faudrait la chercher à la fois du côté de l'anthropologie, de la sociologie, mais aussi de la psychologie etc c'est-à-dire dans tout ce bloc que l'on appelle les sciences humaines. Qui proposent des clés pour décrypter les évolutions ou mutations sociales, les comportements et les rituels mais ne peuvent donner - comme toute science, elles ne sont pas faites pour cela - des recettes de bonne direction de la cité. Sans compter la prise en considération des lois de la physique et de la mécanique pour autant qu'en politique il est toujours affaire de rapports de force. Que dans une franche dictature, insidieuse oligarchie, jouer avec ces rapports de force puisse suffire, c'est possible mais en régime démocratique ?
- les fondamentaux de la démocratie - représentative et a fortiori directe - supposent que l'on fasse appel au citoyen non pas en vertu de sa supposée compétence mais ex cathedra pour l'opinion qu'il émet sur l'intérêt général de la cité. Demeure donc entière la question de savoir ce qui constitue et comment se constitue cette opinion.
- il y a bien entre savoir et politique un rapport trouble mais ce qui est sûr c'est qu'entre science et pouvoir, l'antinomie persiste que le mythe de la caverne a dévoilé dès les aubes de l'histoire de la philosophie. Comte l'avouait, il n'y a pas de liberté de conscience dans les sciences. S'il pouvait exister une physique sociale produisant des vérités aussi probantes, vérifiées que la physique, notre liberté serait par terre car nous n'aurions pas de choix. Spinoza l'a dit à sa façon : notre liberté n'existe que par l'ignorance des causes qui nous font agir !
C'est que, dans toute opinion - au sens trivial du terme - il y a deux actes distincts : la proposition que l'on présente et atteste comme vraie qui, elle, résulte au mieux d'un raisonnement, d'une déduction, de preuves, mais au pire de ce petit délire passionnel qui fait souvent conclure avant même d'avoir raisonné ( le préjugé) ; mais, à côté, il y a cet acte de la volonté, que Descartes nomme le jugement - un acte qui à la fois pose le sens et le sujet de ce sens en affirmant et cette vérité, j'y crois.
Dans l'opinion il n'y a pas que l'objet, mais un sujet qui se pose face à un objet.
Sans doute est-ce pour cela que la philosophie a tant à voir avec le politique …au risque de s'y brûler presque systématiquement.
Nos opinions, finalement, et surtout quand elles sont politiques, ne disent en réalité rien … sinon sur nous