Bloc-Notes 2016
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Droit du travail

Ça bouge, ça pétitionne … j'aime assez. Je lis dans ce projet de loi un résumé à peu près complet de tout ce qui aura fait la misère de ce quinquennat. On aura aidé les entreprises au delà de toute mesure en échange d'emplois à créer … que l'on attend toujours. Voici que l'on écornifle voire érode tout ce qu'un siècle de luttes sociales avait permis de conquérir.

J'y vois deux vices mais deux questions aussi à se poser

  1. perversion que celle de considérer le travail comme une charge : voici bien le point de vue des entreprises mais pas exclusivement. Curieuse configuration, on ne le dira jamais assez que celle d'une culture qui a érigé le travail en vecteur de libération autant que d'affirmation de soi mais se refuse pour autant à en payer le prix. Ne considérer dans le salariat que la charge en sous-estimant systématiquement les ressources qu'il permet de dégager ne revient pas seulement à se renfrogner en un exclusif point de vue comptable, ne signifie pas seulement la méconnaissance de l'humain, c'est en réalité saper les fondements de notre culture. La transaction prométhéenne que représente le travail, où se jouent ruse et forme sublimée de tricherie, ne peut se perpétuer évidemment que pour autant que le gain excède l'investissement. Or, ce que Marx avait parfaitement vu, où il percevait les contradictions internes du capitalisme, c'est qu'il n'était que deux façons de le réaliser : ou bien en réduisant le prix du travail ; ou bien en augmentant sa performance. Les deux finalement conduisent à l'effacement de l'humain : le non dit du système, son rêve inavoué est bien un homme d'esclaves et de machines.
    Je persévère : que l'on persiste à présenter le travail comme une charge représente très exactement la faillite morale et sociale du système. Il en va de bien autre chose que de mots.
  2. cynisme que de jouer sempiternellement sur le contrat plutôt que la loi. Bien sûr le travail donne lieu à un contrat ; bien évidemment le contrat ne se réalise jamais dans des conditions équitables. La réciprocité ne vaut jamais en tout cas pas dans les circonstances habituelles où l'impétrant est plus demandeur qu'offreur, en tout cas parfaitement remplaçable. La logique républicaine exigeait que la loi couvre le contrat de son autorité ; que ce dernier pût toujours proposer plus mais jamais moins que ce dont la loi disposait. C'est ceci que dans une logique libérale très anglo-saxonne où le terme liberté vient sordidement servir de camouflage élégant aux pires turpitudes, ceci que l'on est en train d'étouffer. Ce n'est pas la démocratie mais la République que l'on est en train d'assassiner.

D'où les deux questions :

  1. dans cette propension à se couler dans le moule hypothétique d'une gouvernance mondiale, mais dans la contrainte bien réelle celle-ci de canons libéraux, jusqu'où irons-nous ? Jusqu'à quel point cèderons-nous aux délices du détricotage de tout ce qui fut bâti ? L'État est déjà suffisamment affaibli d'avoir renoncé depuis les années 70 à intervenir dans les domaines économiques où la doxa affirma péremptoirement qu'il n'avait pas de légitimité, assez discrédité pour apparaître désormais comme le grand empêcheur de faire des affaires en rond : il n'a plus que l'énergie de hurler avec les loups. Les aides accordées aux entreprises ne sont jamais suffisantes ; les emplois promis en échange se font - faut-il s'en étonner ? - toujours attendre ! Grave parce que ce ne fut pas seulement un marché de dupes ; grave parce que c'était sous-entendre qu'il n'y aurait plus de contre-partie sociale à l'échange économique ou que si elle devait encore subsister, réduite à une portion congruë, ce fût tout au plus au politique de l’assumer, pas à l'agent économique. Nous avions subi il y a une vingtaine d'années la légende de l'entreprise citoyenne qui sous couvert d'étendre la démocratie à l'entreprise ne fit rien d'autre qu'instrumentaliser économiquement le politique, que lui imposer canons et contraintes économiques. L'histoire se rejoue aujourd'hui : le grand trou noir de l'économie avale tout sur son passage. L'argument de la flexibilité et de la performance n'est qu'une sirène idéologique.
  2. où est la gauche aujourd'hui ? qu'en reste-t-il ? A droite, on aura beau jeu de répéter la scie insupportable d'un clivage qui n'aurait plus de sens d'entre gauche et droite : mais on y a raison, la gauche ayant abdiqué en rase campagne. C'est se tromper lourdement que de suggérer que la gauche ce serait de l'économie avec un peu plus de social que la droite ; c'est pourtant à ceci à quoi l'on est parvenu - au mieux ! La gauche, en son histoire qu'il faudrait parcourir - mais est-il encore des oreilles assez curieuses pour en prendre le temps ? - a toujours été, fort logiquement, déchirée entre la tendance radicale à rompre avec le système pour en inventer un autre, et celle, hâtivement baptisée de réformiste, à inventer, au moins en attendant, des compromis. Il y eut dans le débat qui opposa en son temps Jaurès à Guesde à peu près tout ce qui résume la question. Fallait-il vraiment que l'injonction à être moderne, à s'adapter au monde moderne s'accompagnât d'un tel déshonneur, d'une si implacable trahison ? Du socialisme à la social-démocratie, de celle-ci au social-libéral, le glissement est terrible qui équivaut à tous les renoncements. On devine bien les appétences acharnées d'un Valls qui, sans doute, prépare le coup d'après mais un coup qui implique l'explosion du PS.
    Mais à ce jeu sordide, c'est toute la gauche qui explose. On peut encore, malgré le goût de cendres, considérer les années Mitterrand avec quelque fierté : il y eut de réelles avances. On peut envisager les années Jospin : elles furent tout sauf inutiles. Mais ici, depuis 2012, je cherche désespérément les avancées ; je ne vois que reculades - même pas honteuses.

Ce système est décidément à bout de souffle. Il explosera inexorablement ou d'épuisement ou de colère. Je préférerais, pour l'honneur, que ce fût de colère.