Bloc-Notes 2016
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Philosopher

Le Monde va commercialiser une petite collection de philosophie Apprendre à philosopher

J'aime assez l'idée. Kant, il y a bien trop longtemps, l'avait déjà écrit, c'est à peu près tout ce que l'on peut faire et c'est un exercice de liberté que nul ne peut faire à la place d'un autre.

Quand on observe l'impérialisme triomphant et obscène des experts, on se dit que la lutte contre les certitudes est toujours d'actualité ! quand on voit resurgir des intolérances que l'on avait pu croire un peu hâtivement rangées au magasin des accessoires tératologiques, on peut effectivement considérer que la lutte contre les préjugés est loin d'être un luxe ! quand on comptabilise le nombre désormais confidentiel des sections Littéraires dans nos lycées, on peut légitimement s'inquiéter d'une l'hégémonie paresseuse qui aura produit de faux scientifiques autant que d'involontaires économistes tout juste bon à renflouer les cohortes déjà protubérantes de commerciaux incultes ou de gestionnaires obtus ; on ne peut que regretter - quand on aima s'y attarder - ou s'inquiéter - quand on consentait à lui accorder au moins une vertu pédagogique d'une telle déshérence.

On ne le dira jamais assez, notre système de sélection, absurde parce que toujours négatif, où les tribus bourgeoises surent néanmoins se ménager des parcours efficaces pour hisser leur progéniture, n'aura jamais eu d'autre effet que de tuer les humanités - même pas vraiment de promouvoir les sciences qui n'en avaient pas besoin. Au double prétexte que l'enseignement fût trop éloigné de la réalité des entreprises et que la modernité versât inexorablement du côté des sciences dures, on aura isolé philosophie, Lettres et Arts dans un ghetto charmant mais si désuet que désormais déserté. En une trentaine d'années, on aura produit une génération démunie du bagage culturel traditionnel - après tout pourquoi pas même si je le déplore - sans pour autant lui en proposer d'autre que celui affairiste, utilitaire et technicien que l'on nomme avec imbécile superbe, professionnel ! Qui n'est même pas scientifique - à peine technique, même si l'appeler technologique flatte la suffisance.

Mais tout ceci ne vient-il pas trop tard ? dans un désert de silence ?

Je reste effrayé, en tout cas inquiet, de la désertion des intellectuels - des philosophes notoirement. Non que j'eusse la nostalgie des grands intellectuels engagés de ma jeunesse - quoique … En dépit de leurs erreurs nombreuses, de leur incapacité trop souvent à repérer les totalitarismes où ils suintaient, de leurs connivences ou petites lâchetés, les Sartre, Camus, et autre Foucault eurent en tout cas l'art d'une présence soucieuse qui hissait l'humanisme à des hauteurs jamais égalées depuis. Je déplore aujourd'hui les tapages de ces petits messieurs tout juste bons à amuser les foules sur les tréteaux médiatiques de leur venin veule et prétentieux ; de ces petits donneurs de leçons - qui toujours inclinent dans le même sens haineux ou craintif - qui de leur strident refrain conformiste n'en finissent pas d'entonner l'éloge vain de la vacuité bourgeoise.

J'aurais aimé pouvoir écrire, songeant à Pascal, que le silence infini des philosophes m'effraie mais non, c'est plutôt le vacarme, le borborygme infâme des machineries idéologiques de ces pharisiens qui m'étouffe.

Des rares certitudes que je puis avoir, il en est une qui me tenaille : nous n'avons, décidément, pas de philosophie pour penser les affres à venir de la modernité ; nous n'avons jamais eu autant besoin de philosophie et de consciences vaillantes pour en hisser haut les questions.

Tout est à faire ? Non ! à refaire !