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Bilan ?

Le premier petit bilan que l'on peut faire tourne autour de quatre points :

 

  1. la critique portée par Platon contre les sophistes, et la rhétorique en général semble à première vue implacable mais n'est sans doute pas si définitive que cela dans le mesure où elle laisse ouvert le domaine du discours de la transmission et de la recherche. On notera surtout qu'à sa manière, elle s'invalide elle-même dans la mesure où, privilégiant l'échange oral interpersonnel, elle signe en même temps les vrais débuts de la philosophie grecque, ses débuts écrits en tout cas. Très vite, cette condamnation de l'écrit sera dépassée par Aristote mais il semble qu'elle l'est déjà par Platon lui-même. Ce n'est en réalité pas la rhétorique elle-même que fustige Platon, mais une certaine rhétorique sophiste.
  2. liée à sa conception du politique tellement étrangère à la démocratie. Conférer le pouvoir à ceux qui savent, c'est ce qu'aujourd'hui on nommerait technocratie. La politique, réduite à n'être qu'une mise en œuvre, rigoureuse, habile, morale, certes, de la sagesse, mais une application pratique seulement de ces principes, ôte au politique toute dimension idéologique, morale voire intellectuelle. A Comte rêvait de donner à cette technique qu'est la politique une science digne de ce nom et crut l'avoir fondée avec sa physique sociale; Platon quant à lui l'aura prédéfinie dans la définition même de la philosophie. Ce qui, à côté de la ligne opinion/science trace une nouvelle ligne entre d'une part le territoire des philosophes et celui du peuple, celui-ci restant rivé aux affres du sensible, de l'apparence, de l'opinable. S'adresser au peuple c'est en réalité vouloir le convaincre; or nul dialogue n'est en réalité possible avec lui tant il reste prisonnier de la doxa. C'est ici aussi que la condamnation des sophistes prend tout son sens politique. Le peuple n'est pas, ne peut pas être un interlocuteur valide, ne saurait  être que celui que l'on guide, conduit ou forme ! Ce que Barthes avait observé dès l'origine, confirmé par Perelman prend ici toute sa dimension : la rhétorique des sophistes mutatis mutandis occupe dans la Grèce antique la place qu'occupent désormais nos médias de masse.
  3. cette critique ouvre en réalité le champ de la communication beaucoup plus qu'elle ne le ferme : en dessous du dialogue philosophique, il y a tout le terrain du dialogue social, politique; de la parole humaine. Terrain sans enjeu philosophique pour Platon, mais terrain que l'on ne peut assurément pas laisser en friche et qu'investira précisément Aristote, donnant ainsi à la Rhétorique ses lettres de noblesse et sa feuille de route pour une très longue période. Se confirme ainsi ce que nous énoncions plus haut : communication et philosophie n'ont tout simplement ni le même objet ni le même destinataire ! Tout à l'air de se passer, dès le début de la philosophie grecque comme si, de part et d'autre d'une ligne, pas si visible que cela, se jouaient conjointement les sorts respectifs du politique et de la philosophie, de l'information et de la communication. Le débat Aristote/Platon n'a rien d'anodin à cet égard sur quoi nous pensons toujours et qui n'est au fond pas tranché. Il justifie à la fois la profonde méfiance de la philosophie vis à vis de la communication et leur lien apparemment indénouable. Mais en se proposant l'objectif du double regard, nous n'affirmons pas autre chose que la nécessité de penser la question d'un point de vue politique, aussi ! Or la question nous paraît d'autant plus actuelle que le discours ambiant, dès lors qu'il s'agit du politique, du social et, surtout de l'économique, confine au technocratisme de manière assez spontanée, régulière. Où certains voient une remise en question, de fait, de la démocratie; où nous pouvons voir des réminiscences plus ou moins maîtrisées de la pensée platonicienne. 1 La question de la légitimité de la rhétorique, de la communication, n'est peut-être, qu'une manière moderne de poser la question de la légitimité de la démocratie ! Préserver un espace pour la communication, n'est-ce pas finalement préserver l'espace légitime de la démocratie ?
  4. exigence de méthode enfin : elle est dessinée dès le Phèdre [266] parce qu'évidemment l'exigence d'une recherche qui doive impérativement être individuelle et engager l'âme elle-même dans ce dialogue intérieur où il voit l'expression même de la pensée, n'oblitère pas la possibilité, mais la nécessité surtout, de la transmission de cette sagesse ni donc l'exigence de la méthode. Que celle-ci soit intimement liée à la notion de plaisir n'empêche qu'elle soit posée en ces deux termes, ascendant de l'analyse, descendant de synthèse, qui forment ainsi les deux pôles de la démarche intellectuelle.