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En pensant à
Peter Lorre (1904-1964)

Personnage étonnant que cet acteur qui disparut trop tôt. Légende du cinéma, même si sa carrière aux USA dut souvent se résoudre aux seconds rôles. Archétype du mauvais, du fou, sa capacité à contrefaire le dément, yeux écarquillés comme s'il avait été hanté par le diable lui-même.

Son meilleur rôle fut sans doute un des tout premiers : la scène finale de M le Maudit demeure un chef d'œuvre de mise en scène qui signe l'heure de gloire de l'expressionnisme allemand , mais en même temps l'apogée de l'interprétation.

J'aime assez le personnage qui est en même temps emblématique de toute une période. Né autrichien, à Rosenberg - aujourd'hui en Slovaquie - juif de langue allemande, il quittera l'Allemagne dès 33, pour Londres d'abord ; les USA ensuite. L'homme, à l'accent inimitable, y fera une carrière brillante d'abord, réduite ensuite trop souvent à des seconds rôles ensuite.

Une anecdote le caractérise assez bien : Hitler, qui admirait M le Maudit lui écrivit en 36, qu'il pouvait rentrer en Allemagne et y poursuivre sa carrière. Lorre lui répondit que l'Allemagne avait déjà un assassin de masse et qu'il n'y avait pas de place pour un deuxième. La réponse ne manquait pas de panache, assurément.

L'histoire était tragique et les émigrations étaient tout sauf volontaires - mais le sont-elles jamais ? Ce fut pourtant aussi une époque, où ce cinéma qui s'inventait, qui en était à ses tout débuts, sut se nourrir, aux USA notamment, de tout ce qui pouvait l'enrichir sans plus s'interroger sur les origines. Monde paradoxal décidément que celui de ces années-là qui savait s'ouvrir et se moquer de lui-même, au moment exact où se fomentait aussi l'horreur !

Emblématique aussi parce qu'il résume toute la puissance créatrice en même temps que la force d'auto-destruction, lui qui, malade, se soigna mal, finit par devenir dépendant de la morphine et mourut trop tôt pour accomplir un destin stupidement inachevé.

C'est cette période, désormais forclose pour nous qui semblons ne plus céder qu'aux sirènes de la destruction et de la négation impuissante, cette période qui à la fois bouscula définitivement le passé et inventa une modernité qu'elle sera incapable de maîtriser pour ce qu'elle tend à dévorer ses propres fruits, cette période à la fois triomphante et détestable qui frôle toutes les limites et ne déteste pas les franchir à l'occasion qui dit la force de la création.

F Lang le dit ici : toute parole visant à commenter l'œuvre est superflue. J'aime assez l'idée même si j'y déroge en écrivant ici. Mais je ne puis que m'incliner devant ces grands moments, émouvants, non troublants plutôt, où le Verbe, l'image se font chair.

Imaginons écrivis-je, oui, parce que c'est encore dans la création que se joue le meilleur de nous-mêmes : est-il tant d'actes que cela où nous parvenions à être généreux ? Platon s'est tellement trompé de croire résoudre la paix sociale en chassant les poètes de la Cité ! Les diseurs de vérités sont tellement tristes ; les raisonneurs tellement raides. Il est des mensonges qui font vivre et se tenir ensemble ce qu'il reste d'humanité.