Textes

Herder (1744-1803)

A propos de la papauté


 

Jamais simple allusion n'enferma en soi tant et de si graves conséquences que ce mot dit à saint Pierre, que sur le roc de sa foi serait construite une Église indestructible, et que les clefs du royaume des cieux lui seraient confiées. L'évêque qui, suivant la croyance générale, siégeait dans la chaire de saint Pierre et près de son tombeau, s'appliqua ces paroles ; et par une suite de circonstances inévitables, comme non seulement il était devenu chef de la plus grande Église de la chrétienté, mais qu'il avait acquis le pouvoir de créer arbitrairement des ordonnances et des statuts spirituels, de convoquer des conciles et d'en disposer à son gré, d'imposer, de tracer des professions de foi, d'effacer tous les crimes, de distribuer des indulgences dont lui seul était dépositaire, ou plutôt, lorsqu'il posséda l'autorité de Dieu sur la terre, par une conséquences nécessaire il passa promptement de la monarchie spirituelle à la monarchie temporelle. S'il avait autrefois limité la puissance des évêques, il limita alors celle des princes de la terre. Il octroya en Occident une couronne impériale sans en connaître les droits. De la même main dont il lançait les anathèmes et les interdictions, il élevait et renversait les empires, châtiait et absolvait les rois ; il suspendait parmi les peuples l'exercice du culte, déliait de leurs devoirs les sujets et les vassaux, privait son clergé de femmes et d'enfants, et fondait un système que de longs siècles ont pu ébranler, non détruire. Un tel phénomène excite l'attention, et puisque nul souverain n'a rencontré plus d'obstacles que l'évêque romain, au moins mérite-t-il que nous parlions de son règne sans animosité et sans haine, comme de tout autre établissement politique (p.281-282).