Textes

Aristote
Métaphysique Livre XII, Ch. 8, [1073a-1074b]

Le premier moteur immobile

 

 


[1073a] [...] Le principe des choses, l'être premier, est immobile ; il l'est en soi, et il l'est aussi par accident. Le mouvement qu'il produit, c'est le mouvement premier, c'est le mouvement éternel ; et ce mouvement est unique. Or, nécessairement, le mobile est mû par quelque chose, et le moteur premier doit nécessairement être immobile en soi. De plus, le mouvement éternel ne peut être produit que par un éternel moteur ; et le mouvement unique, par un moteur qui est unique aussi.

[...]

[1074a] [...] Que si, en effet, un mouvement avait lieu en vue d'un mouvement, celui-ci devrait aussi avoir lieu en vue de quelques autres mouvements ; mais, comme il ne se peut pas qu'on aille ainsi à l'infini, il faut que la fin et le but de tout mouvement soit un de ces corps divins qui se meuvent dans le ciel. Or, il est de toute évidence qu'il n'y a qu'un seul ciel de possible ; car s'il y avait plusieurs cieux, tout comme il y a plusieurs hommes, il pourrait bien y avoir un seul principe spécifiquement applicable à chacun d'eux, mais, numériquement, les principes seraient multiples. Or, tout ce qui est multiple en nombre a nécessairement une matière. La définition est unique et la même pour des êtres multiples, comme est la définition de l'homme ; et, par exemple, Socrate est bien Un ; mais le primitif, l'essence, qui fait qu'une chose est ce qu'elle est, ne comporte pas de matière, puisque c'est l'acte même, l'Entéléchie, ce qui a en soi sa propre fin.

Ainsi donc, rationnellement et numériquement, le premier moteur est unique et immobile ; et ce qu'il meut éternellement et continuellement est unique aussi. Donc, il n'y a qu'un seul et unique ciel. [1074b] Une tradition qui nous est venue de l'antiquité la plus haute, et qui a été transmise à la postérité sous le voile de la fable, nous apprend que les astres sont des Dieux, et que le divin enveloppe la nature tout entière. Tout ce qu'on a pu ajouter de fabuleux à cette tradition n'a eu pour but que de persuader la multitude, afin de rendre plus facile l'application des lois et de servir l'intérêt commun. C'est ainsi qu'on a prêté aux Dieux des formes humaines, et même parfois aussi des figures d'animaux, et qu'on a imaginé tant d'autres inventions, qui étaient la suite et la reproduction de celles-là. Mais si l'on dégage de tout cela ce seul principe, que les hommes ont cru que les substances premières sont des Dieux, on peut trouver que ce sont là réellement des croyances vraiment divines, et qu'au milieu des alternatives où, tour à tour, et selon qu'il a été possible, les arts et les sciences philosophiques ont été, suivant toute apparence, découverts et perdus plus d'une fois, ces doctrines de nos ancêtres ont été conservées jusqu'à nos jours, comme de vénérables débris.

C'est là du moins dans quelle mesure restreinte nous apparaissent, avec quelque clarté, la croyance de nos pères et les traditions des premiers humains.