Chronique d'un temps si lourd
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Quatre

 

Ils sont quatre donc à être bientôt panthéonisés. Hommage à la Résistance évidemment et si les convenances veulent désormais que l'on fît les choses à parité, il y a entre ces quatre-là plus que des coïncidences ... une fraternité d'âme.

Trois d'entre eux firent partie du réseau dit du Musée de l'homme ce qui désigne assez bien que culture et engagement précoce ne sont pas incompatibles ; ils offriront à la période une figure autrement plus positive que celle de l'intellectuel empoté que Sartre opposera comme prétexte à son inaction.

Au delà même de la Résistance, ce que l'on honore chez eux, où ils se rejoignent surtout, c'est leur formidable capacité à ne rien lâcher, à dire non à l'inacceptable, à rebours radical de tous ces bien-pensants qui auront toujours d'excellentes raisons à avancer pour finasser, s'adapter ou reporter à plus tard la décision qui eût sauvé leur honneur.

La mauvaise foi me ferait presque dire que Hollande est le moins bien placé pour honorer ces rebelles - lui qui ne goûte rien tant que méandres et circonlocutions en quête de ses improbables synthèses.

J'aime Brossolette quand il est capable, candidat à l'agrégation, de récuser un sujet en ne lui consacrant que sept minutes au lieu de l'heure prescrite et contraint le jury à reconnaître son erreur ! Je le reconnais dans son impérieuse rigueur quand il ose adresser à de Gaulle des remontrances qui sont de véritables leçons de métaphysique politique et de n'en pas craindre ni l'ire, ni l'ingratitude :

"Dans ce quelque chose d'impérieux que distingue votre manière et qui amène trop de vos collaborateurs à n'entrer dans votre bureau qu'avec timidité, pour ne pas dire plus, il y a probablement de la grandeur. Mais il s'y trouve, soyez-en sûr, plus de péril encore. Le premier effet en est que, dans votre entourage, les moins bons n'abondent que dans votre sens, que les pires se font une politique de vous flagorner et que les meilleurs cessent de se prêter volontiers à votre entretien. Vous en arrivez ainsi à la situation, reposante au milieu de vos tracas quotidiens, où vous ne rencontrez plus qu'assentiment flatteur. Mais vous savez aussi bien que moi où cette voie a mené d'autres que vous dans l'Histoire, et où elle risque de vous mener vous-même. "Novembre 1942

J'aime Tillon ou Anthonioz-de Gaulle pour ne jamais se laisser abattre et tenter d'organiser la riposte, de s'organiser pour tenir, même dans l'enfer des camps. Et de ne jamais cesser la lutte même après la victoire, parce qu'elles avaient compris que la résistance l'est d'abord à toutes les rationalités complices qui oeuvrent à distendre cette solidarité sans quoi il n'est pas d'humanité possible.

J'aime Zay, qui manquera tant à Mendes-France après-guerre, pour cet enracinement républicain sans faille qui fit de lui, si jeune mais si déterminé, le grand ministre de l'Education du Front Populaire. Suscitant par ses positions tranchées, la haine viscérale de la collaboration, il mourut assassiné par la Milice.

Ces quatre-là n'étaient pas n'importe qui et pourtant -Jean Zay mis à part - n'étaient pas des politiques professionnels, n'étaient pas des premiers couteaux. Ils furent le signe à leur manière si différente que ce n'est pas la position sociale qui fait l'engagement, non plus que la posture politique.

De ces quatre-là on peut écrire qu'ils furent des hommes parce que jamais ils n'acceptèrent de dire on n'y peut rien, c'est dans la force des choses ! Parce qu'ils furent plus fort que la force des choses.

De ces quatre-là on peut dire qu'ils honorent ce qu'il y a de grand dans l'humain, de libre et de moral, parce qu'ils élevèrent la solidarité au rang de principe sur quoi ne jamais céder.

Si c'est ceci que l'on honore, alors la chose n'est pas ridicule.