Chronique d'un temps si lourd
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N'étaient les morts ...

On pourrait se croire en Bordurie ! Un président qui n'a de démocratique que le nom ; un pays où une ancienne premier ministre est en prison ; un accord avec l'Europe qui est rejeté à la dernière minute ; des pressions russes qui ne veut pas voir son ancien vassal tomber dans l'escarcelle européenne ; un peuple enfin qui défile ; s'insurge et qu'à la fin on massacre.

Oui, décidément, ceci vous a un petit côté république d'Europe centrale des années trente ou même d'états balkaniques prompts à l'attentat facile et aux groupuscules d'autant plus agités qu'il demeurera toujours une minorité à fustiger voire persécuter.

Un peuple que l'on finit par massacrer tranquillement sous les objectifs de la presse internationale sans que ceci embarrasse le pouvoir plus que de mesure officielle, juste avant un compromis que l'on s'attend à voir déchirer dans les instants qui suivent ; une Europe qui pour une fois parvient sinon à parler d'une seule voie en tout cas à imposer une solution politique ; une Russie qui maugrée en arrière-plan mais ne bloque pas l'accord comme si le massacre en place publique avait été la ligne qu'il ne fallût pas franchir ...

Mais alors pourquoi ici et là, en Syrie, cette impuissance qui laisse B Al Assad libre de ses exactions ?

Mais quand même ! On aimerait pouvoir applaudir à la victoire de la démocratie ; à l'éviction d'un tyran sanguinaire ... pourtant les choses sont loin d'être aussi simples. Comment oublier que si dans la foule qui aura manifesté et se sera fait tuée, il n'y a pas, et de loin, que des braves gens, ivres de rejoindre le grand paradis de la consommation occidentale ; loin de n'y oeuvrer que des parangons de vertu et de démocratie. Entre le leader de Svoboda, exclu de son groupe parlementaire pour antisémitisme, et se réclamant toujours de l'Organisation des nationalistes ukrainiens, qui a collaboré avec les nazis durant la Seconde Guerre, et celui de Secteur droit qui est à la fois ultranationaliste et organisateur d'un groupe ultra-violent, on ne peut pas dire que les augures sont si favorables que cela. Que ces groupes aient réussi à prendre en main la sécurité puis la défense de la place, risque fort de leur donner demain une aura et un entregent qu'il sera délicat de contourner.

Déchirée entre le géant russe et l'Allemagne depuis le début du XXe, envahie par celle-ci durant les deux guerres, l'Ukraine qui fait néanmoins partie de la zone d'influence russe, qui a été son grenier à blé et peut difficilement ne pas le rester, n'a aucune expérience démocratique sérieuse. Capable d'accueillir les envahisseurs nazis avec ferveur par antisoviétisme acharné, privé de toute autonomie réelle durant toute la période soviétique, elle est minée par des tensions nationalistes fortes d'où ni le racisme ni le fascisme ne sont absents.

Ce pays est au fond la preuve péremptoire de l'échec radical de la période soviétique qui avait cru pouvoir étouffer les tensions nationalistes sous couvert d'internationalisme prolétarien et de dictature musclée. L'URSS effondrée, les nationalismes - autant que les tensions religieuses et les racismes de tout poil - se sont réveillés au prix ici de purification ethnique, là de gouvernements corrompus ; ici de groupuscules de plus en plus agissants dont les programmes ont de quoi faire frémir.

Alors non ! Même s'il est logique et sain de s'offusquer de voir un peuple qui s'éveille massacré sur les lieux même de son éveil ; même si spontanément l'envie saisit de prendre fait et cause pour ce peuple et de se réjouir de voir son tyranneau de président chassé du pouvoir, non, je ne parviens pas tout à fait à me réjouir.

Les loups se cachent tellement bien dans la bergerie !