Elysées 2012

Le monde que nous quittons

Revenir rapidement sur ce qui se cache sous l'écologie tant les controverses furent nombreuses, et pas toujours du meilleur goût ni de la plus grande honnêteté. Tenter aussi de comprendre ce qui se joue, idéologiquement, philosophiquement.

Une polémique indigne Rapports homme / nature Rupture Ecologie politique
      Bibliographie

Quelques questions, quelques pistes

Il n’empêche : la violence est partout, assumée ou subie. Celle qui frappe les femmes, objets enfouis quand il s’agit des vestales, objets échangés quand il s’agit de perpétuer la ville. Celle qui frappe les hommes : la guerre bien sûr qui se répète, qui est l’une des formes, avec l’alliance, de la fondation sans que l’on sache pourquoi tantôt l’on parvient à s’entendre (Enée) tantôt non.

A la recherche des fondements et donc des principes de toute morale, nous ne pouvons pas ne pas constater combien la détestation de la violence accompagne sa généralisation et, notamment, la généralisation de sa représentation. Certes nos fondamentaux, comme on dit désormais, tournent autour de la renonciation à la violence (le Décalogue notamment égrène l’interdit des différentes formes de violence, de l’intention à l’acte, contre le proche autant que contre l’étranger) et il semble bien que nos dispositifs modernes (politiques, juridiques voire psychologiques) visent sinon à la supprimer tout au moins à la canaliser : de l’état moderne qui confisque et monopolise l’exercice de la violence, à la justice qui joue la médiatrice dans les querelles privées, à tous les processus de sublimation qu’une saine thérapeutique mettra en place au nom du principe de précaution. 
Pourtant !

L’état moderne n’est pas nécessairement rempart contre l’exercice de la violence : il peut même en devenir le protagoniste principal, l’instigateur et le promoteur. Ce qu’illustrent tous les totalitarismes et les massacres et/ou génocides qui les accompagnèrent. A l’inverse l’absence d’état, son affaiblissement, notamment dans le cadre d’une économie libérale qui le limite à sa seule sphère régalienne, favorise tellement l’éclosion de violences sinon physiques au moins sociales, qu’il semble fonctionner comme un rempart, insuffisant peut-être, mais indispensable. Coincée en quelque sorte entre le marteau et l’enclume, entre une violence diffuse ou infuse, la morale semble condamnée à prêcher la bonne parole sans être capable de la vraiment faire appliquer.

Pourtant !

Tout à l’air de se passer comme si la violence ne parvenait plus à être contenue, ou que ce qui, via la sublimation, était supposé la cadrer – culture, technique, travail – fût au contraire devenu ce qui l’engendrait ou au moins en démultipliait les effets désastreux. Quand R Girard, reprenant Clausewitz, évoque la montée aux extrêmes, que fait-il d’autre sinon mettre en cause la possibilité même de la canaliser ; sinon douter du travail du négatif ? Sinon laisser entendre que nous nous serions contentés de théoriser cette violence en espérant hypocritement que d’elle pût surgir quelque bien ultérieur ?

Affirmer à propos du rite d’Hercule, que la signification profonde de ce récit mettant en présence Cacus et Hercule, était le changement de logiciel, la substitution au bruit du monde, de l’interprétation des signes et donc le passage du matériel au logiciel, c’était au fond dire que l’on avait déplacé du côté de la théorie ce que nous ne pouvions résoudre du côté de la chose ; pour autant la théorie est-elle violente ? reproduit-elle et engendre-t-elle la violence ? et, partant, une morale ne risque-t-elle pas d’être à son tour une mise en scène de la violence : une catastrophe ?

Or, précisément, nous l’avons déjà suggéré le concept même de violence est vide : à extension maximale, à compréhension nulle, à l’instar du concept d’être, comme s’ils étaient équivalents. Ce qui serait tragique parce que voudrait signifier qu’il n’y aurait pas d’autre manière de cesser d’être violent que de cesser d’être. Impensable, inacceptable ! A penser pourtant. Peut-être dans cette perspective faut-il aller regarder du côté de Lévinas qui très tôt aura affirmé que les philosophies occidentales se seraient fourvoyées d’avoir pris le parti de la connaissance du monde, et donc de la méconnaissance de soi, fruit d’une monstrueuse mégalomanie (ubris) visant non seulement à s’en faire l’égal mais aussi à le dominer. Penser la subjectivité à partir de l’expérience de l’autre, à partir de la responsabilité, serait le moyen dès lors de ne pas surplomber l’existence d’un supplément moral mais de faire de la morale le nœud même de la subjectivité.

Toute la question revient finalement à trois :

Quid de la violence : est-elle naturelle ou culturelle ? on peut poser la question de manière subtile et s’interroger sur sa dimension anthropologique ou historique mais finalement cela revient au même.

Quid du politique et donc en fait de la liberté : ramenée au plus simple, elle suppose un choix possible. Et ce choix semble bien pourvoir être ramené à l’acceptation ou non du combat. Si je ne le puis pas, alors je suis nécessairement soumis : la dialectique, peut-être, ne semble donner raison à l’esclave que pour l’asservir derechef dans la spirale interminable de la lutte.

Quid du monde ? comment penser ce qui m’est radicalement autre, extérieur sans ni le détruire ni le dégrader. Comment me penser face à l’autre qui m’est tout autant extérieur sans le … mais ici encore c’est peut-être se tromper de chemin en optant spontanément pour le versant gnoséologique du problème : ne vaudrait-il pas mieux écrire comment être face à cet être autre… ? C'est-à-dire prendre le problème effectivement du côté de la morale plutôt que de la science.

La question de l’autre

De allos, en grec, qui désigne à la fois l’autre, mais aussi l’étranger, ce qui est différent du réel, et donc le faux ou le mauvais. Tout ce qui est le second élément d’un ensemble, à l’écart, tant le terme suggère la différence dans le temps comme dans l’espace ; ce qui vient après ou ce qui est ailleurs. Tout à fait révélateur en ce sens que le terme latin, alter donnera aussi bien autrui qu’altercation.

Etre c’est l’expérience de l’autre ; or l’expérience (perior) c’est d’abord celui qui a l’habitude, l’art de, qui sait pour en avoir eu la pratique ou la connaissance (peritus) . De cet essai, de cette pratique éprouvée naît aussi bien le danger (periculum) que la connaissance. L’expérience est un truchement, un biais pris (per) qui vous met à l’intersection entre le plein et le vide, l’expertise ou l’échec, la connaissance ou le danger.

La langue fourmille de heurts et de périls, invariablement comme si l’acte par lequel quelque chose existe, c'est-à-dire étymologiquement est posé hors de impliquait nécessairement conflit : isthmi qui signifie placer debout mais aussi demeurer, rester, donnera autant système que le foyer, estia .

Comment être en face de l’autre, rester soi face à l’autre, et le rencontrer ? Double question à la fois du côté de la pensée et de la réalité, à la fois du côté du sujet et de l’objet mais ce serait oublier un peu vite ce que suggérait Heidegger dans l’introduction à la métaphysique : nous ne pouvons pas penser le problème autrement qu’en raison de la manière dont les anciens le pensèrent ; en tout cas nous ne pouvons pas nous dispenser de nous colleter avec celle-ci. Or, d’emblée, elle est toute dominée par Parménide

Τὸ γὰρ αὐτὸ νοεῖν ἐστίν τε καὶ εἶναι Car la pensée est la même chose que l’être

Et, sans doute, par la confrontation avec Héraclite :

Πόλεμος πάντων μὲν πατήρ ἐστι . La guerre est mère de toutes choses, reine de toutes choses, et elle fait apparaître les uns comme dieux, les autres comme hommes, et elle fait les uns libres et les autres esclaves.

Ce semble paraître s’éloigner de la question morale que d’en revenir à cette antique controverse : elle est pourtant cruciale. En réalité, la question morale s’appuie toujours sur une position métaphysique, sur notre rapport à l’être. Avec tous les risques que ceci impose et notamment celui de l’obscurantisme voire de la vacuité.

Risque d’obscurité sans doute, mais mise en perspective d’un être présenté d’abord comme ce qui change, fuit, échappe. Au point même de n’être pas vraiment connaissable. Rien ne s’y répète, tout y est donc toujours insolite, nouveau, autre. Comme une multiplicité d’où aucun standard ne se pourrait dégager, comme une foule chaotique : le désordre même. Si l’altérité a un sens c’est peut-être d’abord celui-ci : ce qui demeure dehors, étrange ou étranger, irréductiblement différent parce que si systématiquement muable qu’il resterait rétif à toute conceptualisation.

Le rapport au monde

A Comte y a vu la loi qui gouverne l’évolution de l’esprit humain – la loi des trois états – on peut aussi se contenter d’y observer une simple cohérence logique ; on pourra toujours y  considérer un phénomène anthropologique. On peut même à l’instar de Spinoza considérer que la tendance fétichiste à tout considérer d’après sa nature propre amène l’homme à envisager le monde comme gouverné par des volontés et à chercher des causes finales à tout ce qu’il ne comprend pas :

les hommes supposent communément que toutes les choses de la nature agissent, comme eux-mêmes, en vue d'une fin, et vont jusqu'à tenir pour certain que Dieu lui-même dirige tout vers une certaine fin ; ils disent, en effet, que Dieu a tout fait en vue de l'homme et qu'il a fait l'homme pour que l'homme lui rendît un culte.

Qu’importe finalement tant ces différentes approches reviennent pour ce qui nous concerne au même : le monde, c’est l’autre, ce en face de quoi je suis et devant quoi je ne puis que me soumettre à moins que je ne parvienne à le soumettre.

Le monde c’est à la fois l’ouverture, la porte de la ville et l’étranger pur : l’obstacle, le problème. Ce qui jaillit devant moi mais qui me protège sitôt que j’avance vers lui ou le revêt. Ce qui perd, ce qui sauve.

Remarquons ensuite que le divin est la forme que revêt notre relation au monde. Sans qu’il faille nécessairement y voir un fait historique, encore moins une quelconque loi de l’histoire, quelque chose de passe néanmoins avec ce que Jaspers appelle la période axiale : bien sûr l’avènement du monothéisme porte en son sein l’universalisme et notamment celui de l’humanité elle-même ; bien sûr le créationnisme porte en son sein l’idée même d’une histoire dont la cohérence résiderait dans l’acte créateur lui-même ; mais surtout, pour la question qui nous concerne ici, la transcendance du divin porte un nouveau rapport au monde.

Tant que les objets du monde étaient divinisés ou que les dieux étaient dans le monde et côtoyaient les hommes, ces derniers ne pouvaient agir qu’en prenant des égards préalables.  Agir sur le monde, le transformer, se saisir des objets et les consommer ou détruire passait nécessairement par une transaction d’avec le divin où le sacrifice avait sa part, mais la mesure également. Sitôt que les dieux auront commencé de délaisser le monde, c'est-à-dire dès le polythéisme grec, où les dieux séjournent à l’écart du monde et n’y font plus que des incursions, le monde semble abandonné aux hommes, au libre cours de leur action. L’église chrétienne ne s’y était pas trompée qui d’emblée vit dans le développement des sciences mais surtout des techniques une offense faite à Dieu : le rapport est effectivement antagoniste . Tout à l’air de se passer comme si l’emprise de l’homme sur le monde dût se payer de l’exil des dieux.

On peut appeler ceci le désenchantement du monde mais ce serait manquer l’essentiel. Il ne s’agit évidemment pas de dire que le déploiement de l’homme dans le monde se paya de l’éviction des dieux, encore moins d’affirmer que celle-ci eut lieu pour que celle-là fût possible : ce serait absurde et de toute façon invérifiable. Mais on peut au moins affirmer que le monde est trop petit pour contenir à la fois les hommes et les dieux.

De la soumission à la négation

Il est de notoriété que la morale antique, trop consciente de la faiblesse de l’homme face à l’immensité du monde préconise plutôt de s’y soumettre. Plutôt changer ses désirs que l’ordre du monde, énonce encore Descartes en guise de morale provisoire, avant de tout bousculer par un désormais possible devenir comme maître et possesseur de la nature que rendraient possible méthode et science. La morale, au fond, ne semble d’abord être que l’état des mœurs, paraît ne se résumer qu’à la tradition transmise à quoi il faudrait se conformer. Cujus regio ejus religio, à chaque territoire, sa loi, ses mythes, ses mœurs à quoi il est bienséant d’obéir. Du Rendre à César ce qui est à César, au se conformer aux lois de son pays dit Descartes tout semble se passer comme si moralité se conjuguait nécessairement à soumission et que ce fût la tradition ou, à défaut, l’avis des sages, qui dût résoudre la question morale c'est-à-dire l’incertitude où je pourrais être.

On peut évidemment y lire la propension conservatrice de toute morale ainsi que sa réticence à toute innovation où il n’est alors pas difficile à l’instar de Nietzsche de lire soit l’abêtissement de toute morale soit sa servilité :

Les mœurs représentent l’expérience acquise par l’humanité antérieure sur ce qu’elle estimait utile ou nuisible – mais le sentiment des mœurs (moralité) ne se rapporte pas à cette expérience en tant que telle, mais à l’antiquité, la sainteté et l’indiscutabilité des mœurs. Ainsi, ce sentiment s’oppose à la naissance de meurs nouvelles et meilleures : elle abêtit.

Mais c’est oublier que les fondateurs sont tous des exilés. Rome est fille lointaine de Troie ; Jérusalem est fille de Thèbes. Nos fondateurs sont de nulle part, n’ont d’autre solution que de tout recommencer. Sauf à considérer que le commencement absolu n’est pas possible et que la fondation semble bien la reprise, lointaine de ce qui fut perdu. Le fondateur n’a pas de monde : bien obligé qu’il est désormais de l’inventer. Derrière Romulus, Hercule un autre exilé. Derrière Hercule, Jupiter ou Mars ?

Allons plus avant encore : Jupiter lui-même  est un exilé qui ne doit sa survie qu’à la complicité de sa mère puis sa victoire qu’à l’élimination de son père Saturne. Un Saturne que l’on retrouvera exilé dans le latium où il participe lointainement, via l’ascendance de Lavinia, épouse d’Enée, à la généalogie de Rome.

Exil que l’on retrouve dans la tradition biblique, évidemment : derrière Moïse, c’est Adam lui même et par lui toute l’humanité que l’on pense comme le grand exilé. Quelque sens que l’on donne à cette expulsion, sanction méritée du péché originel, ou posture ontologique qui empêcherait que l’on puisse se déployer dans la proximité même de Dieu, on observera ainsi que toute fondation suppose exil, se réduit à la perte du monde, de son monde, à l’obsession de le retrouver.

Toute fondation est répétition en même temps que perte. Celui qui fonde, toujours, semble ne pouvoir que réinventer un continent perdu. Toute fondation parce que répétition s’avère être une perte, un doublon nécessairement affaibli de l’original. Une déréliction.

Cette perte du monde peut être lue comme la simple conséquence de la conscience de soi. C’est bien ce qu’entend Hegel, c’est aussi ce que suggère le texte de la Genèse. L’insistance que met le texte biblique à mentionner à propos d’Adam et Eve qu’ils ne se savaient pas être nus et qu’après le péché, ils virent qu’ils étaient nus, suggère bien que cette connaissance du bien et du mal ne vise rien d’autre que la conscience que l’homme a pris de lui-même. Or cette conscience de soi semble totalement incompatible avec la proximité de dieu, de l’origine, de l’être.

Hegel ne dit pas autre chose : sitôt qu’il prend conscience de lui-même l’homme se sent étranger au monde. Il n’est plus seulement du monde, mais devant. Cette conscience, d’emblée, est une conscience malheureuse. Car il ne se peut définir que face à ce monde, comme un sujet face à un objet, comme ce qui est jeté et soumis face à ce qui se présente comme un obstacle, un objet. Autant dire qu’il ne peut s’affirmer face au monde qui le nie, qu’en niant le monde. Relation dialectique dira-t-on, relation polémique d’abord, entièrement gouvernée par Mars. L’homme, ainsi que le suggérait G Bataille ne saurait être qu’un être de la négation : négation double d’ailleurs puisqu’il est contraint de nier en lui l’animalité aussi bien que le monde. Que éducation, morale, religion naissent de la première, technique, travail de la seconde est éloquent.

Ce que suggère Bataille c’est que l’humanité de l’homme se joue dans cette  double négation. La fondation de l’homme est négation. Substitution à la nature d’un monde humain qui fait que sous l’objet, qui peut donner lieu à représentation, il y a l’activité humaine. C’est tout le sujet de la 1e thèse sur Feuerbach , c’est tout l’enjeu de ce que l’on appellera avec les marxistes le matérialisme historique. L’homme s’affirme en s’appropriant le monde : il se le rend propre. Il le marque. Avec l’homme, le monde rentre dans l’histoire. Mais est-ce bien encore le monde ? Ce chemin emprunté est un long détour qui l’entraîne sans doute vers la connaissance de ce monde au travail mais l’éloigne de lui-même en l’amenant invariablement à se nier lui-même. Le prix à payer de la maîtrise du monde semble bien être la méconnaissance de soi.

Ce que semble suggérer l’épisode de Cacus est bien que ce chemin soit désormais sans retour. Au boustrophédon que dessine la ruse de Cacus se substitue le sens d’Evandre ; aux mugissements croisés des bêtes qui se reconnaissent et s’appellent se substitue la parole d’Evandre ; au cri tumultueux de la foule, le signe de reconnaissance de la dignité d’Hercule. Aux cris de vengeance de la foule, la consécration. Partout la substitution : nous n’avons plus affaire à l’objet, mais à la chose ; bientôt à la marchandise.

Mais dans l’affaire l’homme s’est perdu autant que le monde.

La question de la violence

Toute la question reste de savoir si cet antagonisme est violence ou seulement le prix ontologique à payer à l’affirmation de soi.

Telle que la tradition philosophique la pense, la violence est perçue soit comme un fait ontologique, comme la forme même que revêt l’être de l’humain,  soit comme un produit de la présence de l’homme au monde : autre façon de reproduire la tension classique entre les interprétations naturalistes ou historiques.

Remarquons cette répétition de l’exil ; remarquons cette répétition du face à face.

La tradition judaïque s’est attachée à l’empêcher : dieu est à la fois celui qui ne se nomme pas et celui qu’on ne peut voir ni représenter. Il est, il est l’être ! l’ombilic au delà de quoi l’on ne peut remonter, le fondement qu’on ne peut non plus penser. Il y a toujours un tiers exclu : dans le face à face originel entre dieu et Adam, le monde est absent. Le prix à payer de ce face à face c’est l’exil dans le monde. L’homme, face au monde, Dieu se tait ou ne parle que par intermédiaire, sibyllin. Et quand il parle, il est rejeté. La thématique du péché dans la tradition chrétienne donne peut-être un sens à la Passion : elle n’en révèle pas moins une motion de rejet. Le seul moment où Dieu, homme et monde furent présent ensemble se solde par l’éviction du divin. Pour autant que nous avons souligné que le divin renvoyait à notre rapport au monde, l’éviction du divin revient à l’éviction du monde.

Du point de vue de dieu il n’y a qu’une alternative : ou le monde ou l’homme !

Du point de vue de l’homme : ou dieu ou le monde

Du point de vue du monde : ou l’homme ou dieu !

Toute la question reste de savoir si et quand ce qui est négation devient violence. Tous nos modèles théoriques finalement disent la même chose : que l’homme ne peut s’affirmer dans le monde qu’en s’en assurant la suprématie, la domination et que toute la question de la cité, et partant, de la civilisation, est de pouvoir dominer cette négation au moins dans le sens qu’elle soit constructive et non pas destructrice, c'est-à-dire justement pas violente.

Toute la question reste de savoir, comme nous nous sommes complus à le croire, si de cette négation peut sortir quelque chose de positif. La philosophie du progrès la théorie du mal nécessaire en sont des illustrations. Pourtant ! Force est de constater que cette négation est sans frein

Comprenons bien ce que nous sommes en train de faire ici : nous pourrions parfaitement nous contenter d’ajuster quelque modèle managérial mais ce serait en rester à l’espace clos d’une théorie sociale de l’action. Ce serait rater notre cible. Il ne s’agit pas de faire rentrer la morale dans le management au risque d’en faire une triviale technique non plus que d’asséner au management quelque gourmand rappel à l’ordre moral.

Il importe au contraire de se tenir sur la ligne de ce et qui rassemble, ouverts, les deux espaces de la gestion et de la morale. Sans doute G Bataille avait-il raison : l’être de l’homme réside dans la négation : du monde et de lui-même. Il va nous falloir inventer des modèles où cette négation ne soit destructrice ni du monde, ni de nous-même ; où l’affirmation de l’un n’équivaille à la destruction ni de l’un ni de l’autre.

Nos modèles, souvent dialectiques, ont cette foi de croire que le travail du négatif autorise toujours un dépassement : ce n’est sans doute pas un hasard si le concept de violence est de compréhension aussi nulle que celui de valeur, puisqu’ils se recoupent. Tous nos modèles, de Hobbes à Hegel en passant par Hume, Rousseau, voire Marx et Freud, tentent malaisément de tracer cette trajectoire ténue d’une captation de la violence où se jouerait l’avenir de l’homme mais aussi celui de la cité. Mais ce dépassement qui prend des allures de sublimation passe par la ritualisation de la violence, par le monopole de son exercice, certainement pas par sa suppression. Tous nos mythes enterrent des cadavres qu’ils camouflent mal : la violence est partout même si nous l’avons déplacée. En dignes fils des Lumières nous avons appris à croire que de ce travail du négatif devait bien résulter une réconciliation finale. C’est cela qui ne marche pas, ou en quoi nous pouvons nourrir quelques légitimes doutes. Je ne sais pas s’il faut enterrer la dialectique, je sais en tout cas qu’il ne suffira plus de rappeler les fondamentaux de notre humanisme pour nous sortir de notre crise parce qu’elle est métaphysique. Se tenir sur la ligne, c’est traquer cette zone grise, où se rejoignent sciences dures et molles, et qu’à l’instar de la biologie qui ne saurait envisager le vivant hors du milieu où il se déploie,  nous ne saurions envisager à notre tour l’humanisme hors de l’éco-système qui le rend possible. Mais c’est en même temps tenir ce lieu où démocratie, économie, management et philosophie s’enchevêtrent. Nous n’avons fait que déplacer les champs d’application de la violence et je crains qu’elle ne connaisse un développement sans fin que nulle synthèse ne vienne jamais résoudre : nos guerres balaient les champs de bataille et s’offrent sans règle ni limite les oripeaux terroristes qui ne sont jamais que la forme politique de la mondialisation ; nos guerres se veulent économiques et inventent identiquement l’effacement des fronts et des armées pour fantasmer la victoire finale d’un Léviathan abstrait qui ne parvient pas tout à fait à faire oublier la défaite civile.

Enfant des Lumières nous avons peut-être oublié que nous sommes aussi les enfants d’Hiroshima et d’Auschwitz, de cette infernale montée aux extrêmes qui balaie tout sur son passage, vaincus et vainqueurs, champ de bataille et cités.

Je veux former ici un pari, plus pascalien que dialectique : que la montée des périls est une chance, celle d’une refondation.  Comprenons bien que la notion de devoir moral s’oppose résolument à celle de l’adaptation. De ce point de vue rien n’est plus catastrophique que la tendance actuelle à la soumission aux lois du marché, que ce discours pseudo-désidéologisé que ce réalisme en réalité fataliste. Sur la ligne de ce et il y a à la fois rébellion et ouverture.

La question du pouvoir

Elle s’en suit tant il n’est pas de différence essentielle entre le pouvoir que l’on a sur soi ou celui que l’on conquiert sur l’autre. Les mots le disent : tout est affaire de maîtrise. Le maître c’est celui qui fixe la règle chez lui – domus. Dominer c’est en réalité domestiquer qui concerne autant les bêtes que les femmes : damar désigne la femme mariée, celle que l’on a soumise au joug du mariage. Il y a donc bien deux espaces antiques : celui intime qui vous définit, où il faut s’enraciner, qui ne supporte aucun mélange et donc à quoi il faut se soumettre parce qu’il ne support aucune intrusion ; et celui du dehors, étranger, sauvage dont il faut se méfier et qui ne devient acceptable que pour autant qu’on aura placé préalablement des contreforts pour s’en protéger, que pour autant qu’on aura réussi à le conquérir. Il y a un passage qui mène au monde, étroit et dangereux : Mundus était le nom de la porte de Rome, espace profane par quoi on pouvait passer, espace précisément où se tenait Hermès.

Le dominé d’abord c’est celui qui n’a pas de domus, pas d’identité, pas d’enracinement. Ce pourquoi il est esclave. C’est ceci qu’il faut comprendre du monde grec et qui change vraisemblablement tout : loin de l’esprit de conquête latin, et en ceci il se rapproche plutôt du monde juif, le grec ne cherche pas son identité dans un quelconque rapport de force avec le monde mais au contraire de sa proximité d’avec lui, de son enracinement. Ce n’est pas par nature qu’il est fort ou faible, ni d’avoir vaincu ou de l’avoir été, mais simplement d’être de quelque part, une fois entendu que sa domination est limitée à l’espace intime de son foyer.

Rien n’est plus étranger au monde grec que la notion de faute et par voie de conséquence celle de culpabilité : le grec a sa part à charge pour lui de s’en contenter. L’hybris est ainsi la faute à ne pas commettre, celle qui consiste à ne pas se contenter de la part de destin qui vous échoit, d’en vouloir toujours plus. La norme est donc dans la mesure, moira, la part de chacun. De la sorte, revient comme en boomerang, la sanction (Némésis) à qui aurait la tentation d’exagérer. νείμειν  signifie donner la part due mais pour autant la némésis revient à rétablir l’ordre naturel des choses, le juste partage.

On remarquera néanmoins, ici encore, combien nous avons affaire aux relations entre les hommes et non avec le monde : cette relation doit être tempérée, soit, mais elle concerne le politique. D’où ce souci géométrique de la distribution ; d’où le rééquilibrage. Pour autant la relation avec le monde n’est pas envisagée : c’est du côté de Diogène le cynique qu’il faut aller voir.

Voyant un jour un petit garçon qui buvait dans sa main, il prit l’écuelle qu’il avait dans sa besace, et la jeta en disant : « Je suis battu, cet enfant vit plus simplement que moi[13] . » Il jeta de même une autre fois son assiette pour avoir vu de la même façon un jeune garçon qui avait cassé la sienne faire un trou dans son pain pour y mettre ses lentilles.

Il est ici le véritable sens du récit trop connu d’un Diogène demandant à Alexandre de s’écarter de son soleil. Il tient au sens même que revêt l’objet et le rapport que nous entretenons avec lui.

L’objet, dès lors qu’il se met à circuler, s’échange et devient marchandise. Du même coup il traduit la cité. D’une certaine manière, c’est l’objet circulant qui crée l’espace politique. L’objet brut, lui, reste objet de connaissance, de sagesse. (à développer)
Casser son écuelle revient à privilégier la connaissance sur la puissance, la morale sur le politique et c’est bien ainsi que la tradition aura entendu ce récit sitôt qu’on lui aura adjoint le passage sur Alexandre. Ce n’est pas tant qu’il s’agisse ici du conflit classique entre le qualitatif et le quantitatif, entre l’avoir et l’être que du rapport précis à la socialité.

Diogène, qui signifie quand même engendré par dieu, est à l’écart de la cité, chien parmi les chiens mais en même temps n’oublions pas que le chien est le premier animal à avoir été domestiqué. Par un certain côté, compagnon, par un autre parasite car il vit bien des subsides que les passants lui octroient.

 


Le premier qui ayant enclos un terrain s'avisa de dire : Ceci est à moi, et trouva des gens assez simples pour le croire, fut le vrai fondateur de la société civile. Que de crimes, de guerres, de meurtres, que de misères et d'horreurs n'eût point épargnés au genre humain celui qui, arrachant les pieux ou comblant le fossé, eût crié à ses semblables : "Gardez-vous d'écouter cet imposteur ; vous êtes perdus si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne!" Mais il y a grande apparence qu'alors les choses en étaient déjà venues au point de ne plus pouvoir durer comme elles étaient : car cette idée de propriété, dépendant de beaucoup d'idées antérieures qui n'ont pu naître que successivement, ne se forma pas tout d'un coup dans l'esprit humain : il fallut faire bien des progrès, acquérir bien de l'industrie et des lumières, les transmettre et les augmenter d'âge en âge, avant que d'arriver à ce dernier terme de l'état de nature. [...] La métallurgie et l'agriculture furent les deux arts dont l'invention produisit cette grande révolution. Pour le poète, c'est l'or et l'argent, mais pour le philosophe ce sont le fer et le blé qui ont civilisé les hommes, et perdu le genre humain.

Du lat. class. sŏrtῑri « tirer au sort, fixer par le sort, obtenir par le sort » en gén. « obtenir du sort, de la destinée » puis « choisir » (lui-même dér. de sors, v. sort); le développement du sens de « passer du dedans au dehors », propre au fr. et qui a évincé à partir du xvie s. issir*, est difficile à expliquer

Ils étaient jumeaux, et la prérogative de l'âge ne pouvait décider entre eux : ils remettent donc aux divinités tutélaires de ces lieux le soin de désigner, par des augures, celui qui devait donner son nom et des lois à la nouvelle ville, et se retirent, Romulus sur le mont Palatin, Rémus sur l'Aventin, pour y tracer l'enceinte augurale.
(1) Le premier augure fut, dit-on, pour Rémus : c'étaient six vautours ; il venait de l'annoncer, lorsque Romulus en vit le double, et chacun fut salué roi par les siens ; les uns tiraient leur droit de la priorité, les autres du nombre des oiseaux (2) Une querelle s'ensuivit, que leur colère fit dégénérer en combat sanglant ; frappé dans la mêlée, Rémus tomba mort.

Moïse dit à l'Éternel: Ah! Seigneur, je ne suis pas un homme qui ait la parole facile, et ce n'est ni d'hier ni d'avant-hier, ni même depuis que tu parles à ton serviteur; car j'ai la bouche et la langue embarrassées.

 L'Éternel lui dit: Qui a fait la bouche de l'homme? et qui rend muet ou sourd, voyant ou aveugle? N'est-ce pas moi, l'Éternel?
 Va donc, je serai avec ta bouche, et je t'enseignerai ce que tu auras à dire.
 Moïse dit: Ah! Seigneur, envoie qui tu voudras envoyer.
 Alors la colère de l'Éternel s'enflamma contre Moïse, et il dit: N'y a t-il pas ton frère Aaron, le Lévite? Je sais qu'il parlera facilement. Le voici lui-même, qui vient au-devant de toi; et, quand il te verra, il se réjouira dans son coeur.
 Tu lui parleras, et tu mettras les paroles dans sa bouche; et moi, je serai avec ta bouche et avec sa bouche, et je vous enseignerai ce que vous aurez à faire.
 Il parlera pour toi au peuple; il te servira de bouche, et tu tiendras pour lui la place de Dieu.
Ex 4, 11-17

Tite Live Ab urbe condita I, 6

on la retrouve dans l’AT comme dans les Evangiles ! on la retrouve chez Descartes pour illustrer la nécessité du cogito .

avec le même suffixe : problème
προβάλλω «jeter devant; mettre en avant comme argument; proposer (une question, une tâche, etc.

Tite Live I, 7

Marx,  Contribution à la critique de l'économie politique, , Éditions sociales , p 4
qui s’oppose résolument au « Toutes nos spéculations manifestent spontanément une prédilection caractéristique pour les questions les plus insolubles, sur les sujets les plus radicalement inaccessibles à toute investigation décisive. » de Comte dans le Discours sur l’esprit positif

G Bataille, L’érotisme p 79

JP Vernant, Mythe et pensée chez les grecs, La découverte, Paris, 1996, p 162

 Parce que son lot est de trôner, à jamais immobile, au centre de l’espace domestique, Hestia implique, en solidarité et contraste avec elle, le dieu véloce qui règne sur l’étendue du voyageur. A Hestia le dedans, le clos, le fixe, le repli du groupe  humain sur lui-même ; à Hermès, le dehors, l’ouverture, la mobilité, le contact avec l’autre que soi. On peut dire que le couple Hermès-Hestia exprime, dans sa polarité, la tension qui se marque dans la représentation archaïque de l’espace : l’espace exige un centre, un point fixe, à valeur privilégiée, à partir duquel on puisse orienter et définir des directions, toutes différentes qualitativement ; mais l’espace se présente en même temps comme lieu du mouvement, ce qui implique une possibilité de transition et de passage, de n’importe quel point à un autre.
Ibid., p 159

Ibid., p 190

La cité était une confédération. C'est pour cela qu'elle fut obligée, au moins pendant plusieurs siècles, de respecter l'indépendance religieuse et civile des tribus, des curies et des familles, et qu'elle n'eut pas d'abord le droit d'intervenir dans les affaires particulières de chacun de ces petits corps. Elle n'avait rien à voir dans l'intérieur d'une famille ; elle n'était pas juge de ce qui s'y passait ; elle laissait au père le droit et le devoir de juger sa femme, son fils, son client. C'est pour cette raison que le droit privé, qui avait été fixé à l'époque de l'isolement des familles, a pu subsister dans les cités et n'a été modifié que fort tard Fustel de Coulanges, La Cité Antique, la cité se forme

Livre III

Levi-Strauss, Race et histoire
L’attitude la plus ancienne et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques solides puisqu’elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles: morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous nous identifions.

R Caillois, l’homme et le sacré, 1950

« l’un des rocs humains sur lesquels sont bâties nos sociétés » M Mauss, Essai sur le don p 148

Plutarque : « Mais, si c’est pour nous que vous combattez, emmenez-nous avec vos gendres et vos petits-fils ; rendez-nous nos pères et nos proches, sans nous priver de nos maris et de nos enfants. Nous vous en conjurons, épargnez-nous un second esclavage. »

Parménide

fragment 53, Hippolyte de Rome, Réfutation de toutes les hérésies, IX, 9, 4

Spinoza Ethique, Livre I Appendice trad Appuhn GF

[La forme antagonie est composée du gr. άντα « face à face, contre (idée d'hostilité) » et ἀγωνία « lutte »

Nietzsche, Aurore, § 19

Je pose en principe un fait peu contestable: que l'homme est l'animal qui n'accepte pas simplement le donné naturel, qui le nie. Il change ainsi le monde extérieur naturel, il en tire des outils et des objets fabriqués qui composent un monde nouveau, le monde humain. L'homme parallèlement se nie lui-même, il s'éduque, il refuse par exemple de donner à la satisfaction de ses besoins animaux ce cours libre, auquel l'animal n'apporte pas de réserve. Il est nécessaire encore d'accorder que les deux négations que, d'une part, l'homme fait du monde donné et, d'autre part, de sa propre animalité, sont liées. Il ne nous appartient pas de donner une priorité à l'une ou à l'autre, de chercher si l'éducation (qui apparaît sous la forme des interdits religieux) est la conséquence du travail, ou le travail la conséquence d'une mutation morale. Mais en tant qu'il y a homme, il y a d'une part travail et de l'autre négation par interdits de l'animalité de l'homme.

Le principal défaut, jusqu'ici, du matérialisme de tous les philosophes – y compris celui de Feuerbach est que l'objet, la réalité, le monde sensible n'y sont saisis que sous la forme d'objet ou d'intuition, mais non en tant qu'activité humaine concrète, en tant que pratique, de façon non subjective. C'est ce qui explique pourquoi l'aspect actif fut développé par l'idéalisme, en opposition au matérialisme, — mais seulement abstraitement, car l'idéalisme ne connaît naturellement pas l'activité réelle, concrète, comme telle. Feuerbach veut des objets concrets, réellement distincts des objets de la pensée; mais il ne considère pas l'activité humaine elle-même en tant qu'activité objective. C'est pourquoi dans l'Essence du christianisme, il ne considère comme authentiquement humaine que l'activité théorique, tandis que la pratique n'est saisie et fixée par lui que dans sa manifestation juive sordide. C'est pourquoi il ne comprend pas l'importance de l'activité "révolutionnaire", de l'activité "pratique-critique".

G Bachelard, Formation de l’esprit scientifique Vrin 1999, §1

F Jacob La logique du vivant P 22

Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, chap. I, § 1

Tous les bons esprits répètent depuis Bacon, qu’il n’y a de connaissances réelles que celles qui reposent sur des faits observés. Cette maxime fondamentale est évidemment incontestable si on l’applique, comme il convient, à l’état viril de notre intelligence. Mais, en se reportant à la formation de nos connaissances, il n’en est pas moins certain que l’esprit humain, dans son état primitif, ne pouvait ni ne devait penser ainsi. Car, si d’un côté, toute théorie positive doit nécessairement être fondée sur les observations, il est également sensible, d’un autre côté, que, pour se livrer à l’observation, notre esprit a besoin d’une théorie quelconque. Si, en contemplant les phénomènes, nous ne les rattachions point immédiatement à quelques principes, non seulement il nous serait impossible de combiner ces observations isolées, et, par conséquent, d’en tirer aucun fruit, mais nous serions même entièrement incapables de les retenir; et, le plus souvent, les faits resteraient inaperçus à nos yeux.
Ainsi, pressé entre la nécessité d’observer pour se former des théories réelles et la nécessité non moins impérieuse de se créer des théories quelconques pour se livrer à des observations suivies, l’esprit humain, à sa naissance, se trouverait enfermé dans un cercle vicieux dont il n’aurait eu aucun moyen de sortir, s’il ne se fût heureusement ouvert une issue naturelle par le développement spontané des conceptions théologiques qui ont présenté un point de ralliement à ses efforts, et fourni un aliment à son activité.
Cours de philosophie positive, I, p 63

Le jeu des possibles, Avant propos p 11 et 12, 1986

C. Cohen Tannoudji « Redynamisons la recherche », paru dans Le Monde du 13 janvier 2004 :

« Cette phrase : " la science ne pense pas ", qui a fait tant de bruit lorsque je l'ai prononcée signifie : la science ne se meut pas dans la dimension de la philosophie. Mais, sans le savoir elle se rattache à cette dimension. Par exemple : la physique se meut dans l'espace et le temps et le mouvement. La science en tant que science ne peut pas décider de ce qu'est le mouvement, l'espace, le temps. La science ne pense donc pas, elle ne peut même pas penser dans ce sens avec ses méthodes. Je ne peux pas dire par exemple avec les méthodes de la physique, ce qu'est la physique. Ce qu'est la physique, je ne peux que le penser à la manière d'une interrogation philosophique. La phrase: « la science ne pense pas» n'est pas un reproche, mais c'est une simple constatation de la structure interne de la science : c'est le propre de son essence que, d'une part, elle dépend de ce que la philosophie pense, mais que d'autre part, elle oublie elle-même et néglige ce qui exige là d'être pensé ». Heidegger

Contrairement à ce que l’on croit souvent, l'important dans la science, c’est autant l’esprit que le produit. C’est autant l’ouverture, la primauté de la critique, la soumission à l’imprévu, si contrariant soit-il, que le résultat, si nouveau soit-il.

posant qu’il existe deux types de représentations de la réalité façonnées par deux formes de langage différents : le langage digitale et le langage analogique. Le première correspond au langage verbal et relève de l’induction, de la logique, du factuel et de l’analytique. Le second se définit par la pensée muette, l’anticipation, les approches holistiques, et conceptuelles. Il procède par analogies comme les métaphores ou toutes les formes de communication artistique, ou encore par l’action-expérience (Williams,1997).
M brasseur

La Rome chrétienne

Rupture

Où tous les observateurs s'accordent tient à une véritable révolution de civilisation, entamée sans doute il y a longtemps mais qui devient patente, cruciale :

- nous avons perdu le monde. (8) Et ceci peut s'observer non seulement par la sur-urbanisation de l'humanité mais par la quasi-disparition des agriculteurs. Serres n'avait pas tort quand il soulignait déjà en 92 dans le Contrat naturel combien nous nous préoccupâmes plus d'organiser nos relations humaines que nous ne pensâmes notre relation avec le monde. Ce qu'il illustrait malicieusement avec ce tableau de Goya où, nets sont les protagonistes de la lutte mais si flou le contexte : le monde. Mais une perte aggravée par un secteur agro-alimentaire sur-industrialisé, par l'effacement de l'espace comme du temps produit par la mondialisation.

- la nature est entrée dans l'histoire (9) :pour la première fois, les effets de notre propre développement sur la nature rejaillissent sur nous par un prodigieux effet de feed-backd'autant plus insistant qu'il est crucial, imminent et d'importance. Ce qui, dans les récits bibliques pouvait nous paraître absurde et si évidemment superstitieux (la sanction de l'homme par le monde ) est en train de devenir réalité.

Autant dire que, à condition d'éviter une eschatologie trop sulfureuse, ce que revendiquent précisément des gens comme Cohn-Bendit, mais aussi Morin mais encore Serres, mais pas Girard, effectivement, il appartient effectivement à l'écologie, mais au fond à l'ensemble de nos sociétés d'inventer une écologie politique, c'est-à-dire un projet politique et économique qui à la fois ne remette en question ni l'homme, ni sa liberté, ni sa capacité de se développer mais en même temps propose, mette en place un modèle économique qui préserve l'environnement : le développement durable ?

Ecologie politique


F Guattari : Pour une refondation des pratiques sociales

Pour une mutation écologique et solidaire Orientations du projet Europe Ecologie – Les Verts 2012 :

Colloque Où va le monde ?


1) c'est le cas pour E Morin, Serres. Ce l'est, en tout cas pour les écologistes et dans ce qu'on appelle la gauche radicale.

2) Die Philosophen haben die Welt nur verschieden interpretirt; es kommt aber darauf an, sie zu verändern.
Les philosophes n'ont fait qu'interpréter le monde de différentes manières, ce qui importe c'est de le transformer.

Le contrat naturel de M Serres est paru à la même époque

3) dans la seconde partie de cette conférence

4) Manifeste du PC 1848

5) On relira avec intérêt cet entretien avec E Morin

mais aussi : Entretien Ferry Cohn Bendit (2009)

La pensée occidentale ne sait opérer que par disjonction ou par réduction. Descartes, qui voulait que l'homme soit « comme maître et possesseur de la nature », opère la disjonction entre la science et la philosophie, ce qui aboutira à cette séparation entre le monde des humanités et celui de la technique. Après avoir mis Dieu au chômage technologique, l'homme s'est octroyé le droit de dominer la nature. Cette prétention s'est effondrée récemment. D'une part, parce que cette volonté de maîtriser le vivant se retourne contre nous ; d'autre part, parce que la Terre nous apparaît comme une minuscule planète d'un système solaire lui-même périphérique dans un cosmos gigantesque.
Il faut dire aussi que le christianisme, qui nous a façonnés, est une religion ouverte sur l'humain avec ces valeurs cardinales que sont la charité et l'amour, mais fermée à la nature et au monde animal. À l'opposé, le bouddhisme immerge l'humain dans le cycle des reproductions du monde vivant. La compassion du Bouddha s'adresse à toutes les souffrances. Nous sommes donc également marqués par l'empreinte chrétienne de notre civilisation qui ignore notre relation ombilicale à la nature. Il n'est possible de nous affranchir de cette lourde charge à la fois religieuse et techniciste que par une réforme de notre mode de pensée.
entretien Morin/ Hulot Philo Magazine

6) Maurras : lire

sur le site dédié à Maurras un historique de l'Action Française

7) on trouvera ici texte de Elisabeth Hardouin-Fugier sur la protection animalière sous le nazisme

on trouvera par ailleurs une série d'articles critique de Ferry par le courant même qu'il aura dénoncé

8) Michel Serres lire

9) lire

10) sur l'écologie politique lire J Zin mais aussi JP Deléage



Ecologie : quelle politique ? par franceculture 


Clement Gilles, L'homme symbiotique par centrepompidou