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Raspoutine : une mort prématurément annoncée ...

 

Curieux article que celui de l'Humanité de ce 15 juillet annonçant la mort de Raspoutine. Si celui-ci fut effectivement victime alors d'un attentat, il survécut néanmoins enflant encore la légende de ses pouvoirs.

Il mourra en réalité en 1916, victime encore d'un attentat mais cette fois-ci perpétré non par une illuminée quelconque mais au sein même de la Cour. C'est en tout cas l'occasion de revenir sur ce personnage étonnant.

Personnage trouble, assurément, qui aura frayé avec toute ce que la Russie pouvait alors sécréter de sectes mystiques, flagellantes et guérisseuses, hésité longtemps entre sa réalité de paysan et ses crises mystiques qui l'entrainent en de long pèlerinages, il finit, on le sait, par entrer à la Cour où la fascination qu'il exerçait de son regard trouble, perçant ou hypnotique, ses allures de guérisseur et ses saillies prophétiques firent croire à la tsarine, notamment, mais à Nicolas II également, que la survie du tsarévitch, hémophile comme on sait et d'autant plus fragile dépendait de lui. L'emprise qu'il exerça ne pouvait à la longue qu'attiser les haines et les convoitises. Elles le perdirent. Mais si tard. Il fut en tout cas révélateur à sa façon de la réalité russe :

- celle d'abord de la Russie elle-même en train de se moderniser mais de manière à la fois chaotique, précipitée et très contrastée dessinant dans ce vaste pays des régions industrielles en même temps que de vastes contrées non seulement paysannes mais où dominait surtout un servage qui n'avait pas vraiment été éradiqué

- celle ensuite d'une religiosité forte, dominée par une église orthodoxe qui tient ses paysans mais tout aussi bien la classe dirigeante

- celle d'une cour totalement réactionnaire qui n'a rien compris à ce qui s'était passé en 1905 et crut sans barguigner pouvoir en revenir au statu quo ante. Une cour en tout cas totalement coupée de la réalité qui était en train de radicalement changer , mais du peuple aussi qui quoique divers était traversé par des tensions et des aspirations qui n'avaient plus rien à voir avec les phantasmes de la Grande Russie.

- celle d'un empereur au sens politique plutôt limité, plutôt candide pour ne pas dire naïf et qui, en tout cas, flattera aisément tout ceux qui l'enjoignent de restaurer la Russie éternelle.

L'histoire regorge de ces Comte de Cagliostro et autre Nostradamus faits pour entretenir la légende.

Personnage trouble, pervers sans aucun doute, totalement débauché inventant le retour à Dieu via le péché, au regard que la chronique dit insoutenable mais dont il jouait avec une indéniable maestria, il cumule sur cette tête hirsute digne des imaginaires barbares, les rôles de mage, de guérisseur, de moine mystique, de prophète en même temps que de courtisan accompli. Et pourtant, à regarder les photos de lui, quoi d'autre qu'un visage émacié qu'encadrent un cheveu gras, filasse et une barbe aussi brouillonne que répugnante ?

Que la légende se fût poursuivie jusqu'autour de sa mort n'a rien d'étonnant et en surajoute - notamment pour ce qui concerne ce corps qu'on eût brûlé mais qui ne se serait pas consumé ou encore sur la prédiction qu'il eût faite de la fin de la couronne - sur ce mélange invraisemblable d'irrationnalité, de religion, de prophétie messianique ...

Quel étrange allié que se seront donné la France et le Royaume-Uni, en tout cas !

Signe qu'en politique, et notamment étrangère, il ne faut pas être trop regardant.