Il y a 100 ans ....
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S'informer

 

Frappant de voir dans ces photos, comment la foule parisienne s'affaire autour des journaux : c'est logique pour deux raisons puisqu'après tout la guerre est bien cette configuration particulière où subitement la politique générale envahit tout l'espace privé et où nul ne peut donc plus dire, quand même il se vanterait de ne pas s'y intéresser, que ceci ne le regarde pas. Puisque aussi bien, la presse depuis la République de 1881 était libre et suscitait un engouement tout particulier. Ainsi, en 14, la presse française se montait à 6 millions de tirages pour 39 millions d’habitants. Ses « quatre grands » journaux nationaux : Le Petit Parisien, Le Petit Journal, Le Matin et Le Journal, assuraient à eux seuls 40 % du tirage des quotidiens. Engouement au moins urbain pour la chose publique, assurément, l'âge d'or de la presse française se situe bien dans cette période. Qu'il fût amplifié par la gravité des événements durant ces premiers mois de la guerre et surtout cette fin août où les allemands aux portes de Paris suscitèrent l'angoisse des grands cataclysmes qu'aura bien du accroître le gouvernement parti en toute discrétion pour Bordeaux dans cette nuit du 2 septembre.

Ces jours-là, oui, ne purent qu'être d'effroi ce qu'illustrent ces photos de places vides qui ne retrouveront leur agitation habituelle qu'après la victoire de la bataille de la Marne. Ces jours d'Août, de ferveur initiale et de crainte mêlés, donneront vite à Paris l'allure d'une forteresse assiégée et mal défendue, d'un piège qui pouvait très vite - trop vite - se refermer. Le cauchemar de 1870 parut subitement se reproduire et le souvenir de la chambre et du gouvernement de Bordeaux en appelant à l'armistice dès janvier 71, ce dont les plus anciens durent bien se rappeler avec amertume, commençait à s'y méprendre à ressembler à l'image de ce gouvernement fuyant au soir tombé.... Ce ne sera pas la dernière fois, on le sait : les guerres avec l'Allemagne commencent toujours très vite, très fort - et mal. Et cette république qui commença à Bordeaux finira à Bordeaux, dans la honte et le déshonneur.

Souvenirs étranges et controversés sans doute : détestables pour la défaite qu'ils avaient préparée et la perte de l'Alsace-Lorraine qu'ils auront annoncée. Détestables encore pour la guerre civile qu'aux yeux de la majorité d'alors signifiait la Commune de Paris. Mais tellement prometteurs en même temps pour ce qu'ils signifieront l'achèvement du Second Empire et l'installation durable d'une République, bourgeoise certes mais qui sera quand même la grande revanche de 1815. Mais glorieux et tristes encore pour ces communards, qui survécurent et parfois, tel Vaillant, bénéficièrent d'une amnistie et rentrèrent après des années de bannissement ou de bagne ; qui conservèrent vivante la mémoire de cette ultime grande Révolution, manquée peut-être, mais tellement prometteuse d'un socialisme dont on n'aura cessé d'espérer, d'annoncer et de préparer l'augure.

Oui s'informer parce que son sort en dépendait ; mais sans doute aussi parce que depuis un siècle, sinon les français, les parisiens en tout cas, pour avoir fait et bouleversé l'histoire, nourrirent une passion longtemps vivace pour la chose publique, pour la politique.

On se gausse aujourd'hui de nos médias si rapides, pour l'instantanéité qu'ils autorisent : mais ont-ils rien inventé vraiment, sinon la multiplication des supports où la trouver ? La presse parisienne multipliait alors les éditions, capable en si peu de temps de changer ses unes et d'informer ses lecteurs ; et, rivalisant d'ingéniosité, offrait à l'avide curiosité et inquiétude des parisiens, cartes en grandeur nature actualisées autant que nécessaire qu'on disposa aux grands carrefours.

Il suffit de voir cette nuée de couvre-chefs avidement agglutinés devant cette carte des opérations que l'homme juché sur son échelle met à jour à mesure des nouvelles provenant du front, pour deviner cette passion si française pour l'information, certes, mais en même temps, en ces derniers jours d'Août l'anxiété palpable ... ils étaient si proches. Après quelques timides percées en Alsace, la suite des opérations se révélera catastrophique au point que les Allemands, franchissant bientôt la Marne, furent à moins de 50 km de Paris, laissé sans défense vraiment efficace. Il faudra l'habileté de Galliéni, et la rage du désespoir pour que la Marne finisse par être une victoire ... Pouvait-on alors deviner que cela se payerait de quatre années d'enlisement ?

Mais en même temps que le retour de l'espoir, en même temps que les paroles lénifiantes, et la bravoure entretenue d'un Galliéni ou d'un Joffre, le retour d'une revenante, inattendue, que l'on avait oubliée depuis les heures noires de la Monarchie de Juillet et du second empire : Madame Anastasie...

Deux lois y pourvurent : celles du 9 août 1849 sur l’état de siège et du 5 août 1914 sur les indiscrétions de presse en temps de guerre. Par la première, l’autorité militaire a des attributions en matière judiciaire et de police (interdiction des réunions, des publications de nature à troubler l’ordre public) ; la seconde conduit à l’interdiction d’un certain nombre d’informations militaires (conduite des opérations, pertes) et diplomatiques (buts de guerre, négociations avec les neutres pour les rallier, critiques des régimes des alliés). Les patrons de presse s'y soumirent, nolens volens et s'engagèrent à entretenir le sentiment national : on espérait ainsi éviter saisie, suspension voire interdiction de paraître. À Paris, les journaux ne peuvent plus être criés sur la voir publique par les vendeurs ambulants, et les manchettes sont interdites à la une pour éviter d’inquiéter la population parisienne. L'inquiétude passée, la méfiance viendra et il ne faudra pas longtemps pour qu'on soupçonne derrière les communiqués glorieux ou les silences étranges ce qu'on ne tardera plus à appeler bourrage de crâne.

L'âge d'or de la presse parisienne n'y survivra pas : progressivement les parisiens s'en détacheront, à mesure qu'elle leur semblera de plus en plus conformiste, obséquieuse et pour tout dire très droitière.

Viendront demain d'autres médias qui achèveront le cycle...

 


1) voir aussi ces trois autres : a b c