Il y a 100 ans ....
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Transition ....

A propos de cette photo de février 1914 représentant des postiers faisant grève officieuse - ils n'ont pas le droit de grève comme aucun des fonctionnaires d'ailleurs ...

Les quatre regardent l'objectif : ils ont compris depuis longtemps que c'est la presse qui donnera sens et éventuellement impact à leur démarche : l'événement existe s'il est relaté. On remarquera néanmoins qu'il en est un qui reste stoïque, en son port altier, et fixe son regard droit devant lui ne s'autorisant à être perturbé par rien : c'est le cocher du fiacre ; le chauffeur de taxi !

C'est que 14 achève la grande transition qui verra disparaître progressivement les chevaux au profit des taxis automobiles. Il y en avait à peu près 8000 en 1890 ; ils ne sont plus que 1500 sur les 10000 taxis parisiens en 14.

Renault a réussi son coup : son modèle l'AG1, avant de connaître son heure de gloire en septembre 14, sera utilisé par toutes les compagnies. Le « Mercure de France » du 15 février 1922 annoncera avec nostalgie la disparition du dernier fiacre à cheval de la capitale.Il aura fallu moins de vingt ans pour que l'automobile éclipse le cheval.

C'est à peu près la même observation que l'on a pu faire de ce qui était en train de se passer dans les campagnes où le tracteur lentement va remplacer l'animal. C'est encore ce que l'on observera dans les premiers jours de la guerre.

Les photos sont nombreuses qui donnent à voir l'agitation autour de la réquisition des chevaux et l'on verra encore dans les premières batailles de septembre l'artillerie tirée par des chevaux, parfois même des boeufs. La cavalerie est encore une arme à part entière !

Progressivement voitures, camion et bientôt chars remplaceront l'animal.

Et .... au moins dans la mythologie de ces premiers jours de septembre 14, les taxis de Renault sauveront la France !

Il ne s'agit pas de jeter un regard nostalgique sur cette période ; mais de remarquer que si les guerres assurément précipitent les mutations et parfois les provoquent, d'autres les précédèrent sans conteste - et ceci en est une.

Ce n'est pas seulement la disparition en moins d'un siècle de l'agriculture à quoi l'on assistera, c'est aussi et sans doute d'abord, la disparition progressive de l'animal dans les villes. Notamment du cheval. Au centre de toute notre histoire, il va bientôt n'être plus qu'un loisir dominical pour bourgeois en mal d'émotions et pour prolétaires en mal de jeux ! Chiens et chats, compagnons misérables de nos solitudes urbaines les remplaceront bientôt.

L'homme occupant exclusif de son espace est seul désormais ! il le restera.

Il m'arrive de penser que le grand changement métaphysique de la modernité réside en ceci : seul de son espèce, ayant éliminé dieux et bêtes, l'homme n'a plus d'autre à qui s'adresser et y perd le prix du vivant.