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Vienne ... une fabuleuse occasion manquée

Ici encore il faut regarder les cartes : celle de l'empire austro-hongrois parle sans qu'on l'y invite et cela presque tout d'un seul tenant. Cet empire si vieux mais en même temps si récent dans sa forme de 1914. Prenant en 1867 la succession de l'Empire d'Autriche (1804), il consacre d'un côté la longue présence des Habsbourg en europe centrale, mais aussi l'existence du Royaume de Hongrie. Avec cette figure originale de la double monarchie, l'Empire est tout sauf une figure centralisée et homogène mais la tentative finalement ratée de faire vivre dans le même ensemble politique des populations très diverses. Conséquence de Sadowa, truchement trouvé pour continuer à exister face à une Prusse qui lui contestait de plus en plus abruptement le leadership allemand, L'Autriche ne s'est finalement jamais remise de l'épopée napoléonienne dont elle sortit peut-être vainqueur mais qui lui fit perdre l'aura tant historique que symbolique de l'Empire romain germanique. Sadowa lui donna le coup de grâce !

En réalité si la partie autrichienne de l'autriche avait une structure presque fédérale avec marges de manoeuvres pour les pouvoirs locaux, ce fut loin d'être le cas pour le royaume de Hongrie qui réserva toute son attention aux magyars !

Occasion ratée parce que cet ensemble politique inventé pour sauver la mise après une défaite, aurait pu être l'occasion rêvée d'une combinaison qui dépassât la question des nationalités qui empoisonnait l'Europe. Ce ne fut pas le cas et très vite, la phobie du Rom, du slave allait l'emporter et allait dresser Roumains, slaves et italiens contre la dynastie des Habsbourg. L'occasion en 18 sera trop bonne : avant même les Traités, la Hongrie fit sécession.

Il suffit néanmoins de lire ceux des écrivains, des intellectuels qui vécurent à Vienne avant 14, pour réaliser, au delà de la nostalgie inévitable, le puissant vivier culturel que cet espace présentait ; cet espace de liberté ouvert même aux juifs. Hermann Broch, Sigmund Freud, Karl Kraus, Gustav Mahler, Karl Popper, Joseph Roth, Arthur Schnitzler, Arnold Schönberg, Otto Weininger et Stefan Zweig firent les heures de gloire de cette ville.

La question des nationalités allait empoisonner pour longtemps l'histoire européenne et serait l'occasion et le prétexte des premiers coups de butoir d'Hitler en Autriche, précisément, Tchécoslovaquie et Pologne.

C'est la seconde leçon à tirer des cartes : l'Europe centrale est encore loin d'être stabilisée et chacun pour son compte, dans le monde germanique, courut après le rêve d'un État Nation solide dont le modèle restait la France ou le Royaume-Uni. On ne joue pas impunément avec les cartes. Au nom du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, au nom de l'auto-détermination, on tracera à la serpe des frontières qui obligèrent les populations à se déplacer, le plus souvent chassées par des pouvoirs ivres sinon de pureté en tout cas d'homogénéité ethnique. Cette mosaïque de peuples aurait pu être le ferment d'une dynamique forte ; elle fut, faute de volonté mais faute aussi d'une philosophie politique qui le rendit acceptable, le fossoyeur de l'Autriche.

On aura voulu successivement à Vienne en 1815 ; après Sadowa en 1867 ; après Versailles, en 1919 faire entrer les peuples dans les cases que les traités leur avaient réservées : on le paiera cher. Or ces grand empires tenaient plus de leurs monarques et de leurs rapports de force politique que de leurs peuples.

Rien n'est plus éclairant à ce titre que cette photo du début du siècle où l'on peut voir réunis autour de la grand-mère de l'Europe, à la fois Guillaume II, Nicolas II et le futur Georges VII. Certes, les liens familiaux ne furent pas suffisants pour empêcher quelque guerre que ce soit, mais ce serait une illusion rétrospective que d'interpréter les alliances et les conflits avec le seul critère de la Nation qui n'avait pas, ne pouvait avoir, le sens que nous lui réservons aujourd'hui. Pour l'heure, si l'on s'essaie ça et là aux ferveurs patriotiques au gré de panslavisme ou de pangermanisme, comment oublier que le nationalisme revêt plutôt connotation négative pour chacun de ces états fraîchement constitués car il désigne d'abord les troubles et les menaces de minorités aisément irrédentistes ne cherchant qu'à affaiblir le pouvoir central et conquérir leurs indépendances.

Ce rêve fou de nations fondées sur le sang, l'Europe l'allait payer cher. Guillaume II força le trait de son pouvoir autoritaire croyant par ce biais assurer l'unité de l'Empire ; François-Joseph trop autrichien pour comprendre ce qui se jouait dans la partie hongroise de son empire échoua à le fédérer.

On ne marche décidément jamais impunément contre les cartes : ces États n'avaient ni l'histoire ni les population pour assouvir leurs rêves d'hégémonie et d'unité. Avec la République, et quoique depuis longtemps l'Etat coïncidât avec la Nation, la France se pensa comme un plébiscite de chaque instant, comme un contrat que l'on engage et honore volontairement. Elle était entrée, de plain pied dans l'histoire en faisant abstraction des peuples, des ethnies et des races ; en inventant le citoyen. N'étaient l'incapacité de dépasser les cadres intellectuels d'une aristocratie déjà dépassée ; la prodigieuse disparité du développement économique de l'Empire entre sa partie occidentale et allemande et sa partie hongroise sans doute l'Autriche eût-elle pu réussir son pari, et contre-balancer l'influence encombrante du grand cousin du Nord.

Ce qui est sûr en tout cas, c'est qu'avec son démembrement après 18, manquera un pion dans l'échiquier géopolitique. La Russie pour un long moment exclue par sa révolution, ne restera rien pour limiter l'influence d'une Allemagne d'autant plus dangereuse qu'elle ne trouvera plus personne en Europe Centrale pour lui contester son appétit de revanche. Avec Wilson, l'illusion de peuples reconnus n'allait pas durer longtemps.

A sa façon, l'Autriche avait tenté la synthèse qui faisait d'elle le plus latin des germains. Cette synthèse manque !

Manque toujours !