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Sur les causes immédiates 2

Structures politiques et place de l'armée

On peut hésiter à les classer dans les causes immédiates ou profondes : en réalité selon l'angle où l'on se place, elle relèvent vraisemblablement des deux registres. Car il y a bien deux aspects à la question : le régime institutionnel et la distribution des pouvoirs.

La France de 14 n'est de loin plus celle de 70 ou même de la période antérieure. Si depuis 1789 elle a eu difficulté à se trouver un équilibre institutionnel qui fait d'elle encore aujourd'hui le champion du monde toute catégorie de constitutions sinon appliquées en tout cas votées, enchaînant à allure trop rapide république, empire, restauration sous l'égide de coups d'état ou de révolution voire de guerre civile ; si par ailleurs elle aura longtemps été l'enfant turbulent de l'Europe, bouleversant tout sur son passage - notamment dans la période napoléonienne - elle semble bien depuis 1872 s'être trouvée un équilibre et un consensus sous l'égide de la République. Et, justement, pas de l'armée.

Certes la stabilité gouvernementale n'est pas son fort ; certes elle est isolée en Europe au milieu d'empires autoritaires mais elle s'est assez vite remise de sa défaite, n'éprouva pas trop de mal à payer les réparations et sut se ménager assez d'alliances pour se constituer en Afrique et en Asie un empire colonial qui lui assure de nouveau sa place dans le rang des grandes puissances.

En dépit de ses tergiversations - Ferry ne tomba-t-il pas deux fois en 81 et en 83 sur sa politique coloniale sur laquelle personne pourtant ne revint - en dépit de ses crises institutionnelles - Boulanger puis Dreyfus - la République avait réussi deux exploits qui avaient tant manqué auparavant :

- apparaître comme un régime d'ordre quand toutes les expériences antérieures attestèrent plutôt du contraire. Avoir su en finir avec la guerre et honorer les clauses du Traité de Francfort, avoir su en finir avec la Commune - même avec une extrême violence - et parvenir néanmoins à un consensus politique lui ralliera très vite une majorité qui en 1870 était loin de lui être acquise, mais qui est dès 73 suffisamment forte pour reléguer monarchistes et bonapartistes au magasin des accessoires nostalgiques et désuets.

- non seulement se rallier une armée, certes affaiblie par la défaite mais largement anti-républicaine, mais en faire l'instrument de sa politique internationale en imposant - dogme républicain - la prééminence du politique sur le militaire. Toutes les tentatives de l'armée pour recouvrer sa prééminence se solderont par un échec et même s'il est exact qu'elle n'a pas de tradition putschiste en France, on ne saurait négliger ni Boulanger ni surtout l'Affaire Dreyfus. Effectivement, indépendamment de son aspect politique, la relégation des extrêmes et de l'antisémitisme politique notamment, il ne faut pas oublier que la défaite des dreyfusards signifia aussi celle d'une armée n'entendant obéir qu'à ses propres chefs, règles et lois. Le primat du politique sur le militaire ne sera plus démenti.

On n'a pas assez remarqué qu'il ne fut nul besoin de suspendre les institutions républicaines durant la guerre et notamment pas le contrôle parlementaire et que, mise à part la période, au début, durant la première bataille de la Marne où le gouvernement s'était replié sur Bordeaux, et où Joffre se trouva seul au commandement, l'Etat-Major fut toujours sous la surveillance sinon du Parlement en tout cas de l'exécutif et que ce contrôle ne fera que s'accentuer avec le retour de Clemenceau aux Affaires en 17.

A l'inverse, l'Empire Allemand qui doit son unité à une guerre est avant tout un État où domine l'armée - ce qui ne tient pas qu'aux tendances militaristes de l'Empereur mais à son organisation même et à l'ascendant pris par l'aristocratie prussiennes. C'est tout l'Etat qui est construit autour de son armée et cela se verra tout particulièrement durant la guerre où très vite le duo Hindenburg/Ludendorff - le premier à gauche, le second à droite du Kaiser - parviendra à prendre la main sur les opérations et réussira même à imposer la démission du Chancelier. Le Kaiser, réduit à une position congrue, cède la place, suivant en ceci le parcours exactement inverse de la France où c'est le politique qui impose progressivement son ascendant. Ces deux âmes damnées que l'on retrouvera sur les fonds baptismaux du nazisme - l'un dans les premières années de la montée du nazisme, l'autre président finissant en 33 par nommer Hitler Chancelier, exercèrent un pouvoir total durant les quatre années de guerre et ne furent pas pour rien dans la légende du coup de poignard dans le dos : Ludendorff en 18 eut l'habileté de laisser les civils négocier tant l'armistice que le traité de paix laissant accréditer la thèse d'une armée invaincue, trahie par des civils - socialistes de surcroît ; de quoi nourrir troubles, nationalismes et complots pour les vingt années qui suivirent. C'est assez souligner combien l'armée aura été la colonne vertébrale de cet état autoritaire et son point de ralliement. Et constater qu'il plombait ainsi toute chance de réussir à une constitution démocratique.