Il y a 100 ans ....
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La question scolaire ....

 

Vu dans l'Humanité du 14 avril cette déclaration de Malvy, ministre de l'intérieur dans le gouvernement Doumergue et qui, on le sait, le restera jusqu'en 17, avant d'essuyer les foudres de Clemenceau ...

 

Jolie petite leçon électorale : histoire de se faire classer à gauche on agite le chiffon rouge de l'Eglise ; on titille la question fiscale en évoquant l'impôt sur le revenu ... il n'en faut pas beaucoup plus pour se faire classer à gauche.

On n'est pas si loin - une dizaine d'années seulement - de la loi de Séparation et de la querelle des inventaires qui s'en suivit. Si la République avait manifesté tôt son intérêt pour l'éducation des jeunes citoyens, si dès 1850, elle avait par la loi Falloux ouvert grand le champ le la liberté d'enseigner ne conservant le monopole de l'Etat que pour l'université ; si surtout, dès son installation elle s'efforça avec Ferry - entre 79 et 81 - de rendre l'enseignement primaire non seulement obligatoire et gratuit mais surtout laïc, elle aura ouvert avec l'Eglise qui possédait un dispositif étroit d'écoles confessionnelles une concurrence voire un conflit qui ne sera pas toujours larvé et que la loi de Séparation ne pouvait qu'envenimer. Si Rome avait fini par admettre que l'on puisse accepter la République depuis l'encyclique Inter sollicitudines (Au milieu des sollicitudes) de Léon XIII, datée du 20 février 1892, ce ralliement des catholiques ne signifiait pas pour autant qu'ils baissent les armes et en particulier pas sur l'éducation où ils virent classiquement des atteintes à la religion. Autant dire que la Séparation ne pouvait qu'envenimer la situation - ce que révèle la querelle des inventaires - au point que les relations diplomatiques entre Paris et Rome sont rompues depuis qu'avec son encyclique Vehementer nos le pape Pie X avait interdit toute collaboration des catholiques avec l'état français rendant ainsi impossible la constitution des associations cultuelles que la loi avait prévues pour gérer les biens de l'Eglise.

Dix années après, l'école dite libre se porte bien et continue d'attirer les enfants, à la fois de la bourgeoisie mais aussi des milieux ruraux créant ainsi une concurrence qu'on pourrait croire saine et qui donnait en tout cas le choix aux parents, mais une concurrence qui ne manquait jamais de provoquer ici et là des incidents.

Cette querelle allait rejaillir après guerre quand il s'agira de statuer sur le statut de l'Alsace-Lorraine demeurée sous le statut concordataire de 1802 à quoi la population locale était attachée tant et si bien qu'en maugréant Clemenceau accepta de laisser provisoirement les choses en l'état ; que les maladresses du Bloc des gauches, obligeant E Herriot à reculer en 1925, ce statut particulier n'a toujours pas été abrogé, un siècle après. Cette querelle, finalement, ne fut éteinte qu'en 59 avec la loi Debré sur les contrats d'association mais montre la place en tout cas centrale de l'école dans la démarche républicaine. Explique ainsi pourquoi, chaque fois que l'on tente de réformer l'institution scolaire, que ce soit le primaire, le secondaire ou le supérieur, à chaque fois le corps social se hérisse, rendant au reste toute réforme de fond quasi impossible, pourquoi encore, même quand la question n'est pas d'une actualité brûlante, l'école demeure un marqueur politique de la gauche - a fortiori pour un radical comme Malvy ou Clemenceau plus tard.

La scolarisation obligatoire des français aura au moins un effet durant la guerre : les soldats savent tous lire et écrire, échangent avec leurs famille une correspondance nourrie qui maintiendra le lien mais aussi parfois les incompréhensions avec l'arrière, lisent la presse et parfois sur le front éditent des journaux de tranchées et - outre que ceci offrira aux historiens une source documentaire précieuse - peut expliquer pourquoi et comment la troupe, qui a cessé d'être la masse stupide et brute d'autrefois - regimbe souvent devant la morgue des officiers supérieurs. Mais c'est une autre histoire.

C'est en tout cas aussi ce qui fait la grande différence avec l'empire allemand : si l'enseignement primaire y est obligatoire, il n'est évidemment ni laïc, ni surtout gratuit : à raison de 1,5 mark/mois pour le peuple ; mais si l'on veut se voir proposé l'enseignement des langues étrangères, le coût est de 6 mark : c'est là que vont les enfants de la bourgeoisie.

On remarquera sur ces photos mais d'autres encore, combien les classes sont nombreuses et qu'elles peuvent être mixtes. De grandes disparités donc entre la Bezirkschule et la Bürgerschule qui concernent tout aussi bien les conditions de travail que de salaire des instituteurs dont la presse allemande relève souvent les difficultés et leur neurasthénie due à leur surcharge de travail. Il en va de même pour la suite de la scolarité en Allemagne où seuls 2% d'une classe d'âge sont scolarisés dans le secondaire le plus souvent dans des formations techniques et plus rarement - pour la grande bourgeoisie - dans des études universitaires. On a donc affaire à un système qui loin de chercher à être égalitaire tente au contraire de s'adapter aux attentes différentes des classes sociales.

En France, où l'on est loin d'atteindre l'égalité parfaite mais où, au moins l'enseignement est-il obligatoire et gratuit pour le primaire, s'est ouvert aux jeunes filles, pour le secondaire et s'ouvrira bientôt, après-guerre à l'enseignement supérieur en accordant un même statut et une identique valeur aux baccalauréats féminin et masculin.

Remarquable en tout cas que dans cet articulet, la question scolaire soit moins évoquée pour son rôle social que pour sa dimension éminemment polémique. Il est vrai que les élections approchent et que la gauche étant donnée gagnante - elle le sera effectivement - autant se positionner correctement. Sans doute est-ce encore l'enjeu décisif et pas encore résolu de ce pas si important que représenta la Séparation qui peut expliquer comment ici on se sera arraché l'enfant à coups d'endoctrinement systématiquement soupçonné chez l'adversaire. Mais il est clair, qu'à ce moment précis, on excipera moins de la promotion sociale que de la protection contre l'idéologie qu'autorise l'école.

L'école catholique se porte bien que mènent de main de maître des jésuites qui savaient y faire. Il faudra du temps pour que ces braves religieux nous fabriquent des générations d'anticléricaux primaires par le zèle qu'ils mirent à accomplir leur mission ; en attendant comme ce reste le cas aujourd'hui, l'école libre, indépendamment du prix qu'il fallait y mettre, sera aussi un fabuleux moyen pour une certaine bourgeoisie de ne pas trop frayer avec les enfants du peuple. L'égalité, même républicaine, va sans dire mais quand elle s'applique aux autres surtout, que c'est bon !

Sans illusion, mais avec ferveur quand même, je ne puis oublier ce moment si grand de notre histoire où une jeune république, affaiblie par la défaite et par sa solitude au milieu de tous ces empires autoritaires et méfiants, avaient su si vite faire le pari de l'avenir, de la jeunesse plutôt que d'en rester aux macabres contraintes d'une économie alourdie par les réparations à payer à la Prusse. 1879, moins de dix ans après ! Belle idée ; beau projet. Il fut un temps, décidément, où la République savait vibrer.

Je ne puis regarder cette époque sans en même temps rester admiratif - ou seulement étonné? - devant cette époque qui avait su mettre au point le dispositif éducatif permettant au mieux d'assurer la nécessaire transmission des savoirs, des idées et des valeurs.

Avec boursouflure peut-être, grandiloquence souvent, naïveté sans doute de ces hussards qui crurent que dire le savoir et la vertu allait suffire tant ils éprouvèrent la foi entière des convertis mais assurément cette époque sut transmettre, convaincre et forger les tempérances des lendemains - ce que nous ne savons plus faire - si mal ; si douloureusement. Ceux-là savaient faire aimer le savoir - ou au moins le faire respecter.

Je ne vois pas sans une sourde inquiétude et amère déception ces jeunes générations n'envisager la formation que comme une recette purement technique qui leur dût assurer demain une position sociale. L'école n'est plus fondamentale ; encore moins fondatrice et elle a renoncé depuis trop longtemps de rêver seulement d'être encore libératrice ! Elle s'épuise, tristement, en n'étant plus que technologique.