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Partie I : Des principes

1.1 Moments philosophiques

Julliard, comme de juste, commence son analyse par ce qu'il nomme un moment philosophique : l'héritage du siècle des Lumières. La chose serait convenue s'il ne s'était empressé d'emblée de corriger la représentation habituelle de la période qui serait moins celle du progrès que celle de la nature, toute la philosophie selon lui, y étant plutôt hantée par celle d'ordre. Admettons.

Le pli pris est convenu néanmoins ; doublement : traquer la paternité de la Révolution dans la philosophie et notamment celle des Lumières, qui ne l'a fait ! Hugo fit ainsi chanter Gavroche :

« Je suis tombé par terre,
C'est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C'est la faute à Rousseau
. »

Et il n'est qu'à lire les acrimonieuses diatribes d'un Maurras pour comprendre qu'ils furent longtemps perçus avec Diderot comme les pères spirituels de 89.

Ni l'un ni l'autre ne verront pourtant la Révolution : ils meurent à peu de distance, tous les deux en 1778. Et s'il n'est pas faux qu'ils en inspirèrent certains termes, il est peu probable qu'ils en eussent approuvé le déroulé. Encore moins le résultat. Voltaire n'avait que mépris pour la populace et Rousseau ne croyait pas en la démocratie représentative.

Convenue, mais nous inclinerons de même, la tendance à chercher dans la philosophie le soubassement du politique. Néanmoins, si l'on se place d'un strict point de vue historique, les origines de l'aspiration à la liberté et à l'égalité, devraient se chercher plutôt - en tout cas au moins autant - dans la Réforme protestante et dans la méthode cartésienne. L'une parce qu'elle a consacré la liberté d'examen et de conscience ; le second parce qu'en proposant sa méthode et notamment l'exigence de la preuve et de la vérification, il aura fait du moi au moins autant que de la raison le juge suprême de nos démarches et fixé un terme dont l'homme plutôt que le divin serait la mesure.

Si, en revanche, on devait se placer d'un point de vue théorique, de loin en loin, chaque idée trouvant sa source, ses aspirations et inspiration un peu plus avant, nul doute qu'il nous faille remonter bien plus en amont. La Renaissance elle-même ne s'était-elle pas pensée comme résurrection d'un passé enfoui comme si les mille ans qui la séparaient de la chute de Rome n'avaient été que sombre et vaine parenthèse ? comme elle, c'est du côté de l'Antiquité qu'il faudra chercher, sans pour autant tomber dans le piège de ses illusions.

Mais si, parallèlement, on se plaçait d'un point de vue plutôt logique, alors force serait de constater qu'il ne saurait y avoir de projet politique qui ne s'appuie sur une représentation de l'homme et du monde, de l'homme dans le monde. Or, l'universel réside aussi en ceci qu'il n'est pas de communauté humaine qui ne se soit donné une telle représentation : c'est même aux vestiges de telles représentations que l'anthropologue reconnaît le fait humain.

Cette approche, logique autant que métaphysique, oblige à penser bien en avant, bien plus profondément non dans le temps mais dans l'espace souterrain de nos fondations, de nos principes. Dans ce qu'il faut bien appeler archéologie - au sens où Foucault parlait d'Archéologie du savoir - ce commencement, fondement, ce principe mais aussi ce commandement qui est le sens de ἀρχή.

Avec le politique, on se trouve pour ainsi dire littéralement coincé entre les deux infinis sauf à considérer que ce ne sont pas ici ceux de l'espace - l'infiniment petit et l'infiniment grand - comme ce fut le cas pour Pascal *, mais bien plutôt ceux du temps et, pour tout dire, ceux des antinomies de la raison pure kantienne. Quelque source que l'on dénicherait qui expliquât ne serait ce que partiellement nos modèles politiques, elle aurait elle-même une origine, une cause à creuser loin en amont. Il ne saurait y avoir d'origine radicale sinon celle qu'ex abrupto, on voudra bien se donner à soi-même. Par principe ou arbitrairement, qu'importe ! le résultat serait le même. A l'autre bout de la chaîne, celui qui tient le gouvernail, celui dont on dit qu'il exerce le pouvoir … mais celui-ci hérite lui-même d'une situation dont il n'a été ni l'origine ni le maître, qu'il fera semblant le plus souvent de maîtriser pour sa propre gloire ou par idéalisme même parfois, mais où il ne pourra de toute manière rien conclure ni mener à terme - la période de sa vie, plus encore la durée durant laquelle il sera au pouvoir, sera irrémédiablement courte ; et son œuvre fatalement inachevée.

Bref rien qui commence radicalement ; rien non plus qui s'achève. Le politique par ses deux extrêmes est transition ; transitoire ; transitif.

Quelque chose entre la théorie et la pratique ; d'absolument universel - on n'imagine pas de cité qui ne soit régie par quelques principes, règles et lois - mais simultanément de parfaitement singulier tant ces derniers s'inscrivent toujours en un temps et lieu déterminé qui les constituent.

Il serait absurde de chercher quelque origine grecque pour la gauche, il n'empêche que celle-ci, au moins pour nos consciences modernes, est irrémédiablement liée à la démocratie. Athènes s'impose. Athènes invente le politique et sans doute n'est-il pas faux d'avancer que philosophie et politique naquirent ensemble, rendues possible l'une par l'autre. Derechef, il serait paradoxal de chercher quelque origine hébraïque pour la gauche, force est pourtant de constater que le fait religieux s'accompagne toujours d'une fondation sociale. Manifeste dans Exode et le Deutéronome qui encadrent peut-être les rapports de l'homme à son Dieu mais posent les fondations, d'abord, de la cité de Jérusalem. En réalité, il est vain de vouloir trouver quelque moment initial : quel qu’il soit, il aura toujours été provoqué par un événement antérieur. Pour ce qui concerne notre propos, si typiquement occidental, c'est en Orient qu'il faut chercher.

Dans le dialogue manqué entre Jérusalem et Athènes. Dans cet Orient que l'Occident a tant de mal à assumer.

Allons plus loin encore : quand bien même l'on admettrait sans trop finasser qu'être de gauche serait gouverner au nom du plus grand nombre pour une société plus juste, plus égalitaire et plus libre, sans même se demander encore ce en quoi l'on s'y opposerait ainsi à une posture de droite ; quand même, donc, on se contenterait de définitions hâtives, il ne se pourrait pas qu'on ne se pose préalablement la question de ce qu'est la démocratie ; de ce qu'est une société ; de ce qu'est le pouvoir : de ce que signifie exercer le pouvoir.

En cascade, c'est bien une descente. Qui ne nous donnera sans doute pas le commencement radical mais nous aidera néanmoins à comprendre.

La théorie toujours est première

C'est une évidence ! Évoquée déjà. Et l'on pourrait citer à foison philosophes ou scientifiques qui le dirent et le proclamèrent.

De la théorie quelconque d’A. Comte qui lui fait admettre en dépit du préalable scientifique de l'observation que celle-ci n'est seulement possible qu'à condition d'une représentation préalable ; de F Jacob qui écrit joliment combien théorie et expérience s'enrichissent l'une de l'autre mais qu'en l'occurrence c'est toujours la théorie qui ouvre le feu :

Dans l’échange entre la théorie et l’expérience, c’est toujours la première qui engage le dialogue. C’est elle qui détermine la forme de la question, donc les limites de la réponse. «Le hasard ne favorise que les esprits préparés» disait Pasteur. Le hasard, ici, cela signifie que l’observation a été faite par accident et non afin de vérifier la théorie. Mais la théorie était déjà là, qui permet d’interpréter l’accident. F JACOB

ou de Claude Bernard, Carnap, Planck… [**]

N'y revenons plus ! Mais quoi ? Serait-ce à dire que d'emblée l'action ne serait qu'une application un peu sotte, bêtement technique, servilement appliquée d'une théorie absolue, donnée une fois pour toute ou bien fondée définitivement en raison ?

Ce serait oublier le quelconque dans la théorie de Comte. Oublier la grande leçon de Platon qui au moins nous aura appris, en cet exemple si éculé du mythe de la Caverne, que la connaissance ne va pas de l'ignorance au savoir, mais d'un savoir prétendu, bientôt rectifié ou biffé à un savoir limité, provisoire, bientôt rectifié lui-même. Ce serait oublier la grande leçon de Marx au moins autant de Hegel pour qui si les hommes font l'histoire, ils ne savent assurément pas l'histoire qu'ils font.

Quand Castoriadis fait le bilan - provisoire écrit-il - du marxisme, il ne peut pas ne pas repérer que la première grande usurpation fut de vouloir faire accroire la théorie marxiste comme scientifique, définitive. Et référence absolue ! La lecture de Castoriadis demeure exacte même si l'omniprésence du marxisme qu'il y évoque sent bien ses années soixante quand désormais on le retrouve plutôt, presque par hasard et passablement cabossée, dans le magasin des accessoires.

Ce qui, en fin de compte est peut-être une chance ! Nos prédécesseurs - ne songeons qu'à l'équipe des puristes autour d'Althusser - n'eurent souvent le choix qu'entre jouer les renégats ou bien au contraire les dépoussiéreurs - sous les scories du temps - d'une pureté de la théorie que l'on eût déformée, galvaudée, oubliée. On a difficulté aujourd’hui à saisir l'emprise du marxisme qui contraignait chacun à se positionner par rapport à lui et, même à l'intérieur du cénacle, à faire étal de ses quartiers de noblesse. L'absurde et indigne brouille entre Camus et Sartre à l'occasion de la parution de l'Homme Révolté, n'avait ainsi pas eu d'autre sens ! Nous, au contraire, si nous voulons tenter de donner quelque consistance à une réflexion sur le politique et, plus spécifiquement, sur la gauche, au moins n'avons-nous pas besoin, encore moins obligation, de commencer par le Saint des Saints ; par La référence. Ne nous réjouissons pas pour autant ! Ce dogmatisme-ci aura été remplacé par un autre ! Ne nous hâtons pas : nous ne pourrons pas faire comme si la la théorie marxiste n'avait pas existé.

Considérer la théorie comme un absolu, comme une vérité qu'il n'y eût plus qu'à révérer, ne conduit pas seulement aux dérives fanatiques, intolérantes et totalitaires que nous connaissons. Ne place pas seulement dans la même posture que ces chrétiens d'antan qui n'eurent à cœur, ayant des textes sacrés en référence, que d'instaurer en modèle de la Cité de Dieu un ordre théocratique sûr de lui et absolu - mais pas totalitaire pour autant ! Elle induit surtout une incroyable méprise sur le politique dès lors exclusivement perçu comme une simple technique qu'il n'y eût plus qu'à appliquer. Erreur que commit à sa manière A Comte qui ne tint à sa physique sociale que pour mieux ordonnancer une cité qu'il entrevoyait comme autant de pions à ranger dans leurs boites respective - un manager avant la lettre en somme !

Exiger que le projet révolutionnaire soit fondé sur une théorie complète, c'est donc en fait assimiler la politique à une technique, et poser son domaine d'action - l'histoire - comme objet possible d'un savoir fini et exhaustif. Inverser ce raisonnement, et conclure de l'impossibilité d'un tel savoir à l'impossibilité de toute politique révolutionnaire lucide, c'est finalement rejeter toutes les activités humaines et l'histoire en bloc, comme insatisfaisantes d'après un standard fictif. Mais la politique n'est ni concrétisation d'un Savoir absolu, ni technique, ni volonté aveugle d'on ne sait quoi ; elle appartient à un autre domaine, ce lui du faire, et à ce mode spécifique du faire qu'est la praxis .

Nous appelons praxis ce faire dans lequel l'autre ou les autres sont visés comme êtres autonomes et considérés comme l'agent essentiel du développement de leur propre autonomie. La vraie politique, la vraie pédagogie, la vraie médecine, pour autant qu'elles ont jamais existé, appartiennent à la praxis. Dans la praxis il y a un à faire, mais cet à faire est spécifique: c 'est précisément le développement de l'autonomie de l'autre ou des autres ; Castoriadis L'institution imaginaire de la société p 111-112

A l'inverse, le refus de toute théorie sous prétexte qu'elle fût impossible, ne vaudrait effectivement pas mieux. Elle laisserait accroire que gouverner se fît à l'aveugle, sans projet préconçu, avec pour seul bagage ruse, rouerie - la Μῆτις des grecs - et aveuglement du court-terme. C'est pourtant bien ce à quoi conduisent pragmatisme et utilitarisme ambiants qui érigent le politique en simple charisme plus ou moins habile ; l'art de diriger - ou berner - les foules sans autre véritable but que d'exercer le pouvoir et de défendre ses intérêts particuliers. Ce que semble désigner le si mal nommé machiavélisme !

Il y a, ici, tapi dans l'angle mort de nos préjugés, une incroyable mystification : d'où tenons-nous qu'il n'y ait d'action possible qu'à partir d'une connaissance figée, précise. Cette théorie quelconque dont parle Comte, nul n'a jamais prétendu qu'il se fût jamais agi d'une connaissance, encore moins d'une connaissance scientifique. Il y a bien deux absurdités opposées, qui se font face mais finalement reviennent au même :

- que l'homme évolue à l'aveugle sans rien savoir ni comprendre du monde et de lui ! si, il en a toujours idée, même incomplète, ambiguë et souvent fausse, mais c'est ce regard qu'il porte qui lui permet de se déterminer ;

- qu'il faille, pour agir, avoir une vue complète ! non, évidemment, si tel avait du jamais être le cas l'action eût été à jamais impossible. D'une certaine manière, c'est le propre de l'homme, de son intelligence, de sa rouerie ou de sa ruse, qu'importe, que d'être capable d'agir même à partir de données floues, partielles voire fausses ; en ayant en vue des objectifs pas nécessairement précis mais relevant au mieux de la recherche de plaisir, au pire de l'évitement de la souffrance.

C'est bien pour ceci qu'entre théorie et pratique, entre pensée et technique, il y a, non pas ligne directe, rectiligne, de l'une à l'autre mais spirale, intimement enroulée entre les deux, qui de l'une va à l'autre tout en la supposant. Les sciences au reste ne disent pas ce que nous devons faire, encore moins le rapport que nous devons entretenir avec le monde : elles disent comment le monde est ! Ce sont les techniques qui, le plus souvent par hasard, transforment la connaissance de la relation cause/effet en relation moyen/fin ; se servent de la connaissance pour parvenir à des buts pas nécessairement écrits d'avance. Rien dans la découverte des ondes radio-électriques ne prédisposait à l'invention du télégraphe voire de la radio ! Il n'est que dans l'imagination étriquée et frileuse d'un scientiste dogmatique que l'homme agisse en sachant exactement ce qu'il fait ! tout au plus agit-il en croyant le savoir et avec une vue plus désirée que claire de ce qu'il cherche à obtenir.

C'est ainsi manie paresseuse que de croire avoir résolu quelque question que ce soit en l'ayant seulement nommée. Pour voir quelque chose, il faut avoir un jeu d'hypothèses qui permette de le voir : Fleming vit dans les moisissures une réponse à ses questions que nous n'aurions pas vue. C'est ceci avoir le sens de la problématique. Il n'est qu'un scientifique qui puisse voir dans un fait concret une anomalie … parce qu'il se pose la question et fait le lien entre ce qu'il croit savoir et ce qu'il mesure. En revanche il n'y verra jamais une issue pratique tout simplement parce que la question de l'utilité n'est pas de son domaine ni d'ailleurs son souci. Mais celuidu technicien.

Sauf à considérer que dans la vie courante, hors de nos métiers ou de nos préoccupations théoriques, nous sommes tour à tour des êtres conscients qui tentons d'ajuster notre action à ce que nous croyons juste et efficace et des individus se contentant de réagir à des situations que nous évitons quand nous les percevons dangereuses ou dont nous nous approchons quand nous les espérons profitables. Qu'il serait stupide de prétendre que nous agissions motivés exclusivement par des motifs rationnels ou uniquement mus par des pulsions inconscientes ou passionnelles.

C'est enfin oublier qu'il ne saurait exister de théorie qui ne soit axiomatique - je veux écrire qui ne comporte au moins un principe, posé mais pas justifiable. La philosophie l'a toujours su même si une logique mathématique à la Hilbert a feint de croire et de tenter le contraire.

Bref, si l'on voulait se résumer, il faudrait abandonner cette obsession maniaque de vouloir nécessairement juger d'une situation, d'un objet, à partir d'un modèle préconçu ! Ni donc de juger de telle ou telle situation politique par rapport à un modèle démocratique qui fût l'apanage d'Athènes. Encore moins de vouloir repenser la gauche à partir d'un concept éternel, figé, extatique !

Donc il serait absurde de chercher chez les Grecs ou chez d'autres encore ni une vue claire de ce que serait un régime politique, une démocratie voire un système libre et égalitaire, ni à l'inverse de prétendre qu'ils le fissent par hasard. Ceci fut inventé de gré à gré, au fur et à mesure.

Il y eut, assurément, à l'origine de la cité grecque et de l'invention de la démocratie, un processus, qui impliqua, à la fois, une approche du monde, une évolution économique, une situation géopolitique qui permet d'en rendre compte sans nécessairement l'expliquer totalement. Un processus qui s'enraya aussi très vite : il faudrait être aveugle pour ne pas se souvenir qu'il ne concerna pas toute la Grèce et fut déjà achevé quand un Platon ou un Aristote produisent et nous laissent les premières œuvres philosophiques écrites à peu près complètes.

C'est ce processus qu'il faut comprendre ! Ici comme ailleurs ne pas chercher de structures figées mais tenter de repérer derrière ces évolutions des constantes peut-être mais des liens aussi, inopinés peut-être. Démocrite n'avait sans doute pas tort non plus que plus tard Lucrèce : des déclinaisons se produisent dans les flux enclenchés et, oui, l'ordre politique qui s'érige pour un temps donné, souvent très court, est vraisemblablement fondé sur un fabuleux désordre !

Lorsque l'on étudie la Grèce, et plus particulièrement les institutions politiques grecques, la mentalité « modèlc/antimodèle » a une conséquence curieuse mais inévitable : ces institutions sont considérées, pour ainsi dire, « de manière statique », comme s'il s'agissait d'une seule « constitution » avec ses divers « articles » fixés une fois pour toutes, et que l'on pourrait (et que l'on devrait) « juger » ou « évaluer » en tant que tels. C'est une approche pour personnes en quête de recettes - dont le nombre, en vérité, ne semble pas être en diminution. Mais l'essence de ce qui importe dans la vie politique de la Grèce antique - le germe - est, bien sûr, le processus historique instituant : l'activité et la lutte qui se développent autour du changement des institutions, l'auto-institution explicite (même si elle reste partielle) de la polis en tant que processus permanent
C Castoriadis la polis grecque et la création de la démocratie p 357

 

 

L'invention de la πόλις

 


 *Quand je considère la petite durée de ma vie absorbée dans l’éternité précédente et suivante, memoria hospitis unius diei praetereuntis, le petit espace que je remplis et même que je vois abîmé dans l’infinie immensité des espaces que j’ignore et qui m’ignorent, je m’effraie et m’étonne de me voir ici plutôt que là, car il n’y a point de raison pourquoi ici plutôt que là, pourquoi à présent plutôt que lors. Qui m’y a mis ? Par l’ordre et la conduite de qui ce lieu et ce temps a‑t‑il été destiné à moi ?