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5 - Problématique

Heureuse nouvelle ? Nous n'avons plus de problèmes ... que des problématiques !

Un manager doit réunir son équipe autour d'une problématique commune, lit-on ici. Un pompier, interrogé après un incendie, évoque la problématique du feu … Dans le premier cas, on aurait plutôt lu autour d'un projet et d'une méthode commune ; dans le second, il eût été plus juste d'évoquer les problèmes spécifiques posés par ce feu-ci.

Soit, dira-t-on, ce ne sont ici que petites concessions à l'air du temps, de ces petites afféteries permettant à tout un chacun de se donner allure d'expert. Sauf à considérer que ces petites glissades sont désormais tellement entrées dans la pensée commune qu'elles sont transmises, comme des évidences jusque et y compris par les enseignants. Ne s'agirait-il que d'user de problématique parce que ceci ferait plus chic que problème, cela serait détestable, en tout cas ridicule ; j'y perçois malheureusement une dérive idéologique bien plus lourde de conséquences.

Revenons-y :

La science, dans son besoin d'achèvement comme dans son principe, s'oppose absolument à l'opinion. S'il lui arrive, sur un point particulier, de légitimer l'opinion, c'est pour d'autres raisons que celles qui fondent l'opinion ; de sorte que l'opinion a, en droit, toujours tort. L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître. On ne peut rien fonder sur l'opinion : il faut d'abord la détruire. Elle est le premier obstacle à surmonter. Il ne suffirait pas, par exemple, de la rectifier sur des points particuliers, en maintenant, comme une sorte de morale provisoire, une connaissance vulgaire provisoire. L'esprit scientifique nous interdit d'avoir une opinion sur des questions que nous ne comprenons pas, sur des questions que nous ne savons pas formuler clairement. Avant tout, il faut savoir poser des problèmes. Et quoi qu'on dise, dans la vie scientifique, les problèmes ne se posent pas d'eux-mêmes. C'est précisément ce sens du problème qui donne la marque du véritable esprit scientifique. Pour un esprit scientifique, toute connaissance est une réponse à une question. S'il n'y a pas eu de question, il ne peut y avoir connaissance scientifique. Rien ne va de soi. Rien n'est donné. Tout est construit.
G Bachelard

D'où l'on peut tirer plusieurs conséquences :

Que cache alors cet usage fautif du terme ? Plusieurs hypothèses me viennent toutes aussi peu réjouissantes les unes que les autres.

  1. l'invasion de l'esprit technicien que l'on retrouve hégémonique dans ce qu'on nomme les techno-sciences, a fortiori dans les pratiques professionnelles. Au delà du tic de langage, c'est laisser accroire que tout ne serait affaire que de recettes, de ruse, de stratagèmes. Or, non ! il n'y a pas de réponse à tout ! non, le réel n'est pas que rationnel pour la part de folie, de passions, de désirs que nous y nichons. Dire problématique pour problème laisse à penser que ce grand travail de retrait nécessaire pour construire l'objet de sa réflexion a été fait déjà quand on se sera contenté seulement d'appliquer quelques modèles puisés dans le prêt-à-penser de la technologie managériale. C'est à peu près la même dérive qui nous fait aujourd'hui écrire technologie à la place de technique : mais non, il ne s'y camoufle aucune connaissance de la technique, seulement quelques tours de main.
  2. la confusion inquiétante entre la question - qui relève de la recherche et donc du jeu de l'essai et de l'erreur et donc de l'imagination - et le problème qui est gêne, entrave, que l'on s'attachera donc à escamoter. Lz question, paradoxalement puisque c'est le sujet qui mène la danse, est ainsi la chance laissée à l'objet de dévoiler le rapport que nous entretenons avec lui. En revanche, le problème vise toujours l'escamotage de l'objet, sa transformation en outil ou marchandise.
  3. la méconnaissance profonde de l'acte de pensée qui ne se réduit assurément jamais à la simple consultation de recettes, de protocoles dans le cahier du maître.

La problématique c'est le sens de la question ; ceux-là n'ont que l'obsession de la réponse. Las la pensée vient toujours trop tard quand les experts ont tout dévasté déjà de leurs certitudes !